•    11/09/2012

    Le Parlement européen veut la vérité sur les prisons secrètes de la CIA

    Camille Polloni | Journaliste Rue89
    Mis à jourle mardi 11 september 2012 à 15h06
    Ajout du résultat du vote et des déclarations de Sylvie Guillaume.
     

    Ce mardi, les députés européens ont adopté une résolution pour inciter les Etats membres de l’UE à « enquêter sur l’existence de prisons ou d’installations secrètes sur leur territoire où des personnes auraient pu être détenues en vertu du programme de restitution secret de la CIA ».

    Sans surprise, le texte a été voté à une majorité écrasante (568 pour, 34 contre et 77 abstentions) mais n’aura sans doute pas un impact décisif. « Il a une valeur morale », commente Sylvie Guillaume, eurodéputée française, vice-présidente du groupe socialiste et démocrate :

    « Il s’agit de redynamiser la manifestation de la vérité, qui progresse lentement. De montrer qu’on n’oublie pas, et qu’on suit régulièrement le dossier. »

    Entre 2001 et 2005, au moins un millier d’avions de la CIA auraient survolé le territoire européen. L’agence américaine aurait aussi fait enfermer une vingtaine de personnes soupçonnées de terrorisme, dans le plus grand secret, notamment en Pologne et en Roumanie.

    D’autres pays auraient collaboré avec les Etats-Unis, comme la Lituanie, le Royaume-Uni et le Danemark. La plupart des Etats ont toujours nié leur implication.

    Rouvrir les enquêtes

    Le Parlement européen a commandé un rapport à l’eurodéputée écologiste française Hélène Flautre, qui a rendu ses conclusions en juillet. Elle propose alors une résolution, votée en commission avant la séance plénière de ce mardi.

    Le texte définitif insiste sur plusieurs points :

    • tous les Etats membres concernés ont fait traîner les enquêtes, opposant bien trop souvent la confidentialité aux recherches ;
    • la Roumanie doit ouvrir une enquête indépendante sur les sites secrets présumés de détention de la CIA dans le pays. En décembre 2011, des médias allemands donnaient l’emplacement de l’un d’entre eux, mais l’Etat a nié ;
    • la Lituanie doit rouvrir la sienne compte tenu d’éléments nouveaux sur « les liaisons aériennes entre la Roumanie et la Lituanie ». En 2009, deux sites de la CIA ont été découverts sur son territoire ;
    • la Pologne doit poursuivre l’enquête en cours et faire preuve de davantage de transparence. Récemment, elle a transmis des documents à la Cour européenne des droits de l’homme mais a demandé qu’ils demeurent secrets ;
    • « Les députés demandent aussi à la Finlande, au Danemark, au Portugal, à l’Italie, au Royaume-Uni, à l’Allemagne, à l’Espagne, à l’Irlande, à la Grèce, à Chypre, à la Roumanie et à la Pologne de divulguer tous les plans d’information suspects liés à la CIA et à leur territoire. »

    Site présumé en Roumanie, dénoncé par des médias allemands (AP/SIPA)

    Dans une interview à RFI, Elena Crespi, d’Amnesty international, regrette la « coopération très difficile » entre les autorités des Etats membres et ceux qui essaient de dresser un bilan précis des agissement de la CIA en Europe. Elle parle d’un « recours abusif au secret d’Etat, à la sécurité nationale » :

    « On est devant un paradoxe : il y a de plus en plus d’informations mais de l’autre côté des enquêtes qui s’arrêtent. [...] Il faut faire pression sur les Etats membres. L’UE doit être plus ferme, plus cohérente, pour que la justice soit faite et que la vérité soit découverte. »

    Sylvie Guillaume confirme qu’« il existe une culture du secret, de la classification » :

    « Il faut progresser, pas seulement par la contrainte mais aussi en faisant la démonstration que c’est utile à tous, que les pays qui font preuve d’ouverture en sortent grandis. »

    Un premier rapport en 2007

    En 2007 déjà, le rapport Fava, du nom d’un eurodéputé italien, dressait un premier bilan. Libération le résume à l’époque :

    « La plupart des pays de l’UE connaissaient le système des prisons secrètes de la CIA hors des Etats-Unis et ont caché des informations à la commission d’enquête du Parlement européen, a estimé son rapporteur, Claudio Fava.

