• Vendredi 28 Mars 2014
    Emmanuel Levy - Marianne     Journaliste économique à Marianne

    Quand les géants du BTP jouent à qui perd gagne, les Etats se retrouvent forcés de payer la facture, salée. La preuve par le tunnel du Perthus, hors de prix...


    Tunnel du Perthus, sous les Pyrénées, qui assure la liaison Perpignzn-Figueras, va être inondé d'argent public - DAMOURETTE/SIPA
    Tunnel du Perthus, sous les Pyrénées, qui assure la liaison Perpignzn-Figueras, va être inondé d'argent public - DAMOURETTE/SIPA
     
    Au premier abord, aucun rapport entre le stade de foot du Mans et le tunnel sous les Pyrénées assurant la liaison TGV entre Perpignan et Figueras. Pourtant, ces deux ouvrages construits en partenariat public-privé (PPP) sont en lice pour décrocher une petite médaille : celle du premier PPP à faire faillite.

    Quelques mois après l'inauguration du tunnel du Perthus, fin 2013, TP Ferro, la filiale d'Eiffage et de son partenaire ibérique ACS (50 % chacun), est dans une situation financière catastrophique. Selon la lettre professionnelle Mobilettre, elle n'a facturé que 300000 € par mois en 2013 pour le passage des rares TGV. Ses banques, qui lui ont prêté 500 millions d'euros sur les 1,1 milliard d'euros nécessaires, ont cédé leurs créances à des fonds vautours qui parient, eux, sur un sauvetage par les deux Etats.

    De fait, l'argent public coule à flots : outre les 600 millions de subventions publiques initiaux de Bruxelles, Paris et Madrid, les Espagnols ont dû rallonger de 130 millions d'euros, quand Eiffage et ACS se fendaient de 50 millions d'euros chacun. Une paille.

    «Les géants du BTP ont sciemment surestimé les hypothèses de recettes pour faire valider l'opération. Leur but : couler du béton et faire une bonne marge. Quitte à s'asseoir sur leurs 50 millions, explique un haut cadre à la SNCF. C'est ce qui risque d'arriver avec les autres PPP ferroviaires, partagés entre les trois grands : Bouygues pour la liaison Nîmes-Montpellier, Vinci pour Tours-Bordeaux et Eiffage pour la LGV Bretagne.»

    Sous la menace d'un dépôt de bilan de TP Ferro, les gouvernements français et espagnol devraient bientôt annoncer qu'ils se retrouvent avec le bébé sur les bras. Très lourd, le bébé.

    Paru dans le 883

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  •    « Réunionnais de la Creuse » : pourquoi cinquante ans de silence ?

    Rémi Noyon | Journaliste  Rue 89
    Mis à jour le mardi 18 février 2014 
    Ajout de quelques informations apportées par la députée Monique Orphée.
     

    Entre 1963 et 1982, 1 600 enfants réunionnais ont été expédiés dans des départements vieillissants par la Ddass. Ce mardi, les députés se prononcent sur « la responsabilité morale » de l’Etat.


    Quelques-uns des enfants créoles emmenés en métropole (RICLAFE/SIPA)

    Au début des années 60, Michel Debré, alors député d’outre-mer, est obsédé par la « surnatalité » qui grève La Réunion. Plein de nobles sentiments, il entreprend de drainer de jeunes Réunionnais vers des départements vieillissants comme la Creuse, le Tarn ou le Cantal.

    Immatriculés « pupilles de l’Etat », des enfants sont expédiés en métropole, à 9 000 kilomètres de chez eux, par la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass). Placés dans des familles paysannes, certains vivent heureux. D’autres font face à la solitude, au déracinement et au racisme ordinaire. L’expérience se solde par des suicides et des troubles psychiques.

    Ce mardi, les députés se prononcent sur « la responsabilité morale [de l’Etat] » dans ce transfert de plus de 1 600 enfants réunionnais, mené entre 1963 et 1982.

    Il a fallu cinquante ans au Parlement pour s’intéresser à cet épisode peu reluisant de la République. Une éternité si l’on compare avec nos voisins britanniques qui, dès les années 50, ont dressé un bilan très négatif des migrations d’enfants vers l’Australie. Côté australien, le Queensland a enquêté en 1999 sur les abus commis sur les gamins lors de ces déplacements.

    En France, rien de tel. La députée réunionnaise Ericka Bareigts, à l’origine de la proposition de résolution, souligne la méconnaissance de ce trait historique, jusqu’à La Réunion :

    « Personne ne s’est attaché à faire rentrer dans l’histoire de France cet épisode grave et brutal. Il faut arrêter de cacher une partie de notre mémoire. »

    Un rapport d’« une nullité formidable »

    C’est un dépôt de plainte, en 2002, qui va permettre de faire émerger l’affaire des « enfants de la Creuse » (expression impropre puisque 64 départements sont concernés). Devenu adulte, l’un de ces « pupilles », Jean-Jacques Martial, poursuit l’Etat pour « enlèvement et séquestration de mineurs, rafle et déportation ».

    Les actions en justice n’aboutiront jamais, en raison de la prescription des faits, mais les médias recueillent les témoignages de ces Réunionnais exilés. Certains vont jusqu’à parler – abusivement – de « déportation ». On retrouve deux documentaires sur le sujet qui n’avaient été que peu diffusés dans les années 90.

    Dans la foulée, la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Elisabeth Guigou, commande un Rapport à l’inspection générale des affaires sociales (Igas) [PDF]. Ce document, jugé « d’une nullité formidable » par des historiens, dédouane très largement l’Etat. Il faut lire entre les lignes pour comprendre que des familles ont été trompées, sommées de confier leurs enfants avec la promesse d’une vie meilleure et d’un retour rapide.

    Surtout, ce n’est pas une mission parlementaire qui mène l’enquête, mais l’administration. C’est-à-dire le supérieur hiérarchique de la Ddass...

    Dix ans passent avant qu’une députée réunionnaise ne dépose la proposition de résolution examinée ce mardi, visant à reconnaître la responsabilité de l’Etat. Citons tout de même le sénateur Jean Pierre Sueur, qui avait interpellé, en 2009, le ministre du travail et des affaires sociales de l’époque, en l’occurrence Brice Hortefeux. Sa question était restée sans réponse.

    Avant cela, rien. Ou pas grand-chose. Quarante ans de silence presque total.

    1968 : la « chasse aux enfants »

    Pourtant, l’histoire n’était pas inconnue. Dès août 1968, le journal communiste réunionnais Témoignages, lancé par Raymond Vergès (le père), publie un article titré : « Comment se fait le recrutement des immigrants réunionnais en France : volontaires ou volontaires forcés ? »

    L’auteur y parle de « chasse aux enfants » et s’interroge sur leur sort :

    « Ne sont-ils pas remis à des organismes privés ? Que deviennent les enfants ? Ne sont-ils pas acheminés vers la France ? »

    Le lendemain, le journal imprime le témoignage d’un père qui se déclare victime de l’enlèvement de six enfants.

    En décembre 1973, c’est le tout neuf quotidien Libération qui parle de « vol d’enfants » et titre « Les jeunes Réunionnais déportés vers la France ».

    Les députés communistes ne bronchent pas. Aucun homme politique n’extrait l’affaire de ces quelques lignes dans la presse de gauche. Il faut dire que le vocabulaire administratif de l’époque anesthésie la compréhension : on parle de « transferts interdépartementaux ».

    Même à La Réunion, le silence règne. L’universitaire Wilfrid Bertile s’inquiète, en 1968, de la prise en charge de ces « pupilles ». Mais lorsqu’il devient député, en 1981, il ne revient pas sur cet aspect des migrations vers la métropole.

    Debré, le grand républicain

    A l’époque, le traitement de ces jeunes ne choque pas grand monde. La Ddass a pour habitude de casser les fratries et de rompre tout lien avec les familles pour que les enfants puissent repartir de zéro. Cette politique est menée jusqu’à un rapport critique, rédigé par Jean-Louis Bianco et Pascal Lamy en 1989.

    Surtout, les « transferts » sont l’œuvre d’un grand résistant, père de la Constitution de la Ve République et ancien Premier ministre. C’est d’ailleurs là que se niche toute la perversité de l’affaire et son intérêt : c’est au nom de la République, qui ne reconnaît que des citoyens égaux, abstraits, sans origines, qu’est organisée la migration.

    L’historien Ivan Jablonka a rédigé l’un des rares livres sur le sujet :

    « Ce que fait Michel Debré est conforme à la pensée républicaine. Et c’est cela le plus troublant. Lorsqu’il envoie les gosses en métropole, c’est pour les intégrer à la République française : il veut donner une deuxième chance à ces enfants. C’est à la fois républicain et illégitime sur le plan moral. »

    Certes, les directeurs des Ddass font remonter aux préfets les difficultés qu’ils rencontrent avec ces enfants – en 1972, le préfet de Lozère relaye timidement ces avertissements – mais globalement, personne ne bouge dans l’administration. Le système perdure jusqu’en 1982.

    Pour Ivon Jablonka, il faut aussi considérer l’assise politique de Michel Debré, qui parvient à prendre l’ascendant sur les préfets. L’Etat cautionne l’initiative du député puisque le ministère de la Santé installe en 1972 une antenne de surveillance en métropole « pour suivre les placements d’enfants ».

    Ne pas parler de « pupilles »

    Alors que les mentalités évoluent dans les années 80, la « chape de plomb » continue de peser sur les « enfants de la Creuse ». L’expression est utilisée par le sociologue Philippe Vitale, qui a coécrit un livre sur le sujet après une véritable enquête de terrain. Pour lui, il y avait un manque d’intérêt pour ce qui semblait être un détail de l’histoire de la colonisation :

    « 1 600 gamins dans l’histoire de la traite et de l’esclavagisme, c’est, pour certains, un micro-évènement. »

    D’ailleurs, selon lui, le déroulé historique précis reste encore méconnu des politiques et se traduit par un proposition de résolution bancale. Il n’apprécie pas que la députée ait repris le terme de « pupille », qui gomme les mensonges faits aux parents :

    « Tous n’étaient pas pupilles au départ. Il y avait trois types de cas :

    • les pupilles de l’Etat, qui ont fait l’objet d’un abandon expressément formulé (article 55 du code de la famille) ou d’une déclaration judiciaire d’abandon (article 50) ;
    • les mineurs en garde, qui ont fait l’objet d’une décision de justice qui confie la responsabilité des enfants à l’autorité administrative ;
    • les mineurs recueillis temporairement, les parents donnant provisoirement la garde à la Ddass.

    Ces trois catégories, à l’arrivée en métropole, ont toutes tendu vers une seule : les pupilles. Mais utiliser le terme ainsi dénote une ignorance de l’Histoire. »

    Jointe au téléphone, la députée reconnaît spontanément que le terme ne détaille pas la réalité des faits et souligne qu’il reprend la catégorisation faite à l’époque.

    Elle a d’ailleurs co-signée une lettre envoyée à François Hollande, dans laquelle elle décrit l’utilisation abusive du statut de « pupille de l’Etat » :

    « Certains de ces enfants répondaient de toute évidence à ce statut. Mais pour d’autres, on aurait assuré aux familles les plus démunies afin d’obtenir leur consentement qu’un projet permettrait à leurs enfants de bénéficier dune formation en France métropolitaine et de revenir qualifiés à La Réunion. »

    L’« euphémisme » de la résolution

    Avec elle, la députée Monique Orphée détaille les objectifs du texte examiné ce mardi :

    • que ce drame soit enfin reconnu, avec la mise en place par le ministre de l’Outre-mer du comité d’historiens en charge de faire toute la lumière sur cette histoire ;
    • que les parents, pour certains aujourd’hui disparus, soient rétablis dans leur dignité.

    De son côté, Ivan Jablonka s’étonne de « l’euphémisme » mis au centre du texte. Le troisième alinéa de la résolution considère que « l’Etat a manqué à sa responsabilité morale envers ces pupilles » :

    « Cela sous entend que l’Etat a mal surveillé ces enfants. Ce n’est pas du tout cela, c’est beaucoup plus grave. C’est l’Etat qui a présidé à cette migration. C’est l’Etat qui a baladé les enfants au nom de l’idéal républicai


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  •  Le curieux destin de l’homme qui inventa une nouvelle langue

    Joshua Foer  25/02/2014  Rue 89  
     

      John Quijada, linguiste amateur californien, s’est promis d’inventer une langue qui échapperait aux défauts des autres  : l’ithkuil. Un beau jour, il est invité à effectuer un voyage en République de Kalmoukie.


    De l’ithkuil (Illustrations : Audrey Cerdan - Image de fond : Nasa)

    Il existe tant de manières de voir le monde. On peut entrevoir, repérer, visualiser, voir, regarder, épier, ou lorgner. Fixer, dévisager, scruter. Mater, surveiller, examiner. Chaque verbe suggère une subtile nuance  : « regarder » implique une volonté, « épier » évoque la dissimulation, « dévisager » apporte une idée de jugement social et « fixer », une note de stupéfaction.

        Making of

       Cette formidable histoire signée Joshua Foer a d’abord été publiée dans le New Yorker en décembre 2012. Elle a été traduite de l’anglais par Camille de Chevigny. Vous pourrez lire le texte intégral dans le prochain numéro de la revue Feuilleton, que nous sommes heureux de compter parmi nos partenaires. Au sommaire de cette livraison, signalons aussi une nouvelle inédite d’Alice Munro (Prix Nobel de littérature 2013). Mathieu Deslandes

    Lorsqu’on essaie de décrire l’action de la vue, on balaie une myriade de sens possibles. Cependant, puisque les pensées et les mots se situent à des niveaux différents, les expressions résultent toujours d’un compromis. Les langues sont de véritables fourre-tout. Elles évoluent au cours des siècles selon un procédé démocratique non planifié qui laisse derrière lui d’innombrables scories, des excentricités et des mots comme « cacochyme ».

    Quiconque se mettrait en tête de concevoir une nouvelle forme de communication n’aboutirait jamais à quoi que ce soit qui ressemblât de près ou de loin à l’anglais, au mandarin ou à l’une des 6000 langues parlées de nos jours. « Les langues naturelles sont valables mais cela ne veut pas dire qu’elles sont optimales », m’explique John Quijada, 53 ans, ancien employé du département des Véhicules motorisés de Californie, organisme public chargé de l’enregistrement des véhicules et des permis de conduire.

    Logique, efficacité : une « langue idéalisée »

    En 2004, il a publié sur Internet une monographie intitulée  : « Ithkuil  : une conception philosophique pour une langue hypothétique ». Ecrit comme un manuel de linguistique, le site web de quatorze pages cataloguait près de 160 000 le mots. Il détaillait la grammaire, la syntaxe et le lexique d’une langue que Quijada avait passé trente ans à inventer pendant son temps libre. Quijada était le seul à avoir jamais parlé ithkuil, et il n’avait jamais imaginé que cela puisse un jour changer.

    Dans sa préface, Quijada décrit ainsi la « haute ambition » qui était la sienne  :

    « Essayer de créer ce que les êtres humains, avec les seuls moyens du bord, n’inventeront jamais naturellement, ou alors uniquement par un effort intellectuel conscient  : une langue idéalisée qui vise le plus haut degré possible de logique, d’efficacité, de détail et d’exactitude accessible à l’expression cognitive orale, tout en réduisant au maximum les ambiguïtés, le flou, les illogismes, la redondance et la polysémie (la multiplicité de significations) et plus généralement l’arbitraire qui paraît inhérent aux langues naturelles. »

    L’ithkuil poursuit deux objectifs à première vue incompatibles  : être le plus précis et le plus concis possible, parvenir à rendre compte de presque toutes les pensées qui peuvent traverser un cerveau humain et le faire avec un minimum de sons.

    Des idées qui ne peuvent être exprimées que par l’intermédiaire de circonlocutions en français sont susceptibles d’être abrégées en un seul mot en ithkuil. Une phrase comme  : « Au contraire, je pense que cette chaîne de montagne escarpée pourrait se révéler à un certain moment moins abrupte », se traduit simplement par « Tram-mļöi hhâsmařpţuktôx ».

    La création d’une langue parfaite  ?

    Après la publication de son manuscrit sur Internet, il n’a pas fallu longtemps à la petite communauté de passionnés des langues pour prendre conscience de ce qu’un simple fonctionnaire sans diplôme universitaire comme Quijada avait accompli. Un site web qualifia l’ithkuil de « monument à la gloire de l’ingéniosité et des capacités de conception humaines ». Et s’il s’agissait de la concrétisation la plus aboutie du rêve chimérique qui hantent les philosophes depuis des siècles  : la création d’une langue parfaite  ?

