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    L'homme qui répare les femmes (Colette BRAECKMAN)

    2012   160 p.  14,90 €

     

    Depuis quinze ans, Denis Mukwege, médecin chef à l'hôpital de Panzi (Sud Kivu), soigne gratuitement des femmes victimes de violences sexuelles. Au cours des dix dernières années, il a ainsi prodigué des soins à plus de 30 000 femmes ! Vagins détruits et âmes mortes. Le gynécologue recoud et répare. Il écoute aussi, prie quand il le peut, se révolte souvent. Pour son combat, il a reçu de nombreux prix, dont celui des droits de l'homme des Nations Unies en 2008, ainsi que le prix international Roi Baudouin, en 2011. Portrait d'un homme courageux.

    Denis Mukwege, l'homme qui risque sa vie pour réparer le vagin des femmes

    La journaliste et écrivain Colette Braeckman décrit le combat courageux du professeur Denis Mukwege en République démocratique du Congo.

    Le professeur Denis Mukwege a récemment été victime d’une tentative d’assassinat en République démocratique du Congo (RDC). Il se bat pour redonner espoir aux femmes violées dans l’Est du Congo. La journaliste et écrivain Colette Braeckman explique pourquoi son combat est vital.

    Pourquoi avoir consacré un ouvrage à Denis Mukwege?

    Colette Braeckman: Je connais le Dr Mukwege depuis ses débuts à Bukavu, et je l'ai vu évoluer. Au début, il était simple gynécologue, qui traitait surtout les cas de grossesses précoces, très fréquents au Kivu. Depuis une quinzaine d'années, il est confronté à des horreurs croissantes, femmes mutilées, violentées de la pire manière.

    Témoin de la première heure des guerres qui ont ravagé l'Est du Congo, ce citoyen et pasteur a aussi été amené à se poser des questions politiques: pourquoi ce déferlement d'horreurs, n'y aurait-il pas une volonté d'anéantissemennt de la résistance des populations, pourquoi une telle impuissance internationale?

    Lorsqu'il a été lauréat du Prix Roi Baudouin pour le développement en 2011 et est venu en Belgique, j'ai eu l'idée de mener avec lui un livre d'entretiens afin d'enregistrer son témoignage, de faire de lui le fil conducteur de l'histoire troublée de cette région. Dans ce but, j'ai mené avec lui une série d'entretiens à Bukavu [dans l'Est de la RDC, ndlr], j'ai passé du temps dans son hôpital et me suis entretenue avec son équipe.

    Au moment de la sortie du livre, le Dr Mukwege se trouvait en Belgique et, à l'occasion d'une conférence publique, il a à nouveau posé des questions très dérangeantes, pour les autorités congolaises, pour les pays voisins et surtout le Rwanda, pour la "communauté internationale" et en particulier les Nations Unies.

    A son retour, le 25 octobre 2012, cinq hommes armés l'attendaient chez lui, ils ont abattu sa sentinelle et l'ont laissé pour mort, couché au sol.

    C'est un miracle s'il a échappé à cinq ou six tirs qui le visaient.

    Comment expliquer qu'on ait récemment tenté de l'assassiner?

    Pourquoi cette agression? Parce que le Dr Mukwege dérange, à tous niveaux, parce qu'il est l'un des Congolais le plus connus, parce qu'il a parlé à l'Assemblée générale des Nations Unies et donné une "mauvaise image", hélas bien réelle, de la situation humanitaire au Kivu, et en particulier celle des femmes... Ses agresseurs n'ont pas été identifiés et il ne semble même pas qu'il y ait eu une enquête sérieuse. C'est dire.

    Le Dr Mukwege est certainement un témoin gênant. Au cas où il aurait archivé les témoignages de toutes les femmes violées, mutilées qui se sont présentées à lui, il aurait là un volumineux dossier dans lequel la justice internationale pourrait certainement puiser des indications et des témoignages. Rien que pour cela, tous les chefs de guerre de la région auraient intérêt à le voir disparaître ou se taire ou partir en exil...

    Le viol est-il utilisé comme arme de guerre en toute connaissance de cause?

    Viol, arme de guerre? Cela me paraît une évidence, car dans les cas que l'on voit au Kivu, la recherche du plaisir, la jouissance n'ont pas leur place. Il s'agit d'actes de terreur, visant à provoquer la fuite, la déchéance, le désespoir de populations civiles dont on veut prendre les terres ou les richesses. Il est impossible de dire et encore plus de démontrer qu'il y aurait un "chef d'orchestre"—personnellement je ne le crois pas— mais je me demande si la politique de terreur, de mort lente (par l'inoculation du sida) ne sert pas à long terme, la poussée vers l'Ouest de pays voisins plus peuplés et qui manquent de terre. Il s'agit là d'un "mouvement long" de l'histoire...

    Vous insistez beaucoup sur les puissants liens qui existent entre le Rwanda et la RDC. Comment comprendre que l'antagonisme demeure aussi fort?

    Les liens entre le Rwanda et le M23, et plus largement les mouvements rebelles composés de Tutsis congolais et d'autres groupes ethniques sont complexes: même si Kigali affirme souhaiter la bonne gouvernance, le rétablissement de l'Etat de droit au Congo, les liens de bon voisinage avec une autorité légitime, cette situation normalisée ne peut que nuire à de nombreux réseaux commerciaux qui opèrent de manière mafieuse ou à la marge de la légalité.

    Réseaux qui exploitent les ressources minières du Nord et du Sud Kivu et qui, pratiquement tous, transitent par le Rwanda, ce qui fait tourner les usines dans ce pays et gonfle la balance des paiements.

