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    Afghanistan: les Américains en plein déni de défaite

    Régis Soubrouillard - Marianne | Mercredi 8 Février 2012 

    Lieutenant Colonel dans l'armée américaine, l'officier Daniel Davis a passé un an en Afghanistan où il a pu rencontrer de nombreux soldats américains, chefs de l'armée afghane ou de villages. Dans un rapport gênant pour l'état major américain, il décrit la situation tactique catastrophique sur le terrain et les mensonges des chefs militaires.

    cc flickr by US Army
    cc flickr by US Army
    « J’ai passé l‘année dernière en Afghanistan, visitant et parlant avec les troupes américaines et leurs partenaires afghans. Mon engagement au sein de l’unité d’équipement rapide (Rapid equipment Force) m’a permis de me rendre sur tous les terrains où nos soldats étaient engagés de manière significative. Ce que j'ai vu sur le terrain ne ressemblait en rien à la situation favorable décrite dans les rapports officiels des chefs militaires américains » la déclaration fait l’effet d’une bombe. Surtout qu’elle émane du Lieutenant Colonel Daniel L. Davis dans l’Armed Forces Journal. Dans un long texte intitulé « Vérités, mensonges et Afghanistan. Comment les chefs militaires nous ont laissé tomber », le Lieutenant Colonel Davis décrit avec précision l’imposture afghane.

    Un verdict édifiant et un démontage en pièces du story-telling militaire par un militaire de l’US Army: « Avant mon arrivée, j’avais l’espoir d’apprendre que les constats formulés étaient vrais : améliorations des conditions de vie en Afghanistan. Sans m’attendre à des résultats spectaculaires, j’espérais au moins assister à des évolutions positives. Au lieu de cela, j’ai été témoin d’un échec total à tous les niveaux ».

    Au long de ses 10.000 kilomètres de patrouilles, le Lieutenant Colonel Davis a pu interviewer plus de 250 soldats et s’entretenir avec des responsables de l’insurrection afghane, des chefs de villages ou des « anciens ». Selon lui, les responsables locaux du gouvernement afghan ne remplissent pas leur mission auprès de la population et les forces afghanes rechignent à combattre l'insurrection. Il arrive même que les forces afghanes soient de connivence avec les talibans.

    Une situation tactique catastrophique

    Et le Lieutenant-Colonel Danis de multiplier les exemples de la perte de contrôle du terrain par les troupes alliées. Le 11 septembre 2011, rencontrant un responsable local afghan conseiller auprès des forces US, il lui demande son sentiment sur la capacité des forces afghanes à tenir tête aux Talibans après le départ des américains : « Ils en seront incapables. Dans cette région, de nombreux éléments des forces de sécurité ont conclu un pacte de non-agression avec les talibans : ils ne leur tirent pas dessus et les talibans font de même ».

    C’est la description d’une défaite et d'un immense gâchis : « Dans tous les endroits que j’ai visité, la situation tactique était soit mauvaise, soit catastrophique. Les événements que je décris pourraient éventuellement s’inscrire dans un contexte de guerre difficile pour un pays engagé dans un conflit depuis un an, deux ans, voire quatre ans. Mais c’est inconcevable pour des forces engagées depuis 10 ans ».

    Fabrication d'ennemis virtuels: une arme à double tranchant

    Engagé personnellement dans une campagne de sensibilisation de l’opinion publique et des institutions, il a fourni une version détaillée et classifiée de son rapport à des membres du Congrès et du Ministère de la Défense : « Si les américains étaient en mesure de comparer les déclarations publiques de la plupart de nos dirigeants avec les rapports classés de nos services, la crédibilité de notre politique dans la région s’en trouverait gravement atteinte ». Daniel Davis attend désormais l’autorisation du service de communication des armées pour mettre en ligne, sur son blog, une version publique de son rapport.

    Vingt ans après Jean Baudrillard qui dans La guerre du Golfe n’aura pas lieu décrivait « l’enlisement de la guerre dans un suspense interminable » par l’intoxication médiatique, pointant la fabrication d’une guerre imaginaire alors que « sur l’Echelle de Richter, la guerre du Golfe n’atteindrait même pas le degré deux ou trois ». Les communicants du Pentagone ont revu leurs classiques, toujours dans la logique de fabrication d'ennemis virtuels, l’heure n'est plus à la sublimation de la victoire mais au déni de défaite. Avec Baudrillard, il serait temps de se rendre compte que cette guerre d’Afghanistan a trop eu lieu...

    Engagement massif ou engagement en profondeur ?

    Le Lieutenant Colonel Davis aime mettre les pieds dans le plat. Déjà en octobre 2009, il publiait un article sur l’impasse stratégique afghane « Go Big or Go Deep ». En Afghanistan, les américains ont manifestement choisi la première option : « s’engager massivement sans que le niveau des effectifs soit suffisant pour être efficace. Le déploiement de forces fait passer les américains pour des envahisseurs » écrivait-il. L’option Go Deep priviligiée par Daniel Davis se voulait « une stratégie globale incluant les composantes essentielles de la communauté du renseignement, des forces d'opérations spéciales, des forces militaires conventionnelles, des militaires des unités conseils et assistance, d'aide gouvernementale et de développement, des conseillers économiques, le développement des fonctions éducatives, et d'autres éléments de la puissance nationale qui seraient synthétisés pour procéder à un effort de lutte antiterroriste agressive associée à un appui ciblé des habitants par les forces gouvernementales et militaires ». 

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