    La première apparition de l’ithkuil dans la presse a été relevée en 2004, dans Computerra, un magazine de vulgarisation scientifique russe. Sous le titre « La vitesse de la pensée », l’article notait des similarités remarquables entre l’ithkuil et un langage imaginaire concocté par l’auteur de science-fiction Robert Heinlein dans son roman « Gulf » publié en 1949. Le récit de Heinlein décrit une société secrète de génies, les Hommes nouveaux, qui s’entraînent à penser plus vite et avec plus de précision à l’aide d’une langue baptisée « speedtalk », qui permet de condenser des phrases entières en quelques mots. Les Hommes nouveaux utilisent cette langue performante pour préparer leur complot contre les ignares « homo saps » et prendre le pouvoir sur le monde.

    Peu après la publication de l’article russe, Quijada a commencé à recevoir un flot régulier de messages provenant d’adresses mail en « .ru », le mitraillant d’obscures questions et exigeant des changements de la langue pour rendre les mots plus faciles à prononcer.

    Alexey Samons, ingénieur informaticien basé à Vladivostok, s’est attelé à la tâche monumentale de traduire en russe le site web consacré à l’ithkuil, et peu de temps après, trois forums russes ont émergé sur le Net pour débattre des mérites et des usages de l’ithkuil.

    Bakhtiyarov et la psychonétique

    Au début, cet intérêt émanant de la Russie laisse Quijada perplexe. « J’étais tout à la fois gêné, flatté et intrigué », raconte-t-il. « Mais au-delà de ça, je voulais surtout savoir qui étaient ces gens. »

    Début 2010, on lui fait suivre l’e-mail d’un universitaire ukrainien, Oleg Bakhtiyarov, rédigé dans un anglais approximatif. Bakhtiyarov se présente comme le directeur d’une institution d’enseignement supérieur récemment fondée à Kiev, l’université de développement réel, et comme le principal initiateur d’un mouvement philosophique  : la psychonétique.

    Quand Quijada interroge Google en couplant « Bakhtiyarov » et « psychonétique », il tombe sur une « jungle de jargon impénétrable » à propos d’« efforts destinés à développer l’esprit humain en s’appuyant sur un mélange d’idées occidentales et orientales », mais rien qui puisse éveiller ses soupçons quant aux motivations du groupe.

    L’e-mail invite Quijada à participer à une conférence intitulée « Technologie créative  : perspectives et moyens de développement » qui doit se tenir en juillet à Elista, capitale de la République de Kalmoukie, un petit Etat partiellement autonome de l’ex-Union soviétique situé sur le littoral aride de l’ouest de la mer Caspienne. [...]

    L’ithkuil n’est pas sorti de nulle part. Depuis le Moyen Age au moins, les philosophes et les philologues ont rêvé de pallier les défauts des langues naturelles en construisant des idiomes totalement neufs selon des principes logiques et rationnels.

    Inventer de nouvelles formes de discours est une pulsion quasi cosmique qui prend sa source dans ce que la linguiste Marina Yaguello, auteur de l’ouvrage « Lunatic Lovers of Language », décrit comme « une relation ambivalente oscillant entre l’amour et la haine ». L’envie de créer une langue est symptomatique d’un amour si fort pour les pouvoirs du langage qu’il se change en haine dès qu’il en aperçoit les faiblesses :

    « Je crois qu’aucun fantasme n’a été poursuivi avec autant d’ardeur par l’esprit humain, à part peut-être la pierre philosophale ou la preuve de l’existence de Dieu  ; et qu’aucune autre utopie n’a fait couler autant d’encre, à part peut-être le socialisme. »

    Langues construites : « l’histoire d’un échec »

    La première langue totalement artificielle dont il subsiste encore des traces, la lingua ignota, fut créée par Hildegarde de Bingen, une religieuse et mystique allemande du XIIe siècle qui est plus connue pour avoir rédigé la toute première œuvre dramatique à vocation morale. Il semblerait qu’elle ait fait usage de la lingua ignota pour entrer dans une sorte de communion mystique. Il ne reste de sa langue qu’un court texte et un dictionnaire de 1 012 mots rangés par ordre hiérarchique du plus important (« Aigonz », Dieu) au moins important (« cauiz », grillon).

    Plus de 900 langues ont été inventées depuis la lingua ignota, et elles ont presque toutes sombré dans l’oubli. « L’histoire des langues construites est, pour la majeure partie, l’histoire d’un échec », écrit Arika Okrent, auteur d’un ouvrage intitulé « In the Land of Invented Languages ». Parmi les fiascos les plus spectaculaires, nombreuses sont les langues qui, à l’instar de l’ithkuil, ont tâché de tendre à la réalité un miroir fidèle.

    Au XVIIe siècle, des philosophes européens comme Francis Bacon, René Descartes et Gottfried Leibniz étaient fascinés par la façon dont les langues naturelles obscurcissent la pensée et se demandaient si un substitut artificiel serait en mesure de saisir avec plus d’exactitude la vraie nature des choses.

    Au siècle précédent, des missionnaires jésuites avaient rapporté les premiers exposés approfondis sur le fonctionnement du chinois  : nombre de philosophes furent subjugués en découvrant que les caractères chinois représentaient des concepts plutôt que des sons, et qu’un seul idéogramme avait la même signification pour tous les habitants de l’Asie orientale, bien qu’il ne se prononce pas du tout de la même façon d’une langue à une autre.

    Et, se demandaient-ils, s’il était possible de créer un langage écrit universel qui pourrait être compris de tous  ? Et s’il était possible d’inventer un jeu de « caractères réels », à l’image de ce que les nombres arabes sont dans le domaine du calcul  ? « Cette langue écrite sera une forme d’algèbre général, une arithmétique de la raison, si bien qu’au lieu de débattre, nous pourrons dire que nous calculons », écrivit Leibniz en 1679.

    Du solresol à l’espéranto

    On peut remonter la filiation conceptuelle de l’ithkuil jusqu’à Leibniz, Bacon et Descartes, et plus particulièrement jusqu’à John Wilkins, évêque et humaniste du XVIIe siècle qui essaya de mettre en pratique leurs nobles idéaux. Dans son « Essai vers un caractère réel et un langage philosophique », rédigé en 1668, Wilkins établit un arbre taxonomique tentaculaire destiné à représenter une classification rationnelle de tous les concepts, choses et actions dans l’univers.

    Chaque branche de l’arbre correspond à une lettre ou une syllabe  ; ainsi, pour composer un mot, il suffit de suivre un ensemble de ramifications jusqu’à la tige représentant le concept recherché. Par exemple, dans le système de Wilkins, « De » signifie élément, « Deb » correspond au feu et « Debα » veut dire flamme. [...]

    Au XIXe siècle, le rêve de construire une langue philosophique capable d’exprimer des vérités universelles laisse place au désir non moins ambitieux d’unifier le monde à l’aide d’une seule langue auxiliaire, facilement assimilable et politiquement neutre. Le solresol, créé par le musicien français Jean-François Sudre, est l’une des premières langues universelles à attirer l’attention populaire. Elle se compose uniquement de sept syllabes  : do, ré, mi, fa, sol, la, si. Les mots peuvent être chantés ou joués au violon. Ils peuvent également être traduits dans les sept couleurs l’arc-en-ciel, et donc tissés en phrases entières dans une étoffe sous la forme de flux de couleurs.

    Parmi les quelque cent langues universelles qui virent le jour au XIXe siècle, l’espéranto, inventé dans les années 1880 par L. L. Zamenhof, un docteur juif de Bialystok, fut de loin celle qui connut le plus large succès. A son apogée, l’espéranto comptait près de deux millions de locuteurs et une littérature propre riche de plus de 15 000 ouvrages. Deux guerres mondiales et l’ascension de l’anglais international portèrent un coup fatal au rêve poursuivi par les espérantistes de créer une langue universelle. [...]

    La découverte du groupe français Magma

    John Quijada est né à Los Angeles d’un couple d’émigrés mexicains de première génération et a grandi dans une banlieue pavillonnaire blanche, Whittier, où il a fréquenté le même collège que Richard Nixon. Son père, un Indien Yaqui, était imprimeur et fabriquait les panneaux promotionnels qui habillaient les vitrines des épiceries. La nuit, il peignait des paysages.

    L’entrée de Quijada dans l’univers des langues construites doit beaucoup à la politique utopiste de l’espéranto et au bac « imports » du magasin de disque de son quartier. C’est là que, adolescent curieux des années 1970, il découvre l’album concept de Magma, un groupe de rock progressif français. Toutes leurs chansons sont écrites en kobaïen, une langue mélodique extraterrestre échafaudée par le chanteur excentrique du groupe, Christian Vander. Il se souvient :

    « Voir quelqu’un monter sur scène et sans le moindre scrupule entonner ces chansons épiques, lyriques, gargantuesques, ça m’a fait comprendre que, merde… c’était ça qu’il fallait que je fasse. »

    A 15 ans, il crée mbozo, la première d’une longue série de langues construites, un hybride entre un germanique romantique générique auquel il attribue un nouveau vocabulaire et une phonologie inspirée des sonorités africaines. Le pskeoj, créé un peu plus tard, bénéficie d’un vocabulaire tapé au hasard des touches d’une machine à écrire.

    A 18 ans, Quijada intègre l’université de Californie, Fullerton, avec l’ambition de devenir anthropologue linguiste. « Je rêvais d’être le gars qui va en Amazonie et qui apprend une langue qu’aucun allochtone ne parle », dit-il.

    Il passe des heures à la bibliothèque à éplucher les descriptions des langues les plus exotiques du monde et devient un expert en grammaires bizarres :

    « J’ai pris conscience que chaque langue prise individuellement possède au moins un élément plus abouti que les autres. »


    De l’ithkuil (Illustration : Audrey Cerdan - Image de fond : Nasa)

    Du guugu yimithirr et du nigéro-kordofanien

    Par exemple, le guugu yimithirr, la langue des Aborigènes d’Australie, n’utilise pas d’adverbes de positionnement égocentriques comme gauche, droite, devant ou derrière. Les aborigènes leur substituent les seules directions cardinales. Ils n’ont pas une jambe gauche et une jambe droite mais une jambe au nord et une jambe au sud, qui deviennent la jambe de l’est et la jambe de l’ouest lorsqu’ils pivotent de 90 degrés.

    Chez les Indiens Wakashan du nord-ouest du Pacifique, on ne peut pas former une phrase grammaticalement correcte sans préciser ce que les linguistes appellent la « qualité probatoire », une inflexion du verbe destinée à indiquer si l’énoncé procède de l’expérience directe du locuteur, d’une déduction, d’une conjecture ou d’une rumeur.

    Inspiré par l’étude de toutes les grammaires non conventionnelles, Quijada se prend à rêver  :

    « Et s’il existait une langue unique qui combinait les particularités les plus chouettes de toutes les langues du monde  ? »

    De retour chez ses parents, à l’abri dans sa chambre, il se met à griffonner des notes sur une grammaire totalement nouvelle qui doit à terme incorporer non seulement l’élément probatoire du wakashan et les référents de positionnement du guugu yimithirr mais aussi le système aspectuel du nigéro-kordofanien, les syntagmes nominaux du basque, la quatrième personne qu’on trouve dans plusieurs langues presque disparues parlées par certaines communautés d’Indiens d’Amérique et une dizaine d’autres folles manières de former des phrases. Quijada se rappelle :

    « A la base, je me dirigeais vers un doctorat, j’avais des étoiles dans les yeux et des rêves plein le cœur, mais la réalité m’a rattrapé. Je n’avais pas les moyens de poursuivre mes études à la fac. »

    Pas de bafouillage ou de langue de bois

    [...] Il prend un boulot de transporteur routier, puis un autre au département des Véhicules motorisés, avec l’intention de retourner à l’université une fois économisé assez d’argent. [...]

    Au lieu de cela, Quijada nourrit son intérêt pour la linguistique universitaire en effectuant un pèlerinage annuel chez Cody, une légendaire librairie de Berkeley, pour dénicher les nouveaux titres. Il continue à travailler sur l’ithkuil pendant son temps libre, couvrant des carnets entiers de notes pour perfectionner sa nouvelle langue.

    C’est au cours de l’un de ces pèlerinages qu’il découvre l’ouvrage phare« Les Métaphores dans la vie quotidienne », publié en 1980 par George Lakoff et Mark Johnson, linguistes appartenant à l’école cognitive. Ils affirment que notre manière de penser se structure autour de systèmes conceptuels largement métaphoriques par nature. La vie est un long voyage. Le temps, c’est de l’argent. Débattre, c’est prendre les armes. Pour le meilleur ou pour le pire, ces figures de style sont profondément ancrées dans la construction de notre pensée.

    Pour Quijada, c’est une révélation. Il se prend à rêver que l’ithkuil réussisse à faire ce dont Lakoff et Johnson jugent les langues naturelles incapables  : forcer ses locuteurs à identifier avec précision ce qu’ils souhaitent dire. Pas de bafouillage, de bredouillement, de langue de bois ou de métaphore. En exigeant des locuteurs qu’ils examinent soigneusement la signification des mots qu’ils emploient, il nourrit l’espoir que sa langue analytique mette à jour les nombreuses bizarreries souterraines de l’appareil cognitif humain et libère les individus des courts-circuits qui corrompent leur esprit :

    « Mon objectif a évolué avec le temps. Il ne s’agissait plus de créer un pot-pourri de particularités linguistiques astucieuses. J’ai commencé à avoir tout un tas d’idées pour améliorer l’efficacité de la langue. Je me suis dit  : pourquoi je ne trouverais pas un moyen de venir à bout de ce que toutes les langues naturelles ont été incapable de terminer  ? » [...]

    En 1997, lorsque Quijada lance sur Internet sa première recherche sur les langues construites, il découvre que son étrange passion est partagée. Il tombe sur un forum regroupant des linguistes amateurs du monde entier, qui discutent avec enthousiasme des nouvelles façons de discuter. [...] Ces dilettantes de la linguistique s’appellent entre eux « conlangers » (pour « constructed language ») et tiennent occasionnellement une assemblée connue sous le nom de Conférence sur la création de langage. C’est à l’occasion de la deuxième session de ces conférences, organisées en 2007 sur le campus de l’université de Berkeley, que j’ai fait la connaissance de Quijada.

    La création de langues vue comme un loisir

    Au milieu d’une vingtaine d’hommes et de sept femmes portant kilts, hauts-de-forme et kimonos, le distant et tranquille Quijada était aussi discret qu’un tréma en français. Costaud et barbu, il était assis seul au dernier rang de l’auditorium et portait une casquette de routier à imprimé camouflage, un polo marron et un pantalon de treillis.

    « John impose le respect », m’a glissé David Peterson, président de la Conférence sur la création du langage et inventeur du dothraki, la langue que parle une race de guerriers nomades pseudo mongols dans la série « Game of Thrones ». (Le dothraki a désormais une audience hebdomadaire supérieure à celles des langues yiddish, navajo, inuit, basque et écossaise réunies).

    En 2008, Peterson a décerné à l’ithkuil le prix de la meilleure langue construite de l’année. [...] Quijada apprécie la récompense mais de manière générale, il garde profil bas dans l’univers des conlangers. Il consulte la page Facebook consacrée à l’ithkuil où les fans mettent en ligne des traductions de prières et proposent la « pensée ithkuil du jour », mais il ne commente jamais.

    Quand je l’ai rencontré, Quijada s’apprêtait à prononcer une allocution sur l’esthétique des phonèmes, cette qualité difficile à appréhender qui donne à la langue sa personnalité et qui nous fait percevoir le plus virulent des Italiens comme un chanteur d’opéra, le plus romantique des Allemands comme un homme en colère et l’américain comme un klaxon permanent. [...]

    Contrairement à leurs prédécesseurs philosophes et idéalistes, qui pensaient que les langues inventées pouvaient améliorer le genre humain, les conlangers actuels envisagent d’abord la création de langues comme un loisir et une forme d’expression personnelle.

    Jim Henry, développeur informatique à la retraite originaire de Stockbridge en Géorgie, tient un journal et prie en gja-zym-byn, la langue qu’il a construite. Si un dieu entend ces prières, le gja-zym-byn pourra se vanter d’avoir deux locuteurs. La plupart des projets de langue construite partent d’un principe qui déroge de manière inédite aux conventions linguistiques.