    Ces réseaux, dans lesquels se retrouvent des Tutsis congolais, mais aussi d'autres groupes ethniques, ont des ramifications au Rwanda, très proches du pouvoir. Couper ces chaînes mafieuses ou illégales, c'est priver de revenus des gens puissants, qui jouissent aussi de complicités à Kinshasa.

    Autrement dit, il est évident qu'en dépit des affirmations officielles, l'intérêt du Rwanda est de maintenir l'Est du Congo dans un état de semi-désordre.

    Ce qui permet de préserver dans l'armée des chaînes de commandement parallèles, des complicités dans l'administration et la douane et, à terme, de démontrer la faiblesse du pouvoir de Kinshasa.

    Cette démonstration amène à plaider pour un fédéralisme qui permettrait, au Nord et au Sud Kivu une sorte de "souveraineté partagée" avec mise en commun des ressources, en attendant mieux... Certains "rwandophones" de l'Est partagent ces visées économiques et politiques ou sont instrumentalisés, mais nombreux sont ceux qui refusent cette mainmise rwandaise: des Tutsis du Nord-Kivu sont restés fidèles à Kinshasa, et au Sud-Kivu, des Tutsis Banyamulenge ont refusé de soutenir le M23 arguant qu'ils en avaient assez d'être instrumentalisés par leurs lointains cousins rwandais.

    Ces réticences ont d'ailleurs poussé le M23 à rechercher des alliances au sein d'autres groupes ethniques, les rebelles ayant essayé de les dresser contre les autorités de Kinshasa.

    Selon trois rapports d'experts publiés par les Nations Unies appuyés par d'innombrables témoignages, le soutien du Rwanda au M23 est une évidence.

    A chaque fois que les forces gouvernementales venaient à bout des rebelles, des renforts leur étaient envoyés depuis la frontière rwandaise.

    Les autorités rwandaises auraient-elles les moyens de faire cesser les exactions commises par leurs alliés?

    Se demander si Kigali pourrait influencer les rebelles et contribuer à une solution est, à mon sens, une question mal posée: les officiers du M23, des "mutins" qui se sont soulevés au sein de l'armée congolaise car ils ne voulaient pas être affectés dans d'autres régions et refusaient que leur chef Bosco Ntaganda soit déféré à la CPI (Cour pénale internationale), sont, pour une large part, les instruments de la politique rwandaise dans la région.

    Souhaiteraient-ils mener une politique autonome, distincte de celle de Kigali, qu'ils n'en auraient pas les moyens: sans soutien extérieur, leur autonomie ne serait que de quelques jours... Ceci je tiens à le souligner, c'est mon opinion personnelle, et non celle du Dr Mukwege, qui se contente de constater les ravages sur le plan humain. Il relève que cette politique de violence extrême a été importée au Kivu par les miliciens rwandais Interhahamwe qui, lors du génocide au Rwanda en 1994 avaient déjà utilisé le viol comme arme de guerre et exporté cette pratique de terreur au Kivu. Depuis lors, cela s'est répandu comme une épidémie et d'autres groupes armés congolais (Mai Mai, Raia Mutomboki) recourent aux mêmes pratiques.

    Le Docteur Mukwege a-t-il l'intention de revenir au Congo? Pourra-t-il poursuivre son combat, son travail, dans son pays?

    C'est difficile à dire. Il est médecin chef de l'hôpital Panzi, ses malades, son staff l'attendent, lui-même n'a pas d'autre "plan de carrière" que de poursuivre son travail, mettre en pratique sa vocation. Mais en même temps, sa sécurité est en danger, les autorités congolaises ne lui promettent aucune protection particulière, il ne peut guère compter sur la Monusco (Mission des nations unies au Congo) qui ne s'est pas portée à son secours. Les femmes de Bukavu assurent qu'elles protègeront "leur" docteur. Face à des tueurs déterminés, serait-ce jamais suffisant?

    Cet article a initialement été publié sur Slateafrique.com.

    Photo: République démocratique du Congo, juin 2012. Crédit: DFI


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  • 2011    336 p.    25,50 €

     

    Depuis le début du XXIe siècle, l'envolée des prix sur le marché immobilier des grandes villes françaises rend difficile l'accès à un logement de qualité pour une grande partie de la population. À Paris, de nombreuses personnes vivent dans des conditions qualifiées d'« intolérables ». Une politique volontariste de résorption du logement dégradé a été mise en place en 2002. Quels mécanismes conduisent à la relégation dans les marges les plus insalubres du marché immobilier ? Comment les mal logés réagissent-ils face aux priorités institutionnelles de relogement, essentiellement fondées sur l'urgence sanitaire ? Comment vivent-ils leur éventuelle accession au logement social dans des quartiers parfois aisés de la capitale ? Ce livre se fonde sur un travail ethnographique et une enquête auprès d'un échantillon de plus de 500 mal logés interrogés à deux reprises.
     
       Pascale Dietrich-Ragon, docteur en sociologie de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, est chargée de recherche à l'Institut National d Études Démographiques (INED). Elle est membre associée à l'Équipe de Recherche sur les Inégalités Sociales du Centre Maurice Halbwachs

     " La question du mal-logement s'est imposée au centre du débat public depuis plusieurs années, mais le phénomène reste mal cerné, tant quantitativement que, surtout, qualitativement. L'insalubrité, rappelle en effet d'emblée l'auteure, est une notion bien relative. Dans cet ouvrage tiré de sa thèse de sociologie, elle tente ainsi, à partir du cas parisien, d'apporter quelques repères concernant cet espace du logement dégradé. S'y retrouvent ainsi des ménages en marge à la fois du marché privé et de l'habitat social, mais ces populations sont pour autant loin d'être homogènes, tant du point de vue de leurs ressources - au sens large du terme - que de leur attitude face à cette situation. Certains " jouent le jeu " des institutions qui organisent la " course au logement social ", tandis que d'autres en dénoncent des critères qu'ils jugent injustes.