    L’aeo n’utilise que des voyelles. Le kelen n’a pas de verbe. Le toki pona, une langue qui s’inspire des idéaux taoïstes, a été conçue pour voir jusqu’à quel degré de simplicité une langue peut accéder. Elle comporte seulement 123 mots et 14 phonèmes. Le brithenig répond à la question de savoir à quoi aurait pu ressembler l’anglais si le latin vernaculaire avait pris racine sur les îles britanniques. Le laadan, une langue féministe développée au début des années 1980, comprend des mots tels que radiidin, dont la définition est la suivante  :

    « Non-vacances, période censée être vouée à la détente mais qui constitue en réalité un tel fardeau par le travail et la préparation qu’elle implique qu’elle devient une échéance redoutée, tout particulièrement quand les invités sont nombreux et qu’aucun d’eux ne met la main à la pâte. »

    L’ithkuil, pas un modèle à mettre en pratique

    Les langues construites ont bien souvent été imaginées en tandem avec des univers entiers, et la plupart des conlangers se dirigent vers cette activité par le biais de la science-fiction et de la littérature fantastique. J.R.R. Tolkien pour qui la création de langues était, de son aveu, un « péché mignon », soutenait qu’il avait écrit la trilogie du « Seigneur des anneaux » dans le but premier de donner aux langues qu’il avait inventées, le quenya, le sindarin et le khuzdul, des univers dans lesquels elles pourraient être utilisées. Et la langue construite qui a rencontré la plus grosse réussite commerciale de tous les temps est indubitablement le klingon, qui détient sa propre traduction de Hamlet et un dictionnaire écoulé à plus de 300 000 exemplaires. [...]

    La version finale de l’ithkuil que Quijada a publiée en 2011 possède vingt-deux catégories grammaticales pour les verbes, là où l’anglais n’en propose que six  : le temps, l’aspect, la personne, le nombre, l’humeur et le ton. 1 800 suffixes distincts permettent encore d’affiner l’intention du locuteur. Par le biais d’un laborieux procédé de conjugaison qui embrouillerait le plus aguerri des latinistes, l’ithkuil exige du locuteur qu’il se dirige droit vers le cœur exact de l’idée qu’il souhaite exprimer et tente d’éliminer toute possibilité d’imprécision.


    De l’ithkuil (Illustration : Audrey Cerdan - Image de fond : Nasa)

    Dans la version originale de l’ithkuil, le mot ithkuil lui-même signifie littéralement « représentation hypothétique du langage »  : la langue de Quijada n’a pas été conçue pour être utilisée au quotidien. C’est une entreprise visant à démontrer ce dont le langage est capable, en aucun cas un modèle à mettre en pratique.

    « L’ambition de l’ithkuil est d’objectiver des niveaux cognitifs plus profonds que ceux qui sont habituellement véhiculés par les langues naturelles », déclare Quijada. Par exemple, la formulation suivante « caractéristique d’un unique élément au sein de l’amalgame synergétique des choses » correspond à un seul adjectif  : oicaštik’.

    Si la prononciation de ce mot semble requérir une gymnastique extrême des amygdales, c’est parce qu’en ithkuil, il n’y a jamais un son ou une syllabe de trop. Chaque langue possède son propre stock de phonèmes, ou sa bibliothèque de sons, à partir desquels le locuteur peut broder des mots.

    L’hawaïen qui dispose de peu de consonnes, ne possède que 13 phonèmes. L’anglais en compte plus ou moins 42, en fonction des dialectes. Afin de charger le plus de sens possible dans chaque mot, l’ithkuil recourt à 58 phonèmes.

    La version originale de la langue comportait un répertoire de grognements, de sifflements et autres bang qui sont empruntés à quelques-unes des langues les plus obscures du monde. Un son de clic particulier et assez difficile à produire, une fricative éjective uvulaire, n’a pu être retrouvé que dans très peu d’autres langues. Parmi elles, l’ubykh, une langue caucasienne dont le dernier locuteur de langue maternelle est mort en 1992.

    Rendre explicite tout ce qui est implicite

    Par un après-midi chaud de mi-juillet, je suis allé rendre visite à Quijada chez lui, en périphérie de Sacramento, dans le modeste T4 qu’il habite avec sa femme, Carol Barry, retraitée elle aussi de la fonction publique. Sur plusieurs rayons de sa bibliothèque, s’alignent les dictionnaires de yoruba, letton, basque, hausa et une quarantaine d’autres langues. Sur d’autres, des romans poche de science-fiction empilés en couches superposées.

    Quijada a mis de la soukous, une musique congolaise qui figure parmi les très nombreux genres musicaux dont il est aficionado, puis il a sorti un exemplaire du roman de science-fiction jamais publié qu’il a écrit avec son frère jumeau (vrai jumeau) Paul. Intitulé « Au-delà de l’antinomie », il aborde les implications philosophiques de la théorie quantique. (Lorsqu’ils étaient petits, Quijada et son frère jumeau avaient développé une langue à eux pour communiquer, un phénomène étonnamment banal qui est connu sous le nom de « cryptophasie ».) Dans leur roman, l’ithkuil sert d’« interface para-linguistique pour un réseau d’ordinateurs quantiques dont le but est de créer une conscience émergente ».

    Ensuite, il a ouvert un placard et en a sorti un bac en plastique qui contenait des monceaux de feuilles de papier millimétré documentant les premières versions du script de l’ithkuil et tout un pêle-mêle de blocs-notes pliés couverts de conjugaisons déclinées au feutre 22 ans auparavant. « Je travaillais par à-coups », m’a-t-il dit en contemplant la masse de documents.

    « Cela dépendait surtout de ma vie sentimentale. Je mettais l’ithkuil de côté quand je sortais avec quelqu’un. Ce n’est pas franchement le genre de sujet dont on discute lors d’un premier ou d’un second rendez-vous. »

    Les interactions humaines sont gouvernées par un ensemble de codes implicites qui peuvent parfois sembler affreusement opaques et dont une mauvaise interprétation a tôt fait de vous reléguer hors du groupe. L’ironie, la métaphore, l’ambiguïté sont autant de procédés ingénieux qui nous permettent d’en dire davantage sans utiliser un mot de plus. Mais, en ithkuil, toute ambiguïté est éliminée afin de rendre explicite tout ce qui est implicite. Une formulation ironique est marquée de l’affixe ’kçc. Les énoncés hyperboliques sont conjugués avec la lettre ’m.

    « Je voulais utiliser l’ithkuil pour montrer comment discuter de philosophie ou évoquer des états émotionnels en toute transparence », explique Quijada.

    « C’est la langue idéale pour le débat philosophique et politique, ces forums où ceux qui s’expriment escamotent leurs intentions ou se camouflent derrière le langage », poursuit Quijada. « L’ithkuil vous force à dire ce que vous pensez vraiment et à penser vraiment à ce que vous dites. » [...]

    Je lui demande s’il peut me donner, au débotté, un concept totalement neuf, un concept pour lequel il n’existe de mot dans aucune langue existante. Il y réfléchit un moment :

    « Eh bien, il n’existe pas de langue, autant que je sache, qui dispose d’un mot unique pour évoquer ce moment de contemplation perplexe souvent accompagné d’un froncement de sourcils dont on fait l’expérience lorsque quelqu’un formule une idée à laquelle on n’avait jamais pensé et qui ouvre tout à coup des perspectives inédites. »

    Il s’interrompt comme s’il tournait les pages d’un dictionnaire dans sa tête. « En ithkuil, ça se dirait ašţal. »

    L’admiration et le mépris de ses collègues

    En 2010, Quijada s’est retrouvé dans une situation qu’il avait tout fait pour éviter jusque-là. Afin de se libérer pour assister à la conférence de Kalmoukie, il a été contraint de dévoiler à son patron, et à ses collègues qu’ils connaissaient pour certains depuis plus de vingt ans, la passion cachée qui consumait ses nuits, ses week-ends et ses pauses déjeuner depuis le lycée. Quijada raconte :

    « Au boulot, l’attitude des gens vis-à-vis de moi oscille désormais entre l’admiration parce que je représente le type qui a de toute évidence autre chose en tête que de passer manager dans cette administration à la gomme, et le mépris parce que j’ai dépassé tout ce qu’ils avaient pu imaginer jusque-là et atteint le statut de geek ultime. »

    « Vous êtes quoi déjà, harangueur  ?

    — Non chef, conlanger. »

    Il était invité de l’autre côté du globe, un voyage tous frais payés sponsorisé par un gouvernement étranger, pour prendre part à une conférence dont le panel d’intervenants comprenait des philosophes, des sociologues, des économistes, des biologistes, un logicien et un moine bouddhiste.

    Non seulement Quijada n’avait jamais été en Kalmoukie, mais il n’en avait même jamais entendu parler. La notoriété de la Kalmoukie, si tant est qu’elle existe, repose sur deux particularités  : la Kalmoukie est connue pour être le seul Etat majoritairement bouddhiste de ce côté-ci de l’Oural et pour les millions que son ancien Président, Kirsan Ilyumzhinov, un oligarque converti en homme politique excentrique, a dépensé sur sa fortune personnelle pour faire de ce coin oublié et poussiéreux de la steppe russe la capitale mondiale des échecs. Ilyumzhinov prétend avoir été kidnappé par des extraterrestres en 1997 alors qu’il se trouvait dans son appartement à Moscou. Ils lui auraient fait visiter la galaxie et lui auraient révélé que les échecs venaient de l’espace.

    A son arrivée à l’aéroport d’Elista, Quijada est accueilli par un interprète et conduit sur-le-champ à Chess City, un quartier pavillonnaire construit aux abords de la ville sur le modèle de l’habitat de la classe moyenne californienne pour accueillir les Championnats du monde d’échec en 1998.

    Décrire du Marcel Duchamp en ithkuil

    Là-bas, il rencontre une étudiante qui lui raconte qu’un groupe d’élèves de l’université du développement réel de Kiev a étudié l’ithkuil de façon intensive au cours des deux dernières années et qu’il fait partie du programme de formation à la psychonétique qui est en cours de développement. Un autre étudiant lui dit que ses amis et lui le considèrent comme « une légende ».

    A ce moment-là, Quijada n’a pas la moindre idée de ce qu’est la psychonétique ou des raisons pour lesquelles l’Université du développement réel s’y intéresse. Il est sans voix. [...]

    Le lendemain matin, Quijada ouvre son exposé en projetant un tableau de Marcel Duchamp, « Nu descendant un escalier n°2 », œuvre phare du peintre cubiste qui saisit une silhouette en mouvement à l’aide de plans et de lignes abstraites. C’est une œuvre difficile à décrire, quelle que soit la langue dans laquelle on s’y emploie, mais Quijada souhaite expliquer comment on s’attaquerait au problème en ithkuil.

    Il commence avec quelques-unes des racines de la langue  : -qv- pour une personne, -gv- pour un vêtement, -tn- pour un équipement qui s’oppose à la gravité et -gw- pour un déplacement, et montre comment transformer ces racines à l’aide de chacune des vingt-deux catégories grammaticales de la langue pour aboutir à une phrase de six mots  : « Aukkras êqutta ogvëuļa tnou’elkwa pal-lši augwaikštülnàmbu », que l’on pourrait traduire à peu près ainsi  :

    « Une représentation imaginaire d’une femme nue en train de descendre un escalier par une suite graduelle de mouvements corporels ambulatoires étroitement intégrés qui se combinent en un sillage tridimensionnel derrière elle, formant un tout qui surgit, intemporel, et qui doit être appréhendé tant d’un point de vue intellectuel qu’émotionnel et esthétique. »

    « J’ai pu jouer à l’universitaire »

    Ce soir-là, à la suite d’une série d’entretiens avec la presse de Kalmoukie, Quijada se rend à une réunion des conférenciers organisée dans la mairie de Chess City où Oleg Bakhtiyarov, le professeur à l’initiative de l’invitation de Quijada en Kalmoukie, a établi ses quartiers.

    Les psychonéticiens discutent jusqu’à une heure avancée de leurs expériences de « déconcentration de l’attention » et autres techniques de développement spirituel personnel. [...]

    Puis, au fur et à mesure que la soirée avance, il se retrouve pieds nus en tailleur sur un sofa, un groupe de jeunes étudiants russes assis autour de lui sur le tapis. « Tous ces gens qui m’entouraient étaient suspendus à mes lèvres. C’était grisant, surtout pour un solitaire comme moi », se souvient Quijada.

    « Pendant toute une journée, j’ai pu jouer à l’universitaire. J’ai pu réaliser le fantasme d’avoir suivi une autre voie. Il m’a été donné de voir à quoi aurait ressemblé ma vie si j’avais été à la faculté et si j’étais devenu expert en linguistique. Les Parques ont déchiré le voile de la destinée pour me permettre de contempler ma vie rêvée. Cette nuit-là, je suis rentré dans ma chambre, j’ai pris une douche et j’ai éclaté en sanglots. »

    En mai 2011, j’ai accompagné Quijada lors de son retour en ex-Union soviétique, à Kiev cette fois, pour assister à une conférence de deux jours organisée par l’Université du développement réel [...]

    A l’aéroport, nous sommes accueillis par Alla Vishneva, une jolie brune arborant des mèches blondes décolorées avec qui Quijada avait correspondu sporadiquement par e-mail et par téléphone au cours des derniers mois. Vishneva, ex-professeur d’ukrainien à l’université d’Etat de sciences humaines de Rivne et étudiante en psychonétique, se trouve être la fondatrice d’un groupe d’étude de l’ithkuil à Kiev.

    Quijada, que j’avais toujours vu se promener avec des verres de lunettes en cul-de-bouteille et une canne pour soulager sa jambe accidentée considère les bottes argentées et le jean moulant de notre hôtesse et semble pris de court. « Une jolie femme comme vous n’a- t-elle pas mieux à faire que d’enseigner l’ithkuil  ? » lui demande-t-il. Vishneva émet un rire léger et retourne le compliment dans un anglais guindé  : « L’ithkuil est beau. C’est une langue très pure construite avec beaucoup de logique. » [...]

    « Des choses qui ne portent pas de nom »

    « Nous pensons que lorsqu’une personne apprend l’ithkuil, son cerveau gagne en célérité », lui explique Vishneva en russe. Elle s’adresse à lui par l’intermédiaire d’un traducteur car ni elle ni Quijada ne parlent encore couramment l’ithkuil :

    « Votre langue requiert un examen de conscience permanent. Quand on utilise l’ithkuil, on peut voir des choses qui existent mais qui ne portent pas de nom, de la même manière que la classification périodique des éléments de Mendeleïev fait apparaître des espaces vides où devraient se trouver des éléments qu’il reste à découvrir. »

    « Elle comprend vraiment ma langue », s’exclame Quijada. Il se penche vers l’appui-tête et dit à Vishneva, qui occupe le siège passager  : « Je ne sais pas si vous êtes une sainte ou une cinglée. »

    La conférence se tient dans la salle de cours d’un lycée de l’ère soviétique aux murs tapissés de tableaux noirs et d’un simili cuir vert forêt. La plupart des participants sont soit des étudiants soit des enseignants de l’université du développement réel, mais Quijada remarque qu’aucun d’entre eux ne ressemble au fan de langue typique qu’il a pu rencontrer au sein de la communauté des conlangers. Pour commencer, ils en imposent physiquement. On compte un certain nombre de crânes rasés.

    Bakthiyarov, qui rentre tout juste d’une conférence en Egypte, prononce les quelques remarques d’ouverture. Sec, cheveux gris courts et moustache brune, il affiche un calme étudié, qui pourrait passer pour de la timidité. Il m’explique plus tard qu’il avait commencé sa formation par des études de médecine à l’institut médical de Kiev mais qu’il avait été renvoyé pour avoir distribué de la « littérature subversive » sur le campus. A la fin des années 1960, le KGB l’a désigné comme un individu « politiquement indigne de confiance » et l’a expédié deux ans en prison. A sa sortie, il s’est tourné vers la biologie pour finir par devenir psychologue.

    Mi-mystique, mi-philosophique

    Dans les années 1980, malgré son passif radical, il s’est retrouvé à travailler pour le gouvernement soviétique sur un projet visant à développer un ensemble de techniques de gestion du stress pour les cosmonautes, les soldats ou tout autre individu susceptible d’avoir à faire face à des situations psychologiques de dernière extrémité. Ces techniques forment la base de la psychonétique, un mouvement d’épanouissement personnel moitié mystique, moitié philosophique qui vise à élaborer des « technologies de la conscience ». [...] Bakhtiyarov explique :

    « Un psychonéticien ne doit rien laisser à l’inconscient. Tout doit être conscient. L’ithkuil poursuit le même objectif. Les êtres humains sont par essence des communicants, mais nous entrons dans une phase transitoire qui doit nous mener à une nouvelle essence. Nous pouvons renverser et reconquérir le langage. » [...]

    L’un des participants, Gennadiy Overchenko, diplômé de l’université du développement réel, explique qu’il a fait usage de la psychonétique pour développer ses compétences dans toute une gamme de disciplines pour lesquelles il ne disposait jusque-là d’aucune expertise, des échecs à la peinture à gouache en passant par la cuisine. [...]

    Une autre participante, Marina Balioura, décrit comment, sous l’influence des techniques de psychonétique, elle est en mesure d’écrire simultanément deux phrases différentes, l’une avec la main gauche, l’autre avec la main droite. [...]

    Je jette un coup d’œil à Quijada. Il semble stupéfait de voir à quel point les intervenants maîtrisent les fondamentaux de sa langue mais il manifeste un trouble grandissant face à leur bizarrerie. [...]

    En bout de rangée, un homme émacié aux cheveux coupés en une brosse soignée enregistre le déroulement des opérations avec un caméscope. Affalé dans son fauteuil, il ne manifeste que sporadiquement son intérêt pour la conférence en cours. Puis c’est son tour de se placer devant nous pour prendre la parole. Il se présente  : Igor Garkavenko. [...] Garkavenko s’exprime avec un débit si rapide et sur un ton si monotone qu’il devient difficile de garder le fil. [...]

    Le numéro deux du terrorisme en Ukraine

    Alors qu’on approche de la fin de son intervention, l’interprète s’interrompt, blanc comme un linge. « Vous voyez qui c’est ce type  ? » me dit-il tout bas. « Ce gars, c’est grosso modo le numéro deux du terrorisme en Ukraine. » Une rapide recherche sur Google depuis nos ordinateurs nous guide vers un article d’actualité accompagné d’une photo de l’homme qui se tenait sur scène.

    Il s’avère que Garkavenko est le fondateur d’une organisation nationaliste militante d’extrême droite pro-russe connue sous le nom d’Armée révolutionnaire du peuple ukrainien. En 1997, il a été condamné à neuf ans de prison pour avoir bombardé les bureaux de plusieurs organisations politiques et culturelles ukrainiennes ainsi que le centre culturel israélien de Kharkov. Je me tourne vers mon traducteur  :

    « Qu’ est-ce que ce type vient fiche dans une conférence de linguistique  ? » [...]

    Après la fin de la conférence, Quijada et moi nous retrouvons autour d’un café pour échanger nos impressions et tâcher de comprendre ce à quoi nous venons tout juste de prendre part.

    Nous lançons quelques requêtes sur Internet sur Bakhtiyarov et Garkavenko et, avec l’aide de l’outil de traduction automatique de Google, décodons quelques extraits de leur prose rédigés en russe, notamment toute une série de billets antisémites publiés par Garkavenko sur son blog. [...]

    Nous avons découvert que Bakhtiyarov, à côté de ses travaux sur la psychonétique, arrondissait ses fins de mois en travaillant au noir dans le domaine de la politique. En 1994, il a rejoint la tête du parti de l’Unité slave, un mouvement nationaliste éphémère qui avait pour but de réunir la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie dans une confédération slave qui inclurait également les Polonais, les Tchèques, les Serbes, les Slovaques et les Bulgares.

    Créer une « race d’homme surhumaine »

    Dans ses entretiens, Bakhtiyarov parle de développer des « forces spéciales intellectuelles » capables d’unir leurs efforts pour « restaurer le statut de grande puissance » de cette Russie élargie et de donner naissance à « une nouvelle race d’homme… qu’ on pourrait réellement qualifier de surhumaine ». Une élite intellectuelle capable de voir la nature profonde des choses par-delà l’écran des mensonges a besoin d’une langue capable de véhiculer son nouveau mode de pensée.

    A l’instar des génies de la société secrète imaginée par Heinlein, qui s’exercent au « speedtalk » dans le but de penser plus vite et plus clairement, Bakhtiyarov et les psychonéticiens sont convaincus qu’un régime d’entraînement à l’ithkuil peut potentiellement remodeler la conscience humaine et aider les individus qui s’y soumettent à résoudre des problèmes plus rapidement.

    Bien qu’il refuse de reconnaître que la psychonétique s’apparente à un projet politique, il est difficile de dissocier le souhait de Bakhtiyarov de bâtir une superpuissance slave de son rêve de créer un surhomme slave – un individu qui, par exemple, communiquerait dans une langue rigoureuse et transparente comme l’ithkuil.


    De l’ithkuil (lIlustration : Audrey Cerdan - Image de fond : Nasa)

    « Quand je rentre, la première chose que je fais c’est écrire une lettre au docteur Bakhtiyarov pour lui dire que je ne veux plus rien avoir à faire avec la psychonétique », me dit Quijada, démoralisé.

    « Et si, Dieu m’en garde, cette discipline était reconnue comme une pseudo-science ou la doctrine d’une espèce de secte  ? Je ne voudrais pas être accusé de complicité. Découvrir une fois les jeux faits que je ne suis en fin de compte qu’un pion pour ces disciples dégénérés de Nietzsche ou que sais-je encore… ça me donne la nausée. » [...]

    Le plus grand défi des créateurs de langue se situe au moment de lâcher leur idiome en pleine nature, alors qu’il vient tout juste de naître. Qui dit qu’il ne va pas évoluer et être corrompu par toutes les nouvelles bouches qui voudront se l’approprier  ?

    Plus d’une fois, les créateurs de langue ont dû expérimenter le désespoir terrible du Dieu créateur, le jour où il donna vie à des êtres qu’il croyait parfaits et se rendit compte qu’ils étaient finalement loin de l’être.

    Charles Bliss, rescapé de Buchenwald et inventeur d’un langage pictographique connu sous le nom de Blissymbolics, devint fou quand il apprit que des enseignants modifiaient sa langue pour en faire un outil d’apprentissage de l’anglais à l’usage d’enfants souffrant d’infirmités motrices cérébrales.

    Le volapük, une langue créée au XIXe siècle par un prêtre catholique allemand, Johann Martin Schleyer, compta à un moment 280 clubs dans le monde et dépassa l’espéranto par le nombre de ses locuteurs. Mais sa popularité s’effondra lorsque Schleyer déclara qu’il était seul autorisé à inventer de nouveaux mots.

    « Votre langue prend vie »

    Peu avant la fin de la conférence de Kiev, l’une des professeurs de l’université du développement réel a dit à Quijada qu’elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi il ne voulait pas s’investir dans la constitution d’une communauté de locuteurs et d’étudiants en ithkuil. « Votre langue prend vie », lui dit-elle. « Vous devriez prendre part à cette aventure. » Quijada lui a poliment répondu :

    « Ce n’est pas ma passion. Pendant vingt-cinq ans, l’ithkuil a été pour moi comme une épine au pied dont il fallait que je me débarrasse. Je m’en suis débarrassé. Si d’autres veulent récupérer ce projet et le reprendre à leur charge, c’est merveilleux, mais en ce qui me concerne, j’ai été au bout de ce que je voulais accomplir. Vous m’avez montré que vous compreniez mon travail bien mieux que je ne l’aurais cru possible. D’ailleurs, son potentiel vous apparaît peut-être plus clairement qu’à moi. » [...]

    Quand Quijada est rentré chez lui, il a apporté quelques derniers petits ajustements à la grammaire ithkuil et mis un point final à son ouvrage, ce projet auquel il a consacré 34 années de sa vie. Puis il a publié à compte d’auteur le manuel complet et définitif de sa langue en 439 pages.

    [...] Je lui ai demandé s’il y aurait une brève formule en ithkuil pour résumer l’odyssée que lui et sa langue avaient accomplie au cours de l’année passée. Il m’envoya la phase suivante  :


    Un article à retrouver dans le nouveau numéro de Feuilleton, qui sort le 27 février

    « Eipkalindhöll te uvölîlpa ípçatörza üxt rî’ekçuöbös abzeikhouxhtoù eqarpaň dhai’eickòbüm öt eužmackûnáň xhai’ékc’oxtîmmalt te qhoec îtyatuithaň. »

    « J’ai eu la chance de vivre une expérience rare, celle de voir ce que je considère comme un loisir me transporter vers des contrées lointaines où j’ai découvert des idées neuves ainsi que des cultures et des personnes différentes, prodigues dans leur générosité et leur respect, et tout cela m’a conduit à une humble introspection et à une nouvelle appréciation de l’esprit humain et des merveilles du monde ».

    Mais bien sûr, cela non plus ne saurait être tout à fait exact.

      Commentaires:  (publiés sur Rue 89)  1- Dansla catégorie des langues construites, le Lojban est, je trouve, une des plus aboutie : neutre (contrairement à l’Esperanto qui peut être vu comme favorisant le masculin), non-ambigue (en français, qui est désigné par le « il » de « Paul a vu Jean, il lui a dit que.. » ?) et dotée d’une syntaxe agglutinante qui permet de créer facilement du vocabulaire, donc aussi les jeu de mots et la poésie. Dans un soucis d’universalité les syllabes sont inspirés de l’anglais, du chinois, de l’hindi, du russe, de l’espagnol et de l’arabe.
    Le lojban est de plus une langue libre (pas de propriétaire mais une association qui se réunit pour discuter d’éventuelles évolutions) et suffisamment populaire pour qu’on trouve des forums de discussion ou la pratiquer.

      2- Comment peut-on écrire un aussi long article sur un tel sujet sans citer une seule fois : Umberto Eco, La recherche de la langue parfaite dans la culture européenne, Seuil, Paris, 1994. C’est assez décevant !
    Combien de journalistes ont cru (ré-)inventer la roue ! ! !
    Lisez Eco, Borgès etc.

     3-.... Le guugu yimithirr n’est pas « la » langue des Aborigènes mais une des très nombreuses langues aborigènes. On en a 183 de décrites (donc sans doute plus en vrai...). Par ailleurs il y a un très bon bouquin sur ces histoires d’espace, très facile à lire et où cette langue joue un grand rôle : Space in Language and Cognition, Stephen Levinson.....

       4- IL y a aussi Lux, ou LinGuNUx qui est une langue agglutinante à mutation


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  •   Manifestations de gratitude de la part des animaux

    Écrit le 17 février 2014 (blog de Matthieu Ricard)

       Les primates manifestent fréquemment de la gratitude envers ceux qui ont pris soin d’eux en manifestant clairement leur joie. Une vidéo récente montre une chimpanzé, qui avait été ramenée à la santé après avoir été sur le point de mourir, étreignant longuement la grande éthologue Jane Goodall, juste avant de partir vers la forêt où elle est remise en liberté.*

       L’un des pionniers de la primatologie, Wolfgang Köhler, s’aperçut un soir que deux chimpanzés avaient été oubliés dehors sous une pluie battante. Il s’empressa d’aller à leur rescousse, réussit à ouvrir la porte cadenassée de leur abri et se mit de côté pour laisser les chimpanzés rejoindre au plus vite leur couche sèche et chaude. Or, bien que la pluie continuât de ruisseler sur le corps des chimpanzés transis de froid, et que ceux-ci n’aient cessé jusqu’alors de manifester leur misère et leur impatience, avant de rejoindre le confort de leur abri, ils se tournèrent vers Köhler et l’enlacèrent, l’un autour de la poitrine et l’autre autour des jambes, dans des transports de joie. Ce n’est qu’après avoir ainsi manifesté leur appréciation avec exubérance qu’ils se précipitèrent vers la paille accueillante de l’abri.**

    * La vidéo du Chimpanzé avec Jane Goodall peut être visionnée sur le site de L’Institut de Jane Goodall ou sur Youtube

    ** Köhler, W., & Winter, E. (1925). The Mentality of Apes. K. Paul, Trench, Trubner 


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  • 16/01/2014    Youphil.com

       Money (SIMM), financé par USAID. Ouvrir une agence ou implanter un distributeur impliquent d’importants coûts fixes, mais la monnaie électronique peut, elle, proposer un modèle économique viable. Le taux de pénétration du mobile sur le marché philippin est de 100,7%. La monnaie électronique constitue donc une vraie option. » Le mandat du projet SIMM, sur deux ans, est de développer un écosystème favorable à la m-money en mettant en contact les différentes parties prenantes dans quatre villes pilotes : Quezon City, Valenzuela City et Pulilan dans la grande couronne de Manille, ainsi que Batangas, à deux heures de route au sud de la capitale. Là, SIMM s’est plus spécifiquement focalisé sur des partenariats avec de petites coopératives au champ d’action très local et déjà actives en matière de services financiers (épargne voire crédit). C’est le cas de la coopérative de Ilijan*, un petit village côtier de 7000 âmes à une Les Philippines redécouvrent la monnaie électronique Avec deux solutions de paiement mobile lancées dès le début des années 2000, les Philippines semblaient avoir un train d’avance en matière de m-banking.

         Mais la technologie n’a jamais été utilisée à grande échelle dans l’archipel. Aujourd’hui, les acteurs de l’inclusion financière essaient de relancer la machine, entraînés par le projet SIMM, financé par l’aide au développement américaine. En matière de services financiers sur mobile et de portefeuille de monnaie électronique (e-wallet), le Kenya fait office de précurseur. Au point d’en oublier que le m-wallet de Safaricom, M-Pesa, n’était pas le premier service de ce genre dans le monde. De l’autre côté de l’Océan indien, deux opérateurs téléphoniques philippins, Smart en 2001 puis son concurrent Globe en 2004, avaient déjà accouché de solutions similaires : Smart Money et G-Cash.

        La suite de l’histoire, en revanche, est clairement écrite par M-Pesa : avec 17 millions d’utilisateurs actifs et 40.000 agents, le Kenya domine de loin la scène internationale de la m-money. Il suffit de se promener dans les deux pays pour noter la différence : quand le moindre village kenyan a son agent M-Pesa (ou Airtel Money, son principal concurrent), trouver un point de contact G-Cash ou Smart Money aux Philippines se révèle particulièrement hasardeux. Et sans agent, pas de visibilité, pas d’ouverture de compte ni de transactions cash-in (transformation du cash en monnaie électronique).

       Les Philippines compteraient ainsi 10 millions de comptes de m-money mais moins de 10% seraient véritablement actifs. Le mobile pourrait pourtant être d’une grande utilité pour le développement des services financiers dans l’archipel. « Seuls 26% des Philippins ont accès aux services financiers du secteur formel et 37% des municipalités n’ont aucune banque, rappelle Mamerto Tangonan, en charge du projet Scaling Innovations in Mobile heure de route du centre de Batangas dont l’essentiel de la vie économique est porté par une centrale électrique coréenne. Grâce à l’intermédiaire de SIMM, la coopérative propose désormais l’offre de BanKO**, joint-venture entre Globe et la banque BPI permettant d’accéder à un compte épargne via son mobile en utilisant la plateforme de paiement GCash. La coopérative fait office d’agent pour BanKO. En un mois, 500 personnes ont ouvert un compte. Certaines sont déjà membres de la coopérative, d’autres non. « La plupart viennent nous trouver pour déposer de l’argent, explique Maricris, en charge des transactions BanKO pour la coopérative. Nous avons à la fois des étudiants qui déposent quelques dizaines de pesos et des personnes âgées qui nous confient les quelques pièces récoltées en vendant de la glace à travers le village. »

        Pour l’instant, les opérations cash-out ont été très rares : les clients sont essentiellement focalisés sur la dimension épargne. Le compte est rémunéré à 3% par an mais, comme c’est souvent le cas en matière d’inclusion financière, le taux d’intérêt importe bien peu pour ces clients qui valorisent essentiellement le caractère pratique du service. SIMM veut toutefois aller au-delà de la simple épargne. « Actuellement, les salariés d’Ilijan touchent leur paie sur un compte bancaire deux fois par mois et doivent se rendre en ville, au distributeur le plus proche, pour retirer leur argent. Le coût de transport est de 100 pesos aller-retour par personne et le mari y va généralement avec l’ensemble de sa famille, ce qui engendre des dépenses supplémentaires, explique Donato Pua, en charge de la zone de Batangas pour le projet SIMM. L’idée est qu’à terme, la coopérative puisse faire un prêt au salarié qui sera crédité sur son compte BanKO et auquel il pourra accéder sans avoir à quitter le village. »

        Une manière de réduire le recours aux « loan sharks », ces usuriers qui avancent le montant de la paie aux salariés en échange de leur carte bancaire. Quand le salaire tombe, ces usuriers retirent eux-mêmes l’argent et se remboursent directement, moyennant un très fort taux d’intérêt. Dans d’autres municipalités du projet, comme Pulilan au nord de Manille, la question du paiement des salariés est également au centre de l’action de SIMM. Les employés de l’administration locale sont ainsi payés non plus en liquide mais à travers un compte BanKO. Une fois sur leur compte, ils peuvent utiliser l’argent de leur paie pour payer leur facture d’électricité ou de téléphone, faire des virements à leurs enfants partis étudier à la ville, épargner ou retirer du cash chez l’un des agents cash-in/cash-out. En matière de mobile money, la question du réseau d’agents est essentielle. Or les opérateurs de téléphonie philippins, en lançant leur solution technique il y a une dizaine d’années, n’ont pas suffisamment développé ce réseau. « Il existe des agents mais ils sont inactifs car les clients ne connaissent pas ces solutions de paiement mobile », note une banquière. « Les clients ne sont pas au courant de l’existence de ces solutions car les agents préfèrent investir leur fonds de roulement dans des recharges téléphoniques dont les marges sont supérieures à celles de la mobile money », contrebalance un autre expert. Il n’en reste pas moins que sans offre et sans demande, le service est au point mort.