    L'auteure retrace les multiples logiques qui conduisent à cette situation, non sans émailler son analyse de descriptions crues. Et de rappeler que, loin d'être une simple " boîte à habiter ", le logement est un support central de statut et de relations sociales. Si la partie quantitative n'est pas sans poser question, les analyses qu'elle propose n'en sont pas moins éclairantes."


    Igor Martinache
    Alternatives Economiques n° 308 - décembre 2011

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  •  Quid de l'impartialité dans les écoles quand les chasseurs initient à la nature

     15 janvier 2013

    chasseur© C. Magdelaine / notre-planete.info

    Alors que dans le cadre du "Mariage pour tous", le gouvernement et le président de la République ont réclamé de l'impartialité et demander à ne pas faire de "prosélytisme à l'école"[1], de nombreuses associations de défense des animaux viennent d'adresser une lettre au Président de la République lui demandant de tenir ses engagements électoraux en rétablissant le principe d'impartialité dans les écoles en ce qui concerne l'initiation à la nature. Seul moyen de fermer la porte... au prosélytisme des chasseurs.

    Voici la lettre dans son intégralité :

     

    OBJET : PROPAGANDE DES CHASSEURS DANS LES ÉCOLES

    Monsieur le Président,

    Votre dernière déclaration concernant le « retour à l'impartialité de l'État » a retenu toute l'attention des associations de protection de la nature, des animaux, et des usagers non-chasseurs de la nature. Vous avez réaffirmé l'importance des principes d'impartialité qui, dites-vous à raison, « ne doivent souffrir aucune exception ». Or nos associations ont constamment dénoncé le privilège scandaleux qui, durant le dernier gouvernement, a autorisé les chasseurs à faire de la propagande dans les écoles élémentaires sous prétexte d'initiation à la nature. Depuis le partenariat signé le 4 mars 2010 entre Luc Chatel, Jean-Louis Borloo et la Fédération nationale des chasseurs, les chasseurs sont en effet habilités à donner des « leçons d'écologie » aux écoliers. Ils prétendent évidemment agir en toute neutralité, mais il suffit d'examiner leur « matériel pédagogique » pour en douter : un chien de chasse virtuel, dénommé Cartouche, des personnages enfantins vêtus de jaquettes de chasse et munis de cors, montrent bien le contenu orienté de ces « cours ».

    M. Ettori, vice-président de la Fédération nationale des chasseurs au moment de la convention du 4 mars, s'était félicité dans la presse des chasseurs de passer outre une Académie « qui fit circuler dans tous les établissements de son département une circulaire interdisant l'accès à toutes les structures cynégétiques ». Désormais, se vantait-il, « une fédération a le droit de
    proposer des animations auprès des jeunes, que l'inspecteur d'Académie le veuille ou non ». Si les écoles doivent rester, comme nous le croyons nous aussi, des lieux d'impartialité, il n'y a aucune raison pour que les chasseurs viennent recruter dès l'école pour initier au plaisir de tuer des animaux et surtout pour maintenir leurs effectifs afin de conserver leur influence politique.

    Ne conviendrait-il pas d'appliquer le principe de neutralité et de mettre une limite à la défense des intérêts particuliers et à la propagande des lobbies ?

    Nous vous appelons, Monsieur le Président, à mettre vos propos en pratique et à annuler dès à présent le droit des chasseurs à faire du prosélytisme dans les écoles tout en privant leurs adversaires de leur répondre. Ce privilège doit être immédiatement aboli. Nous sommes à votre disposition pour vous fournir tout renseignement complémentaire et serions heureux d'obtenir un rendez-vous d'un de vos collaborateurs pour avoir l'assurance que vos propos ne resteront pas lettre morte.

    Confiants dans votre volonté d'équité et de neutralité, nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de nos salutations respectueuses.

    Muriel ARNAL,
    Présidente de l'association One Voice
    Pierre ATHANAZE,
    Président de l'ASPAS (Association pour la protection des Animaux Sauvages)
    Gérard CHAROLLOIS,
    Président de la Convention Vie et Nature
    David CHAUVET,
    Vice-Président de l'association Droits des Animaux
    Armand FARRACHI,
    porte-parole du Collectif pour l'abolition de la chasse à courre
    Christophe MARIE,
    directeur du B.P.A. de la Fondation Brigitte Bardot
    Christine SAUMON,
    chargée de communication de l'Association pour la défense des victimes de la chasse
    Orianne VATIN,
    chargée de communication de la SPA (Société Protectrice des Animaux)

    Notes

    1. Le ministre de l'Éducation nationale, V. Peillon a déclaré "Ne faisons pas de prosélytisme à l'école" (AFP)

    Auteur

    avatar Christophe Magdelaine / notre-planete.info - Tous droits réservés


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  • L'Agence européenne de sécurité des aliments pointe le risque du Gaucho, du Poncho et du Cruiser pour les abeilles.

    Accusés de porter atteinte aux colonies d'abeilles, trois insecticides utilisés en traitement de semences pourraient être bientôt interdits ou, à tout le moins, strictement réglementés en Europe. Même si certaines données sont encore indisponibles, le rapport publié mercredi en ligne par l'Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa) est accablant pour l'imidaclopride (Gaucho), la clothianidine (Poncho) et le thiamotexam (Cruiser) qui se retrouvent de plus en plus sur la sellette.