       Pour sortir de cette impasse, ce sont aujourd’hui les institutions financières qui prennent le relais pour constituer un réseau d’agents actifs. C’est le cas des petites coopératives comme celle d’Ilijan ou de sa voisine à Balete***. « Il est plus simple de travailler avec les coopératives : elles savent déjà gérer l’argent et sont déjà actives dans le domaine de l’éducation financière », souligne Donato Pua. De leur côté, les coopératives peuvent compter sur des retombées positives. « Nous avons beaucoup de lycéens parmi nos clients BanKo, fait remarquer Tita Hernandez, manager de la coopérative de Balete. Le bouche-à-oreille fonctionne : ils viennent ouvrir un compte les uns après les autres. Régulièrement, ils déposent quelques dizaines de pesos d’épargne et en profitent pour acheter quelques produits au magasin de la coopérative. Et surtout, ils en parlent à leurs parents qui font parfois les démarches pour devenir membres de la coopérative. »

        Le projet SIMM a aussi tissé des partenariats avec des institutions financières de plus grande envergure. Comme GM Bank, une banque rurale opérant dans le nord de l’île de Luzon (lire aussi sur ce blog « Encash équipe les banques rurales de distributeurs de billets »). La banque vient de s’allier à SIMM avec pour objectif de mettre sur pied un réseau d’agents dans sa zone d’intervention. Ces points serviront de relais de proximité à la banque pour ses opérations de décaissement de prêts, les remboursements de ses clients ainsi que leurs versements d’épargne. « Cela dégagera du temps pour nos équipes terrains », anticipe Ramon de Ocampo, vice-président exécutif de GM Bank. Les flux électroniques transiteront, eux, par la plateforme Smart Money. Une expérience similaire est menée par CARD Bank en partenariat avec Grameen Foundation dans la région de San Pablo (lire aussi sur ce blog « Microfinance et mobile : beaucoup d’opportunités, autant d’embuches »). Cela suffira-t-il pour faire des Philippines un nouveau Kenya en matière de mobile money ? Les obstacles sont nombreux : les parties prenantes doivent encore trouver le bon business model ; l’ouverture des comptes est rendue difficile par l’absence de pièce d’identité nationale ; quant à la confiance dans la technologie, elle est encore toute relative.

        Treize ans après le lancement de l’offre Smart Money, le chemin semble encore long avant une adoption généralisée du mobile pour les services financiers dans l’archipel. * Ilijan Multi-purpose Cooperative ** BanKO a le statut de "savings bank" aux Philippines. Elle propose un compte d'épargne rémunéré, une micro-assurance contre les accidents et teste une offre de crédit. Elle va donc bien au-delà du simple transfert d'argent électronique, opéré à travers la plateforme GCash. En cela, BanKO se rapproche davantage de M-Shwari, partenariat entre Safaricom et la banque CBA, que de M-Pesa lui-même. *** Pinagbuklod Multi-purpose coopérative


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  •   Transparence de la vie publique: La France au 22e rang des pays les plus corrompus

    Créé le 03/12/2013

    MONDE - Selon le rapport de l'agence Transparency, l'Afghanistan, la Corée du Nord et la Somalie, sont les mauvais élèves de ce classement...

    L'Afghanistan, la Corée du Nord et la Somalie sont perçus comme les pays les plus corrompus du monde tandis que le Danemark et la Nouvelle Zélande le seraient le moins, selon l'index annuel de l'organisation Transparency International publié ce mardi.

    Cette Organisation basée à Berlin estime que près de 70% des nations dans le monde sont considérées comme un «problème sérieux» de vénalité parmi leurs fonctionnaires. Et aucun des 177 pays étudiés en 2013 n'obtient un score parfait. Transparency International, organisation non gouvernementale, établit chaque année un indice de perception de la corruption au sein des partis politiques, de la police, du système judiciaire et des services publics dans tous les pays, un fléau qui sape le développement et le combat contre la pauvreté.

    Les plus corrompus sont les plus pauvres

    «La corruption affecte le plus les pauvres», commentait l'un des chercheurs de cette organisation, Finn Heinrich. «C'est ce qui ressort du classement: les pays les plus corrompus sont les plus pauvres et, dans ces derniers, ce sont les moins nantis qui en souffrent le plus. Jamais ces nations ne sortiront de la pauvreté si elles ne combattent pas la vénalité», ajoute-t-il.

    Parmi les pays qui ont le plus perdu de points dans l'index 2013 se trouvent la Syrie, déchirée par la guerre civile, ainsi que la Libye et le Mali, tout deux en proie à des conflits militaires majeurs ces dernières années. «La corruption va très souvent de pair avec l'éclatement d'un pays, comme vous pouvez le voir en Libye et en Syrie, deux pays qui ont enregistré la plus forte aggravation de la corruption», ajoute Finn Heinrich.

    «Si vous regardez les pays en bas du classement, vous trouvez aussi la Somalie. Ce sont des pays où le gouvernement ne fonctionne pas de façon efficace et les gens doivent recourir à toutes sortes de moyens pour obtenir des services, se nourrir et survivre».

    En Afghanistan, d'où les forces armées de l'Otan comptent se retirer l'an prochain après y être restées plus d'une décennie, «nous n'avons pas observé de progrès tangibles», constate-t-il.

    Amélioration pour la Birmanie

    En queue de peloton également, la Corée du Nord, «une société totalitaire complètement repliée sur elle même», où des transfuges racontent que la famine aggrave encore la corruption «car vous avez besoin de connaître quelqu'un de corrompu au sein du parti pour survivre».

    Parmi les pays qui «se sont le plus améliorés», bien que partant de très bas, la Birmanie, où la junte militaire au pouvoir a ouvert la porte à un processus de démocratisation. Ce pays, qui a vu les investissements bondir, s'est engagé à respecter des règles de transparence.

    «C'est la seule façon qui permette aux pays d'éviter ce que l'on pourrait appeler la "malédiction des ressources", c'est-à-dire le fait que les ressources soient seulement disponibles pour une très petite élite», dit Finn Heinrich. «C'est notamment le cas du Nigéria et d'autres pays prospères grâce à leur richesse pétrolière».

    «Tous les pays sont menacés de corruption, à tous les niveaux de gouvernement, aussi bien quand il s'agit de délivrer un permis local que lors de la mise en vigueur de lois et de régulations», met en garde la Canadienne Huguette Labelle, présidente de Transparency.

    La France au 22e rang

    L'organisation souligne qu'il est impossible de mesurer à proprement dit la corruption puisque cette dernière est illégale et dissimulée. Pour établir son indice, Transparency rassemble des avis d'experts du problème au sein d'organisations telles que la Banque mondiale, la Banque africaine de Développement, la Fondation allemande Bertelsmann, etc.

    Elle classe les pays sur une échelle de 0 à 100, la nation obtenant «zéro» étant celle perçue comme la plus corrompue. Le dernier classement «dresse un tableau inquiétant», estime Transparency. «Alors qu'une poignée de pays obtient un bon résultat, aucun n'arrive à la perfection. Et plus des deux tiers ont moins de 50», pointe l'Organisation.

    Les trois plus mauvais élèves, l'Afghanistan, la Corée du Nord et la Somalie atteignent huit points, tandis que les deux meilleurs, Danemark et Nouvelle Zélande, affichent 91 points. En queue de peloton, c'est-à-dire entre 10 et 19, se trouvent l'Irak, la Syrie, la Libye, le Soudan et le Sud Soudan, le Tchad, la Guinée équatoriale, la Guinée-Bissau, Haïti, le Turkménistan, l'Ouzbékistan et le Yémen.

    Et en haut du classement, entre 80 et 89, on trouve à côté du Danemark et de la Nouvelle Zélande le Luxembourg, le Canada, l'Australie, les Pays-Bas, la Suisse, Singapour, la Norvège, la Suède et la Finlande. La France obtient en 2013 un score de 71, identique à celui de 2012, ce qui la classe au 22e rang sur 177 pays.


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  •   Et voici où finissent les invendus de Hermès, Vuitton, Chanel et autres grandes marques de luxe ?

     Mis à jour le 09-09-2013       Thiébault Dromard   Par Thiébault Dromard (Challenges)

    Officiellement Vuitton ou Hermès ne soldent jamais... dans leurs magasins. Mais certains privilégiés profitent de très discrètes opérations de déstockage.

    Vente privée de produits de luxe organisée par Luxe for all. DR

    Vente privée de produits de luxe organisée par Luxe for all. DR
     

    Cette opération est réalisée dans le plus grand secret. Seulement une dizaine de salariés de la maison Hermès, tirés au sort parmi les 10.000 collaborateurs, en seront témoins. Au petit matin, ils se sont retrouvés devant l’incinérateur de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis. Un rendez-vous bien inhabituel pour ces artisans du cuir plus habitués à se retrouver dans leurs ateliers de Pantin que devant les grandes cheminées de cette usine traitant des déchets, où vont finir en cendres quelques-uns des plus beaux produits du groupe de luxe. Un représentant d’un cabinet d’huissier les rejoint. "Les produits Hermès sont arrivés par camions entiers, encore dans leurs boîtes orange pour certains, raconte un salarié témoin de la scène. Notre rôle consiste à vérifier que tout est effectivement détruit et que personne ne se sert au passage."

    C'est une question d'image de marque

    Jetés dans une gigantesque fosse, les vêtements ou chaussures du sellier, vite recouverts d’immondices venus d’ailleurs, sont brûlés. Aucune photo n’atteste de cette scène : les collaborateurs d’Hermès sont tenus au secret. Le sujet est un tabou de l’industrie du luxe. Qui comprendrait qu’à l’heure du développement durable, et alors que la France traverse une crise économique, la maison procède ainsi pour se débarrasser de ses stocks ? Pourtant, elle n’a pas le choix. "C’est la solution ultime quand toutes les autres ont été épuisées, confirme un ancien dirigeant. Hermès a conscience qu’en termes d’image, c’est délicat, mais c’est la seule façon de conserver l’exclusivité de la marque."

    Hermès n’est d’ailleurs pas le seul grand nom du luxe à détruire ses stocks. Chanel, Vuitton, Dior ou encore Prada font de même. Car "aussi attractive que soit une marque de luxe, elle ne peut pas tout vendre", rappelle Serge Carreira, expert du luxe à Sciences-Po. Mais jamais un sac Kelly ou Vuitton ne sera brûlé. "C’est le prêt-à-porter, du fait de sa saisonnalité et des effets de mode, qui donne lieu à des stocks importants et à des destructions éventuelles", nuance-t-il.

    Ristournes accordées en toute discrétion

    Avant d’en arriver à cette étape spectaculaire, les marques de l’ultraluxe ont d’autres options, moins extrêmes, pour évacuer leurs marchandises. Ainsi, au fin fond de Malakoff dans les Hauts-de-Seine, entre deux barres HLM, c’est dans une distillerie désaffectée, l’Espace Clacquesin, que Vuitton a organisé ses ventes très privées le 21 juin. Le personnel est passé la veille, raflant déjà une partie des produits. Les prix sont attractifs : les réductions sont de l’ordre de 50%, comme ce maillot de bain au prix public de 550 euros proposé à 275 euros. Un client tente de prendre une photo, avant d’en être empêché par un vigile. Personne ne doit savoir que Vuitton accorde à quelques privilégiés la possibilité d’avoir accès à des produits à prix cassés. Car pour le commun des mortels, il n’y a qu’une règle que répétait en boucle Yves Carcelle, l’ancien patron de la marque : "Vuitton ne fait jamais de soldes."

    Deux ans de purgatoire pour les invendus de Chanel

    Les ventes privées restent pour les grandes marques le meilleur moyen de déstocker massivement. Même si "notre nouveau système informatique nous permet de connaître chaque semaine nos niveaux d’invendus en boutiques et de limiter les stocks", indique la marque. Car, à l’exception de Prada qui dispose de son magasin de déstockage dans la banlieue de Florence, aucun grand nom du luxe ne confie ses produits à des tiers ni ne pratique de soldes en magasins. Le sacro-saint principe d’exclusivité ne s’en remettrait pas ! Ainsi Chanel enferme durant deux ans ses collections de prêt-à-porter et d’accessoires dans un entrepôt, tenu secret, près de Chantilly, dans l’Oise. Les articles sont donc vieux de plusieurs saisons quand ils sont proposés à l’Espace Champerret, en novembre, à une liste de VIP prêtes à faire des heures de queue pour un sac à quelques centaines d’euros. "Les produits sont vendus à seulement 10 à 20% de leur prix public", révèle une salariée de Chanel. A ce tarif, la clientèle d’un jour accepte tout, y compris de se changer en public faute de cabines d’essayage !

    Hermès, lui, ne réserve pas ses soldes à une liste de privilégiés. Chaque année, le sellier donne rendez-vous à ses fans au Palais des Congrès, à Paris. Sans le crier sur les toits. Juste un minuscule encart dans Le Figaro. "Le bouche-à-oreille fonctionne à merveille", relève une vendeuse. Des portants sont alignés dans une salle éclairée par des néons blafards. On est loin de l’ambiance du magasin du Faubourg. Prêt-à-porter, cravates, chaussures, linge de maison sont présentés avec des réductions oscillant entre 40 et 60%. "Les trois jours de soldes permettent de déstocker en moyenne, selon les années, les trois quarts de la marchandise", souligne un cadre qui ne veut surtout pas être cité.

    "Momo le nettoyeur"

    Enfin, les marques de luxe ont une ultime solution, plutôt que la destruction pure et simple des stocks: se faire racheter sa marchandise. L’opération est top secret. Une poignée d’acteurs tient ce marché. -Essentiellement des entreprises américaines, comme Chiron, dirigée par Maurice Goldberger, dit "Momo le nettoyeur", qui chaque année achète pour 2 à 3 millions de dollars de marchandises auprès de grandes marques, d’horlogerie suisse notamment. "Il revend ses produits aux Etats-Unis et au Canada, des pays où la culture du déstockage en magasins d’usine premium est très forte, et où la cohabitation avec un réseau de boutiques traditionnelles est possible, confirme Michaël Benabou, associé du site Vente privée et spécialiste des marchés du luxe. Il en écoule aussi dans des zones où les marques sont peu implantées, comme en Amérique du Sud ou en Afrique."

    Autre racheteur, l’entreprise Simah, père et fils, en France, travaille depuis plus de vingt ans avec une trentaine de marques de luxe. Très discrète, cette PME familiale – plus de 10 millions de chiffre d’affaires – écoule de belles pièces, "dans des pays où les marques sont peu implantées", précise Kevin Simah, le fils, qui ouvre à Paris sa première boutique de revente de produits de luxe. Son défi ? Convaincre les plus grandes marques de ne pas envoyer leurs stocks à l’incinérateur.


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  • Comment on déclenche une boucherie universelle

    Vendredi 13 Septembre 2013    Guy Konopnicki   (Marianne)


      L'historien australien Christopher Clark publie les Somnambules (Flammarion), époustouflant récit d'une marche à la guerre qui commence, en 1903, par un coup d'Etat particulièrement sanguinaire en Serbie et trouve son aboutissement lorsqu'un nationaliste serbe assassine, à Sarajevo, l'archiduc héritier du trône d'Autriche-Hongrie, François-Ferdinand. Démontage d'un mécanisme qui, quelle que soit la volonté des hommes, va provoquer le pire holocauste de l'histoire universelle.


    Capture d'écran Apocalyspe, Youtube
    Capture d'écran Apocalyspe, Youtube
     
    Qui furent les principaux responsables. Il y a cent ans, des gens ordinaires, apparemment sensés, bons père de famille et peut-être bons époux, souvent intelligents, toujours cultivés, vont enclencher, froidement, en toute bonne conscience, un engrenage qui déclenchera une guerre quasi universelle, qui ne se terminera qu'en 1945. Guerre qui se soldera par plus (peut-être même beaucoup plus) de 50 millions de morts... Car la Première Guerre mondiale et la Seconde ne font qu'une, en vérité. La seconde n'est que l'inéluctable conséquence de la première.

    Comment cela fut-il possible ? Comment a-t-on pu permettre, commettre, puis assumer un crime d'une telle effroyable ampleur ? Aucun des monstres révélés par les plus horribles de nos faits divers n'a fait pire. Quelles furent les motivations des serial killers de 1914 ? Quelle force irrépressible les a fait basculer dans cette folie meurtrière ?

    Evidemment, une question nous taraude : quel est le principal responsable de cet holocauste ? Quel personnage, quel pays ? La Serbie, dont l'hystérie nationaliste a inspiré, et peut-être instrumentalisé, l'attentat de Sarajevo contre l'héritier du trône d'Autriche ? L'étrange personnage surnommé Apis, un officier serbe auteur d'un coup d'Etat précédent, qui organisa cet attentat ? L'Autriche, qui sauta sur l'occasion pour humilier la Serbie et châtier le peuple serbe ? La Russie, qui, désirant imposer son leadership dans les Balkans, et apparaître comme la protectrice de tout le monde slave, se mit, pour se faire, au service du nationalisme et de l'expansionnisme serbe ? La France, qui avait conclu avec la Russie tsariste une alliance qui l'entraînait mécaniquement dans toute guerre voulue par Saint-Pétersbourg ? L'Italie, qui, en envahissant la Libye pour profiter de la crise de l'Empire ottoman, incita la Serbie à envahir l'Albanie, ce qui inquiéta l'Autriche.

    Cette guerre que ne désirait pas l'Allemagne

    Paradoxalement, outre la Grande-Bretagne entraînée dans ce conflit qui ne la concernait guère : par suite de l'Entente cordiale, avec la France, le pays qui redoutait le plus ce conflit, c'était l'Allemagne. Cette guerre, elle la préparait mieux que les autres, mais, prise entre deux feux, entre l'alliance franco-britannique à l'ouest et la Russie à l'est dont elle surestimait la puissance militaire, elle ne la désirait pas. A la veille de son déclenchement, le Kaiser, l'empereur d'Allemagne, était en croisière. Seuls certains chefs militaires allemands affirmaient : « Nous sommes encerclés. Mieux vaut donc que l'affrontement ait lieu aujourd'hui sans quoi nous serons écrasés demain. »

    En fait, si tous les protagonistes, en particulier le tsar Nicolas II et le président français Poincaré, ont leur part, leur très grande part de responsabilité, aucun n'imaginait, et donc ne le désirait point, que l'affrontement se généraliserait à ce point et atteindrait un tel degré de violence paroxystique. L'implacable logique des choses l'emporta sur la volonté des esprits. Un mécanisme infernal s'emballa et personne ne fut plus en mesure de le stopper. Les apprentis sorciers avaient déchaîné des forces aveugles qui les dépassaient et les submergeaient.

    Reconstituons cette machinerie devenue folle. Tout commença en 1903 par un coup d'Etat militaire particulièrement sauvage en Serbie...

    Des comploteurs d'opérette prêts à tout

    Pour sanguinaire qu'il fût, le massacre de Belgrade n'inquiète pas cependant Londres et Paris, ces capitales brillantes qui viennent de célébrer l'avènement du siècle de l'électricité et du progrès. Sir Francis Plunkett, ambassadeur de Grande-Bretagne à Vienne, est frappé par « le calme extraordinaire avec lequel un crime aussi atroce a été accepté ». Les conséquences de ce crime vont pourtant être considérables. Cerveau de cette « révolution », le lieutenant Dragutin Dimitrijevic ne revendique pas le pouvoir pour lui-même. Si ce n'était le sang répandu, il passerait facilement pour un comploteur d'opérette avec ses uniformes rutilants et sa carrure qui lui vaut d'être surnommé Apis, comme le dieu taureau de l'Egypte. Comment prendre au sérieux ces conjurés qui se réunissent au grand jour dans les cafés enfumés de Belgrade, se retrouvent à table au mess des officiers et qui vont fonder publiquement une société secrète, La Main noire ? Et pourtant, ce groupe d'officiers menés par Dragutin Dimitrijevic va mettre le feu à l'Europe.

    Explications : la Serbie de 1903 n'est qu'un petit pays taillé dans les décombres de l'Empire ottoman, lorsque Pierre Karadjorjevic devient Pierre Ier de Serbie à la faveur du massacre de la dynastie rivale des Obrenovic.

    A priori, Pierre Ier a tout pour rassurer Londres et Paris. Il a vécu l'essentiel de sa vie en Suisse et en France et il affiche une solide culture anglophone. La nouvelle Constitution adoptée semble démocratique et le gouvernement revient à un radical, Nicolas Pasic, qui ne semble guère différent des politiciens de Paris et de Londres. On ne s'inquiète pas trop du pouvoir parallèle constitué par les officiers conjurés et massacreurs. La Serbie est pauvre et ne peut équiper son armée sans s'endetter auprès des grandes puissances. La concurrence en Europe étant ce qu'elle est, il lui suffira de s'intéresser aux armements allemands pour que la France consente des crédits quasi illimités permettant d'acheter les meilleures productions des usines d'armement françaises. Et, plus la France investit en Serbie pour faire la pige à l'Allemagne, plus elle est entraînée dans le sillage de l'aventurisme serbe.

    La Russie se pose en protectrice du nationalisme serbe

    L'importance de la Serbie doit plus à sa situation géographique qu'à ses maigres richesses. Son grand voisin, l'empire d'Autriche, survit sous la forme d'une double monarchie d'Autriche et de Hongrie dont le faste, la splendeur des fêtes et la brillance intellectuelle et musicale dissimulent mal qu'elle avance, avec la plus belle inconscience, vers la catastrophe finale.

    L'affaiblissement de la Turquie donne à Vienne l'illusion d'être la puissance dominante des Balkans. La première monarchie serbe se présentait comme l'alliée de l'Autriche-Hongrie. Le coup de force de 1903 change brutalement la donne. Belgrade entend désormais disputer à Vienne les scories balkaniques de l'Empire ottoman. Les Russes, qui ont avalé la Crimée, y voient l'occasion de pousser, eux aussi, leurs pions. Les Serbes ne sont-ils pas, comme eux, des Slaves de religion orthodoxe ? La situation s'envenime, dès la fin 1903, lorsque la Serbie et la Bulgarie, encouragées par la Russie, se rapprochent, forment secrètement une union douanière qui évolue rapidement vers une alliance politique et militaire. Vue de Vienne, cette alliance slave des Balkans, soutenue par Saint-Pétersbourg, ressemble à un encerclement.

    Puisqu'il en est ainsi, l'Autriche-Hongrie décide, en septembre 1908, d'annexer la Bosnie-Herzégovine. Hurlement de Belgrade qui en appelle à la solidarité armée de tous les Serbes. Le ministre russe des Affaires étrangères propose un compromis : la Russie accepte l'annexion en échange du soutien de l'Autriche-Hongrie à la revendication russe de libre accès aux détroits qui permettrait à la flotte russe de croiser en Méditerranée. Seulement, l'Angleterre, quoique liée à la Russie par un accord, n'est guère pressée de voir les Russes sortir de la mer Noire pour piétiner ses plates-bandes. La pression britannique oblige les Russes à dénoncer l'accord, et donc l'annexion de la Bosnie par l'Autriche. Le tsar Nicolas II jure qu'il n'a jamais soutenu la démarche de son ministre, lequel affirme avoir été dupé par les Autrichiens.

    L'empire des Habsbourg d'Autriche «gémit», perclus de rhumatismes

    Occasion ratée. Les antagonismes s'exacerbent.

    Cependant, les deux empires qui s'opposent masquent mal leur décrépitude. Le tsar Nicolas II achève tout juste de contenir la poussée révolutionnaire de 1905. Il a mené une effroyable répression tout en concédant une vague libéralisation du régime. En fait, il trouve l'occasion de conforter son trône chancelant en réveillant le chauvinisme russe et en jouant la solidarité slave et orthodoxe. En 1909, il expédie un nouvel ambassadeur à Belgrade, Nicolas Hartwig, considéré en Autriche comme «un fanatique slavophile». Celui-ci va, en effet, systématiquement jeter de l'huile sur le feu.

    On a fêté, en 1908, à Vienne, les 50 ans de règne de François-Joseph, mais les fastes du jubilé ne trompent personne.

    Dominé par deux nationalités minoritaires, les Allemands et les Hongrois, le vieil empire est une mosaïque de peuples, des Polonais aux Italiens, en passant par les Ukrainiens, les Ruthènes, les Roumains, les Tchèques, les Slovaques, les Slovènes, les Croates et les Bosno-musulmans.

    Les tensions nationales, ethniques et religieuses sont partout. Entre Tchèques et Allemands, entre les Polonais de Galicie et les minorités ruthènes et ukrainiennes des Carpates, entre Hongrois et Roumains en Transylvanie, Hongrois et Serbes en Voïvodine, entre Serbes et Croates en Croatie-Slavonie, et, bien sûr, en Bosnie et en Herzégovine, récemment annexées, où la tension avec une population musulmane s'ajoute à l'hostilité entre Serbes et Croates.

    Certes, de Trieste à Cracovie, de Cernovice à Ljubljana, l'Autriche-Hongrie semble florissante, elle connaît une forte croissance économique et une formidable vie culturelle. Mais Vienne, Budapest et Prague ont beau être les capitales de la musique, l'Autriche-Hongrie se débat dans une assourdissante cacophonie. Les malheurs du vieil empereur François-Joseph fourniront de beaux scénarios de cinéma, son fils Rodolphe s'est suicidé, pour des raisons sentimentales, à Mayerling, l'impératrice Elisabeth, «Sissi», est assassinée en Suisse. La succession du trône revient à un neveu de François-Joseph, l'archiduc François-Ferdinand, dont le mariage avec une simple comtesse tchèque, Sophie Chotek de Chotkowa, est considéré comme une mésalliance. L'archiduc n'est pas seulement un successeur obligatoire, c'est un homme politique convaincu de la nécessité de réformer l'empire et de mieux y intégrer les composantes slaves.

    Les Balkans : champ clos des affrontements. Les intérêts impérialistes

    La petite Serbie, elle, s'enflamme. Son nationalisme devient d'autant plus exalté qu'elle se sent soutenue par la «grande» Russie (et indirectement par la France). Elle veut regrouper, sous sa férule, les Serbes de Macédoine, de Voïvodine et de Bosnie-Herzégovine. Elle lorgne sur le Monténégro, qui dispose d'un accès à l'Adriatique, et regarde vers l'Albanie, enclave ottomane qui accède à l'indépendance en 1912.

    Comment les Balkans, qui ne constituent pas, loin s'en faut, un eldorado regorgeant de richesses naturelles, peuvent-ils embraser l'Europe entière ? En fait, ils catalysent les tensions qui s'accumulent entre des puissances européennes qui se disputent des continents entiers, et en particulier l'Empire ottoman.

    La France s'est consolée en Afrique et en Extrême-Orient de la perte de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine. La nostalgie des territoires perdus nourrit sans doute la littérature, les romans nationaux d'Erckmann-Chatrian, la prose envoûtante de Maurice Barrès et la poésie de Charles Péguy, mais les politiques, depuis Jules Ferry, regardent ailleurs, préférant les conquêtes coloniales au rêve d'une reconquête.

    C'est en Afrique, et en Afrique du Nord tout particulièrement, que l'on s'efforce de limiter la présence allemande. Maîtresse en Algérie, protectrice de la Tunisie, la France veut renforcer sa présence au Maroc, malgré l'opposition allemande. Pour y parvenir, elle se rapproche de l'Angleterre. La IIIe République cultive le souvenir de la Révolution française, mais elle ne tient nullement à s'isoler face à une Europe presque entièrement constituée de monarchies. Si les liens du sang fondaient la politique, la République française serait en face d'une coalition écrasante. Le Kaiser d'Allemagne, Guillaume II, et le roi George V d'Angleterre sont tout deux petits-fils de la reine Victoria. La très fantasque tsarine, épouse de Nicolas II, Alexandra Hesse Darmstadt, est également une petite-fille de Victoria. Les mères de George V et de Nicolas II sont sœurs. Le Kaiser et le tsar Nicolas descendent l'un et l'autre du tsar Paul Ier. La grand-mère du tsar n'est autre que Charlotte de Prusse, grand-tante de Guillaume II.

    Si le roi d'Angleterre ne se mêle pas directement du gouvernement, le Kaiser d'Allemagne et le tsar - les deux termes signifient «César» - demeurent, eux, de véritables chefs d'Etat.

    La France construit le système d'alliances qui va rendre tout conflit mondial

    La France compense l'instabilité de ses gouvernements par la permanence de ses institutions et de sa bureaucratie. Les ministres passent, les ambassadeurs restent : des diplomates jouent ainsi un rôle considérable.

    Ministre des Affaires étrangères presque inamovible, Théophile Delcassé a fixé la ligne de la politique française : l'alliance avec l'Angleterre est plus précieuse que tous les territoires disputés en Afrique. Ce pourquoi la droite nationaliste se déchaîne contre lui et la presse le traîne la boue ! En 1899, il est, cette fois, critiqué à gauche pour avoir relancé l'alliance franco-russe qui devient de plus en plus clairement une alliance militaire. Le tsar Nicolas II se rend triomphalement à Paris, les Russes et les Français organisent des parades et des manœuvres communes. Ce rapprochement avec le plus antidémocratique des régimes européens heurte bien Jean Jaurès, mais l'opinion républicaine l'approuve, parce qu'il paraît clairement dirigé contre l'Allemagne. Théophile Delcassé n'est pas un va-t-en-guerre, mais il a mis au point un redoutable système d'alliances, qui donne au moindre conflit une dimension européenne, sinon mondiale.

    Il ne reste plus qu'à rapprocher les deux alliés de la France, l'Angleterre et la Russie. C'est chose faite en 1907. Les Russes et les Anglais se mettent d'accord sur les zones d'influence respectives, comme sur le partage des dépouilles de l'Empire ottoman. Tout est donc en place..., si une partie s'embrase, le tout flambe. La France s'est engagée à défendre la cause serbe et la politique russe dans les Balkans, la Russie en retour soutiendra les revendications françaises sur l'Alsace et la Moselle.

    Curieusement, dans cette danse macabre des diplomaties européennes, cette question d'Alsace et de Moselle semble bien enterrée. Elle hante certes la politique française, du moins dans les discours, les journaux, les pamphlets et les chansons ; mais tous les conflits portent sur les partages coloniaux ou sur les Balkans, jamais sur cette revanche dont rêvent les Français depuis 1870 ! Les plus germanophobes des Français préparent les conditions de la guerre sans jamais évoquer l'Alsace. Les regards sont tournés vers la ligne bleue des Vosges, mais la pratique passe par l'Afrique du Nord et les Balkans.

    L'Italie met le feu aux poudres

    L'Italie (membre de la Triple Alliance avec l'Autriche et l'Allemagne) veut une part du partage colonial et se lance à l'assaut de la Libye, profitant à son tour de la décrépitude ottomane. Et, puisque les Italiens attaquent un lambeau de l'Empire turc, les Serbes, les Monténégrins et les Bulgares se sentent en droit d'arracher les dernières possessions balkaniques de Constantinople.

    Conséquence : la guerre éclate dans les Balkans en 1912. Le roi Pierre Ier de Serbie prend la pose du libérateur des peuples frères opprimés par les Turcs. Les Grecs cherchent à reprendre Salonique, les Bulgares entrent en Macédoine. Du coup, Serbes et Grecs se retournent contre les Bulgares. Micmac sanglant. La Russie tente d'arbitrer et de fédérer les Slaves tout en cherchant un accord avec Constantinople : la détente contre le passage de la flotte russe dans les détroits ! Ce n'est plus une guerre, c'est un imbroglio. La Serbie remporte toutefois une victoire hautement symbolique sur les lieux mêmes de sa défaite devant les Ottomans en 1389 : le Kosovo ! La libération de cette province historique rehausse le prestige du roi Pierre Ier et, surtout, celui des militaires nationalistes.

    Au même moment, sur le front colonial, une provocation allemande au large d'Agadir tourne court. Joseph Caillaux dirige le gouvernement français et, à l'inverse de nombre de diplomates et d'hommes politiques, il se montre totalement hostile au déclenchement d'une guerre en Europe. L'affaire se solde par un compromis. Ce qui prouve que c'était possible.