    Les experts scientifiques de cette institution basée à Parme (Italie) ont identifié trois voies d'exposition des abeilles à ces pesticides: via le pollen et le nectar des fleurs, les poussières dispersées lors des semis ou encore les exsudats secrétés par les plantes traitées. Sur le premier point, «seuls les usages sur des cultures non attractives pour les abeilles sont considérés comme acceptables», écrivent-ils. Ce qui exclut a priori le colza et le tournesol, plantes mellifères régulièrement visitées par les pollinisateurs.

    S'ils ne les tuent pas directement, ces insecticides systémiques de la famille des néonicotinoïdes ont pour effet de désorienter les abeilles au point de les rendre incapables de retrouver leur ruche. C'est ce qu'avait démontré, pour la première fois de manière expérimentale, une étude française publiée en mars dernier dans la revue Science. Suite à ce travail, piloté par des chercheurs de l'Inra d'Avignon et de l'Association de coordination technique agricole (Acta), la France avait interdit, en juillet, l'utilisation du Cruiser OSR sur semences de colza. De son côté, la Commission européenne avait saisi l'Efsa en lui demandant de procéder à une évaluation complète de ces produits.

    Jugeant les conclusions de l'agence «inquiétantes», Frédéric Vincent, porte-parole de Tonio Borg, commissaire européen en charge de la Santé et des Consommateurs, a indiqué qu'une lettre sera adressée «cette semaine» aux groupes Bayer et Syngenta qui commercialisent les trois produits incriminés. Les industriels ont «jusqu'au 25 janvier pour répondre». Ensuite, «la Commission, avec les États membres, prendra les mesures qui s'imposent», en particulier lors de la réunion du comité permanent de l'UE en charge de ces questions prévue le 31 janvier, souligne M. Vincent.

    En plus de la France, d'autres États membres, comme l'Italie, l'Allemagne, les Pays-Bas et la Slovénie ont déjà limité ou interdit l'usage de ces produits. L'objectif de la Commission européenne est d'arrêter une ligne de conduite commune au sein de l'UE qui peut aller jusqu'à une interdiction des produits incriminés.

    «Cet avis identifie les risques mais ne prend pas en compte l'impact positif des mesures de gestion», déplore Xavier Thévenot, de Syngenta, qui cite l'exemple des déflecteurs installés aujourd'hui en France, sur la quasi-totalité des semoirs de maïs. Testée par l'Irstea (ex-Cemagref), «cette technique permet d'éviter la dispersion des poussières et donc de protéger efficacement les abeilles», insiste-t-il.

    Les industriels chiffrent les bénéfices des nicotinoïdes à 4,5 milliards d'euros par an pour l'économie européenne. Ils rappellent également, non sans raison, les abeilles paient aussi un lourd tribut aux maladies, aux parasites comme le varroa ou le frelon asiatique, à la disparition de leur habitat, pour les espèces sauvages, et au manque de nourriture.


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  • Le bruit fait des ravages sur les espèces marines

    Le bruit généré par les forages provoque sur les cétacés des dégâts considérables (ci-dessus, une baleine bleue nageant devant une plate-forme pétrolière dans l'océan Pacifique, au large des côtes californiennes).  

    L'Europe devrait bientôt instaurer des seuils sonores pour protéger la faune.

    On connaît les dégâts causés par la surpêche, les scientifiques sont en train de découvrir ceux liés au bruit généré par les hommes dans tous les océans du monde. Cela concerne les cétacés, sans doute les poissons et, beaucoup plus surprenant, les mollusques.

    La question est prise très au sérieux par l'Europe. Michel André, qui travaille au laboratoire de bioacoustique de l'université polytechnique de Catalogne (Barcelona Tech), est un des scientifiques membres d'un groupe de travail chargé de réfléchir à l'élaboration de seuils en matière de pollution sonore. Si la tâche est complexe, elle paraît de plus en plus indispensable.

    Les rubriques animalières présentent régulièrement des images de cétacés échoués sur des plages, totalement désorientés. Le bruit est largement en cause. «Le bruit des bateaux, celui lié à la construction de ports mais aussi et surtout le bruit des sonars militaires et des forages qui sont menés tant pour trouver des matières premières que pour amarrer des plates-formes pétrolières ou les fermes éoliennes offshore», explique Michel André. C'est ainsi qu'en 2008-2009, l'échouage de quatre marsouins sur les côtes allemandes de la mer Baltique a été imputé à la construction d'une ferme éolienne au large. Faute de règles et de seuils sonores à ne pas dépasser, l'entreprise, au banc des accusés, n'a jamais réussi à reprendre le chantier.

    Un nouveau texte

    «Connaître la sensibilité acoustique des organismes marins est très difficile», prévient Michel André. «Mais alors que l'on pensait que seuls étaient concernés les animaux tels que les cétacés qui vivent grâce à l'information acoustique qu'ils émettent et perçoivent, on est en train de découvrir que le problème du bruit est nuisible pour d'autres espèces et notamment les mollusques.» Une étude publiée en 2011 dans la revue Frontiers in Ecology and the Environmentmontre ainsi que sèches, poulpes et autres céphalopodes sont peut-être encore plus sensibles au bruit que les cétacés. Ces animaux n'entendent pas à proprement parler les sons mais lorsqu'ils sont exposés à de basses fréquences associées aux activités humaines, leurs cellules cillées qui vibrent à la même fréquence les perçoivent et peuvent être détruites. L'animal perd ses repères, n'arrive plus à se nourrir et devient la proie des prédateurs.

    En Australie, le phénomène est apparu de façon assez incroyable. Alors que le pays collectionne les grandes fermes aquacoles pour l'élevage des coquilles Saint-Jacques, des scientifiques ont été appelés à la rescousse ces dernières années pour tenter de déterminer les causes de grands épisodes de mortalité. Comme dans beaucoup d'endroits, ils ont d'abord regardé du côté de la pollution chimique ou des épidémies, mais en vain. Jusqu'au jour où ils se sont rendu compte que ces vagues de mortalité intervenaient quelques jours après des prospections sismiques (des ondes émises dans les sols lors des forages notamment) menées plus au large.

    Toute la chaîne alimentaire pourrait-elle être concernée? «La question se pose», souligne le scientifique. Jusqu'en 2015, les États européens sont tenus de mesurer le bruit existant autour de leurs côtes. Le bruit est ainsi un des onze polluants étudiés en vue de compléter la directive de 2008 baptisée Marine Strategy Framework. Le nouveau texte devrait voir le jour en 2014, les pays auront ensuite jusqu'en 2020 pour se mettre aux normes. Dans la foulée, tous les utilisateurs des océans seront contraints de prendre leurs précautions. Cela peut signifier pour les bateaux de ralentir ou pour les chantiers de forage de réduire leur intensité voire de cesser quelques jours leurs activités, le temps que les espèces évoluant alentour passent tranquillement leur chemin.

     


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    "On constate une dégradation progressive de l'accès aux soins"

     

     

    Entretien avec Jean-François Corty, directeur des missions France de Médecins du monde, sur la question de l'accès aux soins pour tous.

    Jean-François Corty est directeur des missions France de Médecins du monde, ex-bénévole et chef de missions sur le terrain et également chargé d’enseignement à l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse.

    Quelles sont les conséquences, selon vous, de la crise sur l’accès aux soins en France?

    Médecins de Monde, en France depuis de nombreuses années avec près d’une centaine de projets auprès des populations les plus précaires, constate une dégradation progressive ces dernières années de l’accès aux soins et de la santé des populations les plus précaires avec, de fait, une accentuation des inégalités de santé.

    Pour quelles raisons?

    Le constat, c’est que l'on voit une augmentation des consultations chez Médecins du Monde et une augmentation d’un indicateur fondamental qui est le retard de recours aux soins. Près de 38% des personnes précaires, qu’elles soient en situation irrégulière ou françaises, retardent leurs soins et vont attendre parfois jusqu’au dernier moment avant de consulter. Cela rejoint des enquêtes faites par d’autres acteurs qui montrent que 30% des populations précaires françaises retardent leurs soins pour des raisons financières, que ce soient des soins dentaires, ophtalmologiques mais aussi, de plus en plus, des soins courants.

    > Ecoutez Jean-François Corty:

    Vous avez aussi constaté que les femmes enceintes sont de moins en moins nombreuses à se présenter aux consultations…

    Sur le plan médical, on a dans nos consultations près de 45% de femmes enceintes qui retardent leur suivi de grossesse classique et près de 40% des patients que l'on voit nécessitent un suivi de plus de six mois. Il ne s’agit pas de "bobologie". Ce sont des vraies maladies. 12% de nos patients sont des mineurs, donc des enfants qui, alors qu’ils devraient avoir un accès inconditionnel aux soins, présentent des difficultés d’accès aux soins. Alors pourquoi ce constat? Bien évidemment, la crise économique vient impacter la précarité et la pauvreté. Mais il y a trois éléments de réponse pour expliquer ce retard de recours aux soins des populations les plus précaires.

    D’abord, des dispositifs sont encore difficilement accessibles. Lorsque l’on est un sans-papier, on peut bénéficier de l’aide médicale d’Etat. Il faut justifier de trois mois de présence sur le territoire, d’un lieu de domiciliation, et cela n’est pas évident lorsque vous n’avez pas de lieu de vie. Il faut par ailleurs maîtriser la langue pour remplir un dossier souvent compliqué avec des délais d’ouverture qui, parfois, prennent plus de trois à six mois. C’est une première contrainte. 

    Quatre millions de travailleurs pauvres français n’ont pas de couverture mutuelle. Ils ont ce que l’on appelle un "reste à charge", qui est de plus en plus important parce que notre système de santé est de moins en moins solidaire. Il y a de plus en plus de franchises, de moins en moins de remboursements, notamment de médicaments, et donc ces personnes ont des difficultés financières à pouvoir accéder aux soins.

    Deuxième élément de réponse, nous avons un dispositif de droit commun, notamment pour l’accès aux soins, qui sont les permanences de santé, des dispositifs en milieu hospitalier qui devraient pouvoir accueillir les personnes précaires. Mais ces dispositifs sont en nombre insuffisant au regard de la loi. Il devrait y en avoir 500 et on en observe que 400. Et sur les 400 existantes, il n’y en a que très peu qui sont réellement fonctionnelles.

    Enfin, dans les contraintes à l’accès aux soins, le phénomène de dépassement d’honoraires est une réalité de la part de certains médecins, notamment en secteur 2. Parfois, il faut faire aussi face au refus de soins de certains médecins qui ne veulent pas avoir des patients dépendant de l’aide médicale d’Etat ou de la Couverture maladie universelle (CMU) dans leurs consultations.

    Enfin, le troisième niveau d’explication du retard de recours aux soins dans un contexte de crise majeure, c’est bien l’observation d’une tension entre des enjeux de santé publique et de politique sécuritaire. Pour les usagers de drogues par voie intraveineuse par exemple, on voit bien que ces personnes sont affectées par l’épidémie d’hépatite C.