    Le calme avant la tempête

    Paradoxalement, au début de 1914, l'Europe respire. L'affaire des Balkans semble s'être tassée, les Allemands ont renoncé au Maroc et reçoivent en échange une concession, entre Cameroun et Congo.

    Le 10 mai 1914, les Français élisent leurs députés et donnent une majorité écrasante à la gauche (ce qui démontre qu'ils ne veulent pas la guerre). La Chambre les républicains, radicaux et radicaux-socialistes sont plus de 300 et la SFIO (les socialistes) de Jean Jaurès et Jules Guesde obtient 106 députés. Les divisions entre radicaux et républicains rendant cependant difficile la constitution d'une majorité, le président Raymond Poincaré fait appel à l'ex-socialiste droitisé René Viviani, qui forme un gouvernement (celui qui sera entraîné dans le conflit) dont le ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand, passera bizarrement à la postérité avec le titre d'« apôtre de la paix ».

    Ce gouvernement, formé le 14 juin 1914, n'a rien de plus pressé que le renforcement des alliances de la France. Il répond donc positivement à Nicolas II qui propose d'organiser une grande réunion franco-russe en juillet à Saint-Pétersbourg. On y rendra encore plus automatique l'entrée en guerre de la France en cas de conflit de la Russie avec l'Autriche.

    Pendant que Russes et Français échangent des amabilités, l'archiduc François-Ferdinand est en visite officielle à Sarajevo.

    Le 28 juin 1914 est pour les Serbes une date symbolique : c'est le jour anniversaire de la défaite de 1389 (contre les Turcs), et c'est la première fois qu'on le célèbre dans le Kosovo redevenu province serbe. La visite de l'archiduc autrichien en Bosnie en ce jour sacré est un affront pour les Serbes de Sarajevo. La Main noire, société secrète ultranationaliste formée par les militaires conjurés de Belgrade, ne peut laisser passer ce défi. Apis - le revoilà -, l'instigateur du massacre de 1903, inspire directement les «terroristes» de Sarajevo.

    Un attentat de branquignols qui réussit par hasard

    Le complot est si peu discret que les services autrichiens, conscients du danger, transmettent une note à Vienne. Inconscients, l'archiduc et sa femme caracolent dans Sarajevo à bord d'une voiture découverte. Quelques soldats et policiers surveillent le parcours, mais François-Ferdinand et Sophie n'ont que leur chauffeur et un garde du corps comme protection rapprochée. Les terroristes sont pourtant du genre Branquignols. Ils ont prévu de lancer successivement deux bombes manuelles sur la voiture. Le premier lanceur reste comme paralysé au moment d'agir. Le second rate sa cible, la bombe rebondit sur la capote de la voiture de Ferdinand et Sophie, elle explose sur la voiture suivante.

    Cette tentative manquée devrait logiquement conduire à l'annulation du programme de visites. Le cortège parvient à l'hôtel de ville de Sarajevo ; le maire et l'archiduc prononcent les discours prévus. Mais, après cette halte, on repart : puisque le danger est passé ! L'âme de la conjuration, Gavrilo Princip, sait que ses hommes ont échoué. Il semble difficile de rattraper le coup, mais - changeant de position - il tente le tout pour le tout. L'homme n'est pas un tireur d'élite mais il réussit à tirer deux balles à bout portant. Le chauffeur accélère, fonce au palais du gouverneur. Sophie est déjà morte et l'archiduc François Ferdinand succombe peu après son arrivée au palais.

    Il ne faut pas quatre semaines pour transformer cet attentat en guerre mondiale. Gavrilo Princip n'est pas un illuminé agissant spontanément. Une partie des services secrets et de l'état-major serbe sont derrière lui. L'Autriche tourne donc un doit accusateur vers la Serbie...

    A Paris, après avoir fêté dignement le 14 juillet 1914, le président Poincaré et le chef du gouvernement, René Viviani, gagnent le port de Dunkerque où ils embarquent à bord du France, pour Saint-Pétersbourg. Ils parviennent le 19 juillet dans la capitale russe. Au même moment, à Vienne, le Conseil des ministres met au point l'ultimatum adressé à la Serbie, qui se sait soutenue par la Russie.

    Le jeu des engagements réciproques

    La Serbie veut réunir toutes les populations serbes des Balkans au détriment de l'Autriche. L'Autriche veut donc punir les Serbes. Mais les Serbes bénéficient du soutien des Russes, qui cherchent à se rallier le monde orthodoxe et slave. Or, la France s'est engagée à être solidaire des Russes, tandis que l'Allemagne ne peut laisser tomber l'Autriche, et que la Grande-Bretagne a signé un traité d'alliance avec la France. L'irrémédiabilité de la tragédie réside dans le jeu de ces engagements mécaniques et réciproques. La guerre n'est retardée que par le voyage des dirigeants français, qui prennent leur temps à Saint-Pétersbourg, puis sur le chemin du retour qui se déroule au rythme d'une croisière, avec escale à Stockholm.

    Mais on n'y peut plus rien... C'est parti...

     Extrait:    Mieux qu'un polar

    Tout commence par une tuerie royale abominable

       En ce 11 juin 1903, peu après 2 heures du matin, 28 officiers de l'armée serbe s'approchent de l'entrée principale du palais royal, à Les somnanbules (Christopher CLARK)Belgrade. Après un échange de tirs, les sentinelles qui montent la garde devant le bâtiment sont arrêtées et désarmées. Grâce aux clés dérobées au capitaine de service, les conjurés s'introduisent dans la salle de bal et se dirigent vers la chambre à coucher du roi, grimpant les escaliers et traversant les couloirs en toute hâte. Une double porte de chêne massif interdit l'accès à l'appartement du roi : les conjurés la font sauter avec une cartouche de dynamite. La charge est si forte que les portes sont arrachées de leurs gonds et projetées à l'intérieur de l'antichambre, tuant l'ordonnance qui se tenait derrière. L'explosion provoque aussi un court-circuit qui plonge le palais dans le noir. Imperturbables, les assaillants mettent la main sur des bougies dans une pièce voisine, pénètrent dans l'appartement du roi, mais, le temps qu'ils parviennent à la chambre à coucher, le roi Alexandre et la reine Draga ont disparu. Le roman français que lisait la reine est resté ouvert, posé à l'envers sur la table de nuit. Touchant les draps, l'un des conjurés s'aperçoit que le lit est encore tiède : à l'évidence, les souverains viennent juste de s'enfuir. Les assaillants passent le palais au peigne fin, à la lueur des bougies, pistolet au poing.

       Tandis que les officiers avancent de pièce en pièce en faisant feu sur toutes les cachettes possibles - meubles, tentures, canapés -, le roi Alexandre et la reine Draga restent tapis à l'étage, dans un minuscule réduit situé derrière la chambre à coucher où, en temps ordinaire, les femmes de chambre de la reine repassent et préparent ses robes. La fouille du palais se poursuit pendant presque deux heures. Le roi, n'ayant aucune envie que ses ennemis ne le découvrent nu, profite de cet intervalle pour enfiler un pantalon et une chemise de soie rouge. La reine parvient à se couvrir d'un jupon, d'un corset de soie blanche et d'un unique bas jaune.

    Dans Belgrade, d'autres victimes sont débusquées et tuées : les deux frères de la reine, que beaucoup soupçonnent d'avoir des vues sur le trône de Serbie, se laissent convaincre par ruse de quitter la demeure belgradoise de leur sœur, puis, « emmenés dans un corps de garde non loin du palais, ils [sont] insultés et sauvagement poignardés ». Le Premier ministre, Dimitrije Cincar-Markovic, et le ministre de la Guerre, Milovan Pavlovic, sont tous deux assassinés dans leurs appartements - Pavlovic est transpercé de 25 balles alors qu'il s'était caché dans un coffre en bois. Laissé pour mort, le ministre de l'Intérieur, Belimir Théodorovic, lui, survivra à ses blessures.

    Pendant ce temps, au palais, le premier aide de camp du roi, le loyal Lazar Petrovic, désarmé et fait prisonnier après un échange de coups de feu, est amené de salle en salle par les assassins, dans l'obscurité, et contraint d'appeler le roi à chaque porte. Retournant dans la chambre royale pour la fouiller à nouveau, les conjurés finissent par trouver une porte dissimulée derrière la tenture. Quand l'un des assaillants propose d'abattre le mur à la hache, Petrovic comprend que la partie est jouée et accepte de demander au roi de sortir. De derrière la boiserie, le roi demande qui s'adresse à lui, ce à quoi Petrovic répond : « C'est moi, votre fidèle Lazar, ouvrez la porte à vos officiers. » Au roi qui demande alors s'il peut avoir confiance en la parole de ses officiers, les conjurés répondent par l'affirmative.

    Selon un témoignage, le roi émerge, amorphe, lunettes sur le nez, vêtu de son incongrue chemise de soie rouge, tenant la reine dans ses bras. Le couple est abattu par une volée de balles tirées à bout portant. Dégainant un pistolet qu'il avait caché sur lui, Petrovic tente désespérément de protéger son maître (ou du moins c'est ce qui sera déclaré plus tard) mais tombe également sous les balles. S'ensuit alors un déchaînement de violence gratuite : cadavres transpercés de coups d'épée, déchirés à la baïonnette, à demi éventrés, frappés à coups de hache jusqu'à en devenir méconnaissables. Le barbier italien du roi, à qui l'on donne l'ordre de ramasser les corps et de les préparer pour l'enterrement, rapportera, traumatisé, comment le corps de la reine a été traîné jusqu'à la balustrade de la fenêtre et jeté dehors dans le jardin, à moitié nu et couvert de sang. On raconte également que, lorsque les assassins ont tenté de faire de même avec Alexandre, une de ses mains s'est refermée sur la balustrade. Un officier lui tranche le poignet d'un coup de sabre, et le corps ainsi que plusieurs doigts sectionnés tombent à terre. Au moment où les assassins se rassemblent dans le jardin pour fumer une cigarette et inspecter le résultat de leurs œuvres, il se met à pleuvoir.

    Les événements du 11 juin 1903 marquent un nouveau départ dans l'histoire politique serbe. La dynastie des Obrenovic, qui avait dominé la Serbie pendant presque toute la courte existence de ce pays depuis son indépendance, a pris fin. Quelques heures après les assassinats, les conjurés annoncent l'extinction de la lignée des Obrenovic et l'avènement sur le trône de Pierre Karadjordjevic, le futur Pierre Ier de Serbie, alors exilé en Suisse.

    Extrait des Somnambules, de Christopher Clark, Flammarion, 25 €


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  •  Signaler les nids-de-poule avec son portable et 9 autres idées à importer

    Pascal Riché | Cofondateur Rue 89 (sur le site vous trouverez bien d'autres idées)

    Des câbles pour demander l’arrêt du bus, un drive-in pour faire sa vidange, des interrupteurs sur les prises... Suite de notre tour du monde des bonnes pratiques.

    91 Brader les produits bientôt périmés

    Japon, Etats-Unis, etc.

    Au Japon, raconte dans un commentaire Yoaken, les supermarchés ont pris l’habitude, pour éviter le gaspillage (et permettre aux ménages modestes de faire des économies par la même occasion) de baisser les prix jusqu’à 50% des produits arrivant presque à la date de péremption.

    C’est une pratique que j’ai constatée également aux Etats-Unis : des gros autocollants « -30% » ou « -50% » ornent certains poissons ou morceaux de viande sous emballage.

    Déjà dans certains magasins français...
    Sur Twitter, @AudelineLem nous signale que la chaîne U pratique déjà ces réductions. « Pas mal de supermarchés le font déjà », commente aussi notre riverain Gwanana ; et Xahendir dit déjà avoir vu « des barquettes de légumes préparés (carottes râpées par exemple) » soldées. Déjà importé, donc : -(

    Au Japon, cette pratique touche aussi les légumes un peu défraîchis : ils sont mis sur un stand à côté, à moitié prix. Les yaourts également :

    « Ils sont à -20% puis -30%, tout comme le lait et d’autres produits périssables. Lorsqu’ils vont être périmés dans les deux ou trois jours qui suivent, ils sont mis à -50%. Pareil pour la viande ou le poisson qui sont à -50% la veille de leur date de péremption. »

    Idem pour les produits « traiteur » :

    « Tous les produits “traiteur” ne sont à 100% de leur prix que pendant quatre à six heures (suivant les plats) après leur sortie des cuisines. On peut voir le personnel travailler à travers les vitres, tout est frais et fait sur place.

    A chaque nouvelle heure qui passe, un employé vérifie l’heure de fabrication et colle un “sticker” : -10% puis -20%, puis -30%, puis -50%. A la fin de la journée, il y a peu de choix dans les rayons “traiteur”, mais tout est à -50%. »

    92 Pas de priorité à droite

    Etats-Unis  Aux Etats-Unis, la priorité à droite n’existe pas. La règle adoptée semble complexe, mais elle est assez instinctive :

    • celui qui roule sur l’avenue a toujours la priorité sur celui qui vient de la petite rue adjacente. « Tout le monde le sait et c’est plus sûr », témoigne Lucas, qui vit dans l’Ohio ;
    • si les deux voies qui se croisent sont de même taille, on s’arrête et le premier arrivé au carrefour est le premier à passer. Si deux véhicules arrivent en même temps, c’est celui de droite qui passe d’abord ;
    • si votre voie débouche sur une autre rue mais ne la traverse pas (comme dans un T), vous devez céder le passage aux véhicules qui circulent.

    Généralement, dans les villes, aux croisements de deux rues similaires, l’arrêt est clairement demandé aux automobilistes, grâce à quatre panneaux stop.


    Un carrefour à quatre stops à Washington, parmi des centaines (Google street view)

    Alexandre trouve que là où le principe du « four-way stop » devient « carrément génial », c’est quand il y a une panne des feux de signalisation à une intersection :

    « La règle du “four-way stop” s’applique alors et il n’y a jamais de bordel. »

    Jamais ? Je confirme (après six ans de conduite aux Etats-Unis), malgré ce qu’ont pu en dire certains humoristes.

    Pour Lucas, l’absence de priorité à droite a une conséquence bien concrète :

    « Pas d’accidents dus à des abus de priorité à droite comme c’est le cas souvent en France. »

    En France, c’est vrai que la priorité à droite force sans cesse à faire travailler les neurones : « Hein ? C’est vraiment lui qui a la priorité, lui qui sort de cette ruelle ridicule ? ? ? » Ou pire chez certains : « Merde, ma droite, elle est où ? »....

    93 Des câbles pour demander l’arrêt du bus

    Canada et Etats-Unis   Seer a vécu dans plusieurs villes en France, où elle devait prendre le bus pour se déplacer : Orléans, Strasbourg, Paris. Elle se souvient que les demandes d’arrêt étaient compliquées aux heures de pointe quand on n’avait aucun bouton rouge accessible depuis sa place.

    Elle vit aujourd’hui à Mississauga, au Canada, et n’a plus ce problème :

    « On peut demander l’arrêt en tirant sur un câble qui court le long de la fenêtre. C’est pratique, plus simple et plus efficace que de mettre des boutons partout comme dans les bus strasbourgeois récents. »

    « Yellow bus bell »    Un grand film de Jon Par

    94 Des interrupteurs sur les prises électriques

    Nouvelle-Zélande

    Marine vit en Nouvelle-Zélande. Elle trouve très ingénieux d’avoir imposé des interrupteurs sur toutes les prises électriques. Une lumière s’allume quand le courant passe. 

    Une prise électrique en Nouvelle-10 bonnes idées à importer (suite)Zélande (Marine Roudié pour Rue89)

    « Nous consommons moins d’énergie et cela limite les risques d’électrocution et de faire sauter les fusibles ! »

    L’interrupteur permet de couper l’électricité sans avoir à enlever la prise.

    Bon, le revers de la médaille : il faut souvent vérifier que deux interrupteurs au lieu d’un sont sur la position « on »... Mais cela ne gène pas trop Marine :

    « Ce n’est pas plus gênant que les multiprises avec interrupteurs que nous avons en France. Cela devient une habitude. »

    95 Faire sa vidange en drive-in

    Allemagne et Etats-Unis    Pierre-Jean, en Allemagne :

    « Nous connaissons le fast-food drive-in, le cinéma drive-in et même le supermarché drive-in. Les Allemands, grands amateurs de voitures devant l’Eternel, ont trouvé la solution pour les entretenir proprement et simplement : la vidange drive-in.

    Souvent associé à des stations d’essence et de lavage, il s’agit d’un bâtiment avec cinq ou six fosses, au-dessus desquelles le conducteur place sa voiture. Il reste à son volant tandis qu’un employé vide le carter d’huile et qu’un autre le remplit avec un genre de pistolet. L’opération ne dure pas plus de cinq minutes et se paie par la fenêtre.