    Dans 60% des cas, il faudrait des dispositifs innovants comme les salles de consommation à moindre risque. Cela prend du temps, même si la ministre y est favorable. Le délit de racolage passif pour les personnes qui se prostituent va aggraver leurs conditions d’accès aux soins et leurs conditions d’accès aux droits.

    Désormais, voyez-vous arriver d’autres catégories de personnes? Des couches sociales qui n’étaient pas concernées par la crise il y a quelques années?

    Dans nos populations, on a en grande majorité des migrants – dans près de 90% des cas, et près de 10% de population française précaire. On voit revenir de plus en plus ces derniers temps, ces nouveaux pauvres, ces travailleurs pauvres français, qui pour des raisons d’effet de seuil, notamment, n’ont pas la capacité de pouvoir obtenir la couverture médicale universelle complémentaire parce qu’ils gagnent trop, mais ne gagnent pas assez pour pouvoir se payer des mutuelles.

    On voudrait donc étendre notre connaissance des difficultés à accéder aux soins de ces personnes. C’est pour cela que nous allons démarrer des projets innovants en zone rurale l’année prochaine, en Auvergne et en Alsace, et nous allons aussi travailler sur les zones urbaines sensibles pour justement, essayer d’étoffer nos connaissances sur ces populations-là et mieux comprendre leurs difficultés d’accès aux soins pour mieux être dans le débat et être force de proposition pour améliorer leur accès aux droits et aux soins.

    Pour améliorer l’accès aux soins des populations les plus précaires, il faut simplifier les dispositifs. Nous pensons, comme d’autres, qu’il faut fusionner le dispositif d’aide médicale d’Etat et la CMU pour permettre une facilitation d’ouverture des droits pour ces populations, qu’il faut relever le seuil d’attribution de la CMU C [mesure figurant dans le plan de lutte contre la pauvreté annoncé par le Premier ministre, ndlr] et rendre aussi des dispositifs d’accès aux soins, comme les permanences d’accès aux soins de santé, plus efficients, qu’ils soient en nombre plus conséquents et plus opérationnels.

    Quels pays, selon vous, proposent des solutions alternatives qui pourraient servir de modèle à la France?

    C’est une question compliquée! Pour l’instant, la tendance à l’échelle européenne, c’est un petit peu une stigmatisation, une criminalisation des précaires et notamment des migrants avec une remise en question de certains dispositifs de soins. On l’a vu en Espagne. L’accès aux soins des populations sans-papiers a été fortement remis en question après les dernières modifications, ce qui va contraindre l’accès aux soins des plus précaires.

    Pour certaines populations (les populations roms migrantes notamment de Bulgarie et de Roumanie), même s’il y a des recommandations à l’échelle européenne, il y a une grande stigmatisation et beaucoup de violence qui s’applique pour elles. Il faut donc respecter les recommandations, tant du Conseil de l’Europe que de l’Union européenne, pour leur faciliter l’accès aux droits et aux soins et supprimer les mesures transitoires en termes d’accès au travail qui les impactent au moins jusqu’en 2014.

    Comment voyez-vous la situation évoluer en 2013?

    C’est en temps de crise que les mesures qui prennent en compte la solidarité dans les politiques publiques doivent être appliquées, parce que la solidarité, qui est un mode de penser l’altérité, va permettre d’améliorer l’accès aux soins et aux droits des plus précaires et contribuer à la diminution des inégalités sociales de santé. Ce n’est pas qu’un point de vue idéologique, qui consisterait à dire que la solidarité doit faire partie de nos politiques publiques parce que l'on estime que c’est bien. C’est aussi une question de santé publique, car c’est en favorisant l’égalité à l’accès aux soins que l’on contribuera à un meilleur état de santé global des populations.

    Dans ces conditions, en tout cas pour ce qui relève de la France, dans le cadre du plan quinquennal qui devrait sortir début de l’année prochaine sur la lutte contre les exclusions et la pauvreté, nous disons qu’il est nécessaire de faciliter l’accès aux soins des plus précaires, de mettre les moyens, notamment budgétaires, et une volonté politique, pour que l'on mette en place des dispositifs où la solidarité est un des piliers fondamental parce qu’il faut protéger les plus pauvres.

    Encore une fois, c’est en temps de crise que cette approche est légitime et qu’il faut avoir des décisions politiques ambitieuses et concrètes. Nous avons des propositions concrètes que l'on a abordées ensemble pour améliorer l’accès aux soins des plus précaires.

    > Article initialement publié sur la plateforme Génération Solidarité d'Arte et édité pour Youphil.com.

    Crédit photo: Flickr/e-MagineArt.com.

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  •  Romain De Oliveira  (Youphil)     02/01/2013

     

    Cette entreprise sociale a reçu le prix Ashoka 2012. Reportage dans une de ses usines, près de Lille.

    Les camions défilent sur le parking de l’usine. Portes grandes ouvertes, les quais se remplissent de machines à laver, de réfrigérateurs hors d’usage, de micro-ondes en piteux état ou de télévisions dont les écrans ont vécu.

    Bienvenue dans l'usine Envie2e nord, à Lesquin. “Ici on prononce Lékin”, me fait remarquer Antoine Bucher, directeur de la communication du groupe Vitamine T et mon guide au cœur des broyeurs et autres recycleurs.

    Envie2e nord est l’un des fleurons du groupe Vitamine T, situé lui aussi à Lesquin. Cette société par actions simplifiées (SAS), créée en 1987, regroupe aujourd’hui treize entreprises d’insertion (EI), ateliers chantier d’insertion (ACI) ou entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI). Son cœur de métier? Créer des passerelles entre le monde du privé et le secteur social pour développer la co-création d'entreprises d'insertion.