    Grâce à l’énorme débit de ces ateliers, la vidange + filtre ne coûte pas plus de 30 euros même pour une grosse berline. Ainsi paré, le véhicule peut retourner brûler de l’asphalte sur les fameuses autoroutes sans limitation de vitesse. »

    La vidange en drive-in est également courante aux Etats-Unis. On en profite pour tester les phares, vérifier le filtre à air, l’état des pneus, etc. Le tout en quelques minutes.

    96 Des sacs-poubelle pour le compost

    Gatineau (Canada)    A Gatineau, dans la banlieue d’Ottawa, chaque habitant dispose de trois poubelles, explique Cathy :

    • une poubelle « normale » pour les ordures ménagères ;
    • une poubelle pour les recyclables (plastique, papier, verre, etc.) ;
    • un sac pour le compost (épluchures de fruits et légumes, sachets de thé, coquilles d’œufs, mouchoirs en papier...).

    Un seul camion, muni de deux compartiments, ramasse les matières en alternance chaque semaine : matières compostables et recyclables ou matières compostables et ordures ménagères.

    « Le compost ainsi fabriqué est redistribué aux habitants de la ville qui le souhaitent ou utilisé par la ville pour les massifs de fleurs. »

    Au final, les ordures ménagères non-recyclables sont rares, témoigne Cathy :

    « Nous avons été surpris d’avoir ainsi zéro déchet, pour deux semaines de séjour. Nous n’avons utilisé que les recyclables et le sac à compost.
    C’est hypersimple plutôt que les bacs à compost compliqués chez nous pour les citadins. »

    Le système existe aussi dans certaines communautés de Montréal ou de Québec.

    97 Des barbecues jetables

    Suisse  Un BBQ jetable

    Lucie vante les barbecues jetables qu’elle trouve en Suisse :

    « Une barquette alu contenant des charbons qu’on enflamme (taille : environ 40x40 cm).

    Une fois les saucisses cuites, il ne reste que la barquette alu : super pratique ! »

    (Notre riverain Trillium signale en commentaire : « Des amis en ont récemment acheté un au fin fond du Maine-et-Loire »... En France, donc !)

    98 Des zones fumeurs dans la rue

    Japon  Notre riverain Thomas écrit :

    10 bonnes idées à importer (suite)« Au Japon, on trouve des zones fumeurs un peu partout, personne ne fume dans la rue en marchant. A l’aéroport de Narita (Tokyo) par exemple quand on sort pour en griller une il faut aller dans une des nombreuses petites zones réservées ; à l’intérieur il y a des cendriers avec d’énormes hottes aspirantes.

    Dans la rue idem il y a des endroits réservés aux fumeurs avec des cendriers installés tout autour. »

     Une zone fumeurs à Tokyo en 2006 (Roy Garner//REX/SIPA)

     99 Des péages pour les voitures dont le volant est de l’autre côté

    Japon Une idée inattendue, proposée par Michel :

    « Au Japon, les “kèkes” aiment bien avoir des voitures avec le volant à gauche, pour frimer. (En effet, comme en Grande-Bretagne et en Thailande, au Japon, on roule à gauche, donc volant à droite).

    Juste pour eux, les sociétés d’autoroutes ont équipé tous leurs péages d’au moins un guichet à gauche.

    Nous qui avons tant de touristes et de camions provenant d’Irlande et du Royaume-Uni, nous ne sommes même pas foutus de faire la même chose à nos péages d’autoroutes. Ne serait-ce pas la moindre des courtoisies ? »

    100  Une appli pour aider à réparer les rues

    Belgique 

    Découverte à Bruxelles par Romain, une application pour smartphone, « Fix my street », assez pratique.

    Elle permet aux citoyens d’aider la collectivité locale à réparer les rues.

    10 bonnes idées à importer (suite)« Ils envoient, avec leur mobile, les photos des nids-de-poule sur la chaussée, trottoirs abîmés, marquages en mauvais état, pistes cyclables partiellement effacées ou revêtements dégradés…

    En précisant la localisation de la photo, vous permettez de renseigner les services de la voirie sur les réparations qu’il y a à effectuer. »

    Sur Twitter, Louis Lepioufle (@LouisLep) nous signale le dispositif « expérimental » de Paris, « Dans ma rue » : une appli et un site inspirés de « Fix my street » et lancés début juillet. 

    Une marmotte nichée dans un nid-de-poule, dans le Montana (Etats-Unis) en mars 2010 (Zack Clothier/Rex Fea/REX/SIPA)


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  • Cass Pennant, ex-hooligan : "On ne naît pas violent"

    Créé le 07-07-2013    Par

    Cass Pennant est un repenti. Dans les années 70 et 80, il a fait partie de l'Inter City Firm, l'un des groupes de hooligans anglais les plus connus au monde.

    Cass Penant, hooligan repenti Cass Penant

                                                          Cass Penant, hooligan repenti
     

    Une matinée ensoleillée de mai, à Regent Park, en plein coeur de Londres. Après avoir dérangé dans son ménage le propriétaire du pub qui abrite le petit bureau de Cass Pennant, je frappe, hésitant.

    "Come in" me dit une voix qui ferait passer Barry White pour Bill, le chanteur de Tokyo Hotel. J'imaginais Cass Pennant impressionnant. Il l'est.

    Ancien membre, puis leader de l'Inter City Firm (ICF) dans les années 70 et 80 - l'un des groupes de hooligans les plus connus au monde -, il est aujourd'hui écrivain, réalisateur et surtout, repenti.

    A 55 ans, marié et père de deux enfants, il a déjà eu plusieurs vies. Racisme, violence, taule.

    Dans sa tanière, des gants de boxe, des ballons de foot d'époque, un poster de Mike Tyson, des livres et des DVD dédiés au football et aux sports de combat.

    A la croisée des deux, le hooliganisme.

    • Comment êtes-vous entré dans le monde du hooliganisme ?

    J'ai été abandonné par ma mère et adopté par un couple de parents blancs. Dans le quartier, j'étais le seul noir, dans une communauté blanche. J'ai souffert du racisme, à l'école et en dehors. Même certains programmes à la télévision étaient racistes.

    Dans le même temps, le mouvement skinhead est apparu à la fin des années 60 ; une sorte de contre-culture, par opposition aux hippies et au "peace and love". Au départ, c'était un mouvement violent, mais ni racial ni politique. Juste de la violence.

    Je suis rentré dans un gang à 11 ans et pour la première fois, je n'ai pas été mis de côté. Je recevais de l'amour, j'étais accepté.

    C'est par l'intermédiaire de ce gang que je suis arrivé à l'ICF.

    • Le hooliganisme est pourtant connu pour ses dérives racistes ?

    Il y avait du racisme, mais pas au sein de l'ICF. Je me rappelle lors d'un match à West Ham [club de l'est de Londres], qu'un groupe de hooligans skinheads entonnaient des chants racistes, en faisant le salut nazi, et ce devant les propriétaires du club et la police, qui n'ont pas bougé.

    Ils étaient deux cents. Je suis allé en face d'eux et ils se sont dits : "c'est qui le gars noir là" ?[Il chuchote] "C'est le leader des ICF".

    Il y a eu une confusion, puis un début de bagarre. Les gars de l'ICF m'ont défendu. La police n’a pas arrêté les fascistes qui faisaient "Sieg Heil". Ils m'ont arrêté moi...

      Pourquoi avoir choisi de supporter West Ham et pas Tottenham, Arsenal, Chelsea ou un autre club ?

    C'était la meilleure équipe de Londres à l'époque. Ils avaient gagné la Coupe d'Angleterre et la Coupe des coupes [une Coupe d'Europe qui n'existe plus ndlr]. En fait, à Londres, il y avait deux grosses équipes dans les années 60 : West Ham et Tottenham.

    L'Angleterre venait de gagner la coupe du Monde [en 1966], mais beaucoup de monde disait que c'était West Ham qui l'avait gagnée. Bobby Moore, Geoffrey Hurst, Martin Peters (un but en finale) jouaient pour les Hammers.

    Mon premier match ? C'était avec mon père, juste après la Coupe du monde. J'avais huit ans. Il avait acheté deux abonnements. Je ne me rappelle pas du score, ni de l'équipe en face, mais je me souviens parfaitement des chants et de l'ambiance.

    • Vous avez rapidement intégré l'ICF ?

    Quand l'Inter City Firm a été fondé dans les années 70, le hooliganisme était déjà bien établi en Angleterre. Il y avait différents groupes, à West Ham : le Southbank, la Northbank, les Dockers...Beaucoup de supporters d'autres équipes avaient peur de venir ici [..].

    Les différentes sections de West Ham se battaient entre elles, pour savoir quel était le groupe le plus fort du club. Un jour, on s'est rencontré et on s'est dit : "plus de fight entre supporters de West Ham, on est de la même ville."

    Tout cela c'est grâce à l'initiative de Bill Gardner, un Docker devenu une légende car il a réussi à rallier les troupes.

    • Vous étiez fan de football avant tout ou c'était plus pour la baston ?

    A l'origine, j'étais un fan de football. Mais le hooliganisme, ça va au-delà. C'était une culture, un style de vie. Selon moi les hooligans ne sont pas des criminels. La plupart n'ont pas de casier judiciaire.

    On m'a tiré dessus quand j'étais videur dans une boîte de nuit, mais jamais dans le cadre du football. Un voleur est voleur du lundi au dimanche.

    Hooligan, c'est uniquement les jours de match.

    • Comment en êtes-vous devenu le chef dans les années 70 ?

    J’avais la réputation de bien savoir me battre. C'est pour ça aussi que les groupes rivaux me voulaient. Quand je suis arrivé à l'ICF, j'étais un écolier, mais j'étais déjà fort. Très rapidement, je suis devenu un homme.

                     Cass Pennant (DR)

    • L'ICF a “révolutionné” le monde du hooliganisme britannique...

    Au bout d'un moment, cela a été difficile d'être hooligan sans se faire attraper car la police et les autorités anglaises ont voulu éradiquer le phénomène.

    On a dû s'adapter et trouver des solutions pour continuer à nous déplacer, de façon à ne pas nous faire repérer.

    On a révolutionné la manière de voyager. Dans les trains, on allait en première classe, où les policiers ne pensaient pas nous trouver.

    On s'est habillé avec des vêtements de marque pour passer inaperçus. On est devenu une vraie entreprise. Tous les autres groupes de hooligans en Angleterre nous ont copiés [...].

    Sur nos victimes, on lassait des cartes de visite. C'était du jamais vu. Nous sommes devenus incontournables.

    • Où, quand et pourquoi a débuté cette terrible rivalité entre West Ham et Millwall ? Une légende parle d'une grève dans les années 20 ?

    Cette grève a existé, mais elle n'était pas liée au football. La vraie raison de cette rivalité date de 1972 - avant l'ICF-, en marge d'un match en hommage à Harry Cripps, un joueur très rugueux de Millwall.

    Cela a débouché sur une bagarre entre des hooligans des deux camps. Tout le monde était au courant de ça. D'ailleurs, les autres hooligans de Londres - de Chelsea, Tottenham, Arsenal - , venaient voir [nos combats] pour savoir qui avait la suprématie.

    Pourquoi Millwall ? Parce que nous étions le même genre de gars. Une rivière nous séparait, mais on faisait partie de la "working class" [classe ouvrière]. On était des durs.

    • Il vous arrive d'aller à Upton Park [le stade de West ham Ndlr] pour assister aux matchs ?

    Non pratiquement jamais. J'y suis retourné lors d'un match entre West ham et Millwall en 2009, mais en tant que journaliste pour le quotidien The Guardian.

     

    Je regarde les matchs à la télévision maintenant. Personnellement, je préfère l'ambiance du pub. Qu'est devenu le football aujourd'hui ? Acheter des maillots et des abonnements ? West Ham, c'est pas un concert de pop !

    • Quel regard portez-vous justement sur le foot anglais aujourd'hui ?

    La Premier League, les chaînes de télévision (Sky, ESPN...) ont détruit la culture de supporter. Etre supporter ce n'est pas seulement durant 90 minutes. Il y a une dimension sociale.

    Beaucoup de gens finissent par déménager du lieu où ils ont grandi et où se trouve le club qu'ils supportent. Ils y retournent néanmoins pour assister aux matches de leur équipe, ce qui leur permet de renouer avec leur héritage.

    C'est pourquoi beaucoup de supporters anglais restent fidèles aux ligues inférieures. La troisième, la quatrième division. Pas pour se battre, non, mais parce que ça a un sens. Ils voyagent ensemble, chantent, mangent....

    Maintenant en Premier League [1ère division en Angleterre], tout ça, c'est fini., C'est devenu "assieds-toi, donne-moi ton argent, ne fume pas, bois ta bière dans un verre en plastique". C'est seulement du business.

    • Vous avez été contacté par Lexi Alexander pour aider à réalisation du film "Hooligans" sur l'ICF. Vous avez même eu un rôle...

    J’ai joué un officier de police (rires). Quand cette réalisatrice allemande a voulu réaliser ce film sur le hooliganisme à West Ham, elle a fait quatre ans de recherches avant.

    Quand elle est arrivée ici, elle a découvert Cass Pennant et surtout, mon livre. J’ai réalisé que les recherches que j’avais faites pour l'écrire suscitaient de la fascination.

    • Vous avez aussi été le premier hooligan du pays à avoir été condamné et emprisonné ?

    La première fois, c'était pour une rixe après un match. Lorsque j'ai été condamné à trois ans de prison, j'ai compris que j'allais servir de bouc émissaire et que je prendrais pour tous les faits de hooliganisme qui avaient eu lieu dans le pays.

    A l'époque, tous les médias avaient parlé de mon cas. Ce procès était tout simplement un spectacle. Ca a changé ma vie. En prison, j'ai découvert les livres, pris des cours d'anglais, écrit mon histoire.

    J'ai surtout décidé de quitter le milieu [du hooliganisme].

    • Ca a été dur d'arrêter de fréquenter l'ICF ?

    Un jour, j'ai croisé un ancien jeune de l'ICF. Il s'était fait frapper par un fan de Liverpool dans les années 80 lors d'une rixe. Il avait 13 ans.

    Il était resté six mois dans le coma et la moitié de son corps était paralysée. Il m'a dit : “Le football me manque, l'ICF me manque. C'était la meilleure période de ma vie".

    Le hooliganisme est une drogue, mais c'est difficile à expliquer. Il ne s'agit pas que de violence, mais de la vie qui va avec.

    Ca n'a pas été facile d'arrêter car j'ai moi-même rejoint un gang à 11 ans. Lorsque je suis sorti de prison tout le monde me disait de revenir aux affaires. J'avais une réputation, c'était plus dur que si j'avais été un inconnu.

    Plusieurs événements m'ont fait réfléchir. Un second passage en prison en 1981 - j'avais été accusé, à tort, d'avoir poignardé quelqu'un.

    Une arrestation en 1986, pour laquelle je risquais dix ans de prison (je n'ai finalement pas été condamné). Quelques années plus tard, j'ai reçu trois balles devant la boîte de nuit où je travaillais.

    Lorsque j'ai survécu, le gang voulait me venger. J'ai réalisé alors que je devais choisir entre deux modes de vie. Entre une famille et l'ICF, qui avait toujours été là pour moi quand la société me rejetait.

    J'ai choisi ma famille.

    • Vous regrettez cette période ?

    Tu ne peux rien changer à ton passé. Le plus important c'est ce que j'ai pu apprendre de cette expérience et comment j'ai pu avancer. J'essaye d'être une inspiration pour les autres. Je suis marié, mon fils est officier dans la Navy.

    (Il sort un livre sur le ICF et pointe l'une des première pages). Regarde ce que sont devenus les leaders de l'ICF. Directeur, électricien, réalisateur... Ils ont tous changé de vie. Si j'ai pu le faire, tout le monde peut le faire.

    Personne ne nait violent.

    • Vous êtes encore en danger ?

    Le passé revient toujours, mais je vis ma vie. Peu de personnes le savent, mais un des anciens chefs noirs d'un groupe de hooligans à Millwall est mort cette année. Une légende. On s'est battu l'un contre l'autre à plusieurs reprises, il avait du pouvoir.

    Juste avant les funérailles j'ai reçu une invitation personnelle où il était inscrit “Come to Millwall”. Je suis allé chez lui lors de la réception. Il y avait sa femme, sa soeur, toute sa famille.

    J'ai laissé une gerbe de fleurs avec un message. On se faisait partie de groupes ennemis, mais malgré tout il y avait du respect


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