    En tant qu'entreprise qui réoriente les personnes éloignées de l'emploi sur le chemin du travail, Vitamine T bénéficie de financement publics orientés vers l'accompagnement social de ses salariés.

    "Nous ne sommes pas dans l'économie de réparation"

    Cela fait déjà sept ans qu'Envie2e nord, "joint-venture" créée avec la société Van Gansewinkel, spécialisée dans le retraitement des déchets au Benelux, s’est installée dans la zone industrielle de cette petite ville de 6000 habitants, dans la banlieue lilloise.

    Ici, nous ne sommes pas dans l’économie de la réparation. Nous voulons aider les gens à s’en sortir par le travail”, m’explique tout simplement André Dupon, président exécutif de Vitamine T depuis 2008 et membre du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves).

    Cet ancien éducateur spécialisé toujours pressé est un fervent défenseur de l'économie sociale et solidaire. "L'ESS est une réponse d’après crise. Nous créons des emplois non délocalisables et innovants […]. Mais je reste lucide, l’ESS n’a pas vocation à être le seul levier du retour de la croissance dans notre pays."

    Décharger, casser, recycler

    Deux expressos bien tassés plus tard, nous voilà en train de visiter l’usine. Décharger, désosser et envoyer le tout sur les tapis roulants. L’action est répétitive et rappelle l'univers des Temps modernes.

    Le bruit lancinant des machines oblige à porter des bouchons d'oreilles, et pour éviter tout accident avec les chariots élévateurs qui filent à toute berzingue, mieux vaut suivre les lignes jaunes au sol.

    Depuis sa création en 2005, près de 100.000 tonnes d’électroménager et de tubes cathodiques sont passées dans les machoires des monstres d’aciers qui mastiquent le métal à longueur de journée.

    Cette entreprise d’insertion spécialisée dans le recyclage a été créée pour répondre aux nouvelles exigences en matière de retraitement des déchets. Depuis 2011, elle fait également partie des quelques entreprises aptes à recycler les écrans plats, symboles de l'obsolescence programmée.

    En 2011, Envie2e nord a signé la Charte Co2 et s'engage à améliorer ses pratiques de recyclage pour le respect de l'environnement.

    D’après le bilan social de l’année 2011, 3062 personnes sont salariées du groupe Vitamine T, dont 2122 en parcours d’insertion. “Avec nos différentes filiales, nous sommes un tremplin vers l’embauche. Les personnes salariées en insertion peuvent rester pendant 24 mois maximum. Nous les dirigeons ensuite vers des formations qualifiantes ou un contrat”, explique Antoine Bucher.

    En 2011, 55% des personnes sortant des treize filiales ont ainsi obtenu un CDD, un CDI ou une formation. Un pourcentage pourtant inférieur à celui de 2010 (67% de taux de sortie positive sur l’emploi). “Cette baisse est due à la crise. Nous sommes impactés au même titre que n’importe quelle entreprise”, relativise Antoine Bucher. “Et même s’ils n’ont pas un emploi à la clé, ce n’est pas forcément un échec. Ils ont pu résoudre un problème d’endettement ou trouver un logement.

    Une histoire de reconversions

    Daniel a 59 ans. Cela fait déjà 8 ans qu’il dévisse et désosse les appareils ménagers qui tombent sous sa perceuse et son marteau. Daniel est surtout un ancien de “La Thomson” comme il dit.

    Jusqu’en 2001, les 14.000 mètres carrés d’Envie2e nord étaient occupés par l’ancienne usine Thomson-Brandt. Créée en 1893 et rebaptisée par la suite Selnor, “La Thomson” était un véritable pillier de l’industrie locale. Jusqu’à 6000 personnes travaillaient ici chaque jour.

    À la fin du mois d’avril 2001, un plan social est confirmé pour les 670 employés toujours en poste sur le site. Ça été vécu comme un choc pour toute la région”, explique Daniel

    Daniel a 59 ans et est ancien salarié de "La Thomson". Cela fait déjà 8 ans qu'il travaille à Envie2e nord.

    Sur les 220 employés que compte Envie2e nord (dont 110 en parcours d’insertion), 70 sont d’anciens salariés de "La Thomson". “Notre politique était d’embaucher en priorité les anciens salariés. Après un parcours d'insertion, certains sont finalement restés”, indique Antoine Bucher. C’est le cas de Daniel par exemple.

    “Ça n’a pas été évident de me reconvertir et je gagnais bien mieux ma vie avant. Que voulez-vous que je fasse avec le Smic aujourd’hui? Depuis 8 ans que je suis ici, je n’ai jamais été augmenté”, déplore Daniel, amère. “Mais je ne me plains pas trop, j’ai un travail à mon âge”, ajoute-t-il en continuant à désosser une machine à laver.

    Tous les employés gagnent en effet le Smic, “avec un écart de salaire de 1 à 7 en moyenne”, précise Antoine Bucher. La limitation de l'écart entre le salaire le plus élevé et le moins élevé dans une entreprise est une caractéristique du secteur de l'ESS.

    Au mois d'octobre 2012, André Dupon a obtenu le prix Ashoka 2012, qui récompense les entrepreneurs sociaux. "Une belle récompense et une nouvelle dynamique pour tout le groupe", sourit l'intéressé. Mais en temps de crise et de hausse inquiétante du chômage en France, c'est surtout la reconnaissance d'un modèle économique viable, mais "qu'il faut encore développer".

    Crédits photos: Romain De Oliveira

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  •   Le jus d’orange saute-t-il directement des vergers floridiens d’Eduardo, le producteur modèle, à votre table de petit-déj ? Dans sa com, le fabricant américain joue à fond la carte de l’authenticité. Avec un zeste d’exagération.

    Tropicana affiche un air naturel un peu trop vitaminéEduardo se promène en chemise à carreaux dans son verger baigné par les rayons du soleil couchant. « Il y a une chose dont je suis particulièrement fier, assure-t-il, c’est la qualité de mes oranges. C’est le seul et unique ingrédient du jus d’orange Tropicana. Je m’appelle Eduardo et je cultive les oranges pour Tropicana depuis quinze ans. On les choisit une à une. On les cueille à la main afin de produire un jus d’orange au goût exceptionnel. » Ces images idylliques, ces références au naturel, ça donne envie d’aller voir plus loin que la pub télé. Et de répondre à deux questions existentielles : « Eduardo existe-t-il vraiment ? » et « Naturel, à quel point ? »

    Stratégie

    Eduardo, c’est pas du toc, assure-t-on chez la marque, rachetée en 1998 par le groupe américain PepsiCo. Eduardo Pines est d’origine vénézuélienne, marié à une New-Yorkaise, et cultive son verger en Floride, aux Etats-Unis. Et pour fabriquer du 100 % pur jus, comment fait-on ? « Les oranges Tropicana proviennent du Brésil et de Floride, explique le service de presse en France. Elles sont pressées dans les 24 heures, afin de préserver leurs qualités d’origine, leurs arômes et la vitamine C qu’elles contiennent. Le jus d’orange Tropicana est pasteurisé (pour le jus vendu au rayon ambiant) ou “ flash-pasteurisé ” (pour le jus vendu au rayon réfrigéré), afin de garantir sa stabilité microbiologique. Ce procédé est une garantie de sécurité et de conservation des jus. Il consiste à les chauffer durant quelques secondes, le barème de pasteurisation étant moins fort dans le cas de la “ flash-pasteurisation ”. Il permet d’offrir aux consommateurs des 100 % pur jus dont le goût des fruits et la vitamine C sont préservés au mieux, sans aucun ajout (conservateurs, colorants, arômes…). » Enfin, les jus sont transportés par bateau dans des conteneurs et embouteillés dans les usines françaises et belges.

    Cas d’école

    Outre-Atlantique, un livre a lourdement perturbé la com de Tropicana. En 2010, Alissa Hamilton publiait une très sérieuse enquête baptisée Squeezed : What You Don’t Know About Orange Juice (Yale University Press), soit « Pressés, ce que vous ignorez sur le jus d’orange ». La chercheuse y affirme que Tropicana se fournit de moins en moins en Floride, et de plus en plus au Brésil. Et pour cause, « la terre y est moins chère, et les réglementations environnementales quasi inexistantes ». En Floride, poursuit-elle, « les vergers disparaissent. Ils sont remplacés par des lotissements ». Eduardo a du souci à se faire. Mais le très gros pépin débusqué par Alissa Hamilton concerne la composition des jus Tropicana, conservés jusqu’à un an dans des conteneurs. Au moment de leur mise en bouteille, pour leur donner le goût de frais qui convient au consommateur américain, la marque y ajoute un additif issu d’essence d’orange, tirée du zeste – là où se concentrent les fongicides –, et modifié chimiquement. Comme cet additif est issu de l’orange, Tropicana s’est bien gardé de le signaler sur ses emballages. Voilà qui en a irrité plus d’un : une vingtaine de procès, accusant Tropicana de publicité mensongère, sont en cours aux Etats-Unis. Interrogé sur ce point, le service de com français répond : « Cette question relève du marché nord-américain. Nous ne sommes donc pas en mesure de vous apporter une réponse les concernant. » Et de marteler que, dans l’Hexagone, on n’ajoute « ni sucres, ni eau, ni colorant, ni conservateur, ni additif à partir d’essence d’orange ».

    Verdict

    S’il n’y a pas d’additif de ce côté-ci de l’Atlantique, il n’y a pas de pub mensongère. Juste un spot qui enjolive la réalité en nous emmenant au paradis ensoleillé d’Eduardo. Et le naturel dans tout ça ? C’est une notion bien relative, qui n’a aucune définition précise. L’univers du marketing en abuse depuis toujours. Tropicana aussi ? On a vu bien pire. Reste un bilan carbone forcément plus lourd que celui d’un jus local : 1,7 kg de carbone émis tout au long de la vie d’une bouteille de deux litres de « Pure Premium », selon une étude commandée par Pepsi en 2009, dont 60 % pour la production et l’utilisation d’engrais de synthèse. La marque tente de faire baisser l’addition : restes d’oranges transformés en engrais, 95 % des emballages en carton certifié FSC, bouteilles en PET issu de plastique recyclé à 50 %, gamme bio depuis 2011. Disons que ça passe pour Tropicana… mais à l’orange !

    Avis de l’expert : 3,5/5

    Stéphanie Gentilhomme, de l’Agence RendezVous RP

    « L’allégation “ 100 % pur jus ” semble fondée sur la réalité de la production. Tant mieux. On peut cependant déplorer que la pub joue la carte “ petit producteur ” de façon gratuite. La mise en scène du très artisanal et très photogénique Eduardo, qui choisit et cueille ses oranges une à une, est probablement très éloignée de l’échelle Tropicana (groupe PepsiCo). Les consommateurs s’intéressent à l’origine de leurs aliments, et aiment connaître l’histoire des producteurs. Tropicana répond à cette “ soif d’authenticité ” de façon légèrement malhonnête. »


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