    Et de dénoncer “la très grande réticence de la quasi-totalité des Etats membres (à l’exception de l’Espagne et de l’Allemagne) à coopérer” à cette enquête. Y compris le chef de la diplomatie européenne, Javier Solana, accusé d’avoir menti par “omission”.

    Toujours selon Fava, les Américains ont, par trois fois entre février 2005 et mai 2006, explicitement informé les Européens de ces violations du droit international, présentées comme “une méthode de lutte antiterroriste”, dont Bush a fini par avouer l’existence en septembre. »

    D’après Amnesty International, qui a suivi le dossier, « des résolutions adoptées en 2007 et 2009 priaient instamment les Etats membres de l’UE à ouvrir des enquêtes, mais elles ont été en grande partie ignorées ».


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  • Légumes côté cour, légumes côté jardin

     

     

    Le melon charentais et Nikola Karabatic, handballeur.

     

     

    La botte d’asperges blanches d’Argenteuil et Aurélie Cantin, danseuse.

     

     

    Les choux Rodynda et Dottenfelder Dauer et Axelle Bretteil, mère de famille.

     

    Le potimarron et Catherine Le Runigo, peintre.

     

     

    Les épinards Junius et Jean-Pierre Bonnefon, un dur, un vrai, un tatoué

     

     

    Le poireau monstrueux d’Elbeuf et Jean-Claude Opec, maire d’une commune de Haute-Saône.

     

    Les myrtilles et Mayli M., journaliste.

    Amoureuse des bizarres rutabagas ou des étranges patates douces, la photographe Joëlle Dollé fait poser depuis quatre ans inconnus et célébrités pour révéler cette matière vivante.          

    Article publié dans le

    N°39 - septembre 2012

    J’ai rêvé d’une France 100% renouvelable

    C’est l’histoire d’un coup de foudre. Il y a quatre ans, Joëlle Dollé reçoit son premier panier bio… et découvre un tas de légumes « bizarres », du rutabaga au céleri rave en passant par la patate douce. « C’était incroyable, je les ai trouvés à la fois beaux, avec des formes magnifiques, et bons », se souvient-elle. « J’ai eu envie de partager ça et proposer un nouveau regard sur les légumes. » La photographe fait donc poser famille, voisins et amis. « A chaque fois, une alchimie se créait, ça m’a amusée. Dès que quelqu’un venait chez moi, je regardais ce que j’avais dans mon panier et on improvisait. » Des légumes anciens ou connus, peu importe. La série s’est créée au fil des rencontres et des saisons. Quelques personnalités aussi sont passées devant son objectif, comme le chef étoilé Alain Passard ou le jardinier et chroniqueur Claude Bureaux. Aujourd’hui un livre et une expo témoignent de l’aventure et chaque photo est accompagnée d’un petit texte historique ou d’une anecdote sur le légume sublimé. Place à la dégustation. —

    « Des légumes et des hommes », à Versailles jusqu’au 9 septembre, puis du 1er octobre au 31 décembre au Chai de Bercy, et à la foire de Paris du 26 octobre au 4 novembre.

    Sources de cet article

    - Le site Des légumes et des hommes

      Le rédacteur   Claire Baudiffier  pour Terraéco.net


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    C'est reparti ! A partir du 29 août, les installations olympiques de Londres reprennent du service pendant 15 jours pour les Jeux paralympiques. Pour Patrick Clastres, chercheur rattaché au Centre d'histoire de Sciences Po et spécialiste des JO*, ces jeux marquent cependant une nouvelle étape dans la prise de pouvoir du Comité international olympique. Il revient sur le mode de fonctionnement de cette institution singulière et opaque.

       28/08/2012 

    Corruption, dopages, tricheries, silences sur les manquements aux droits de l’homme des pays hôtes… le comité international olympique fait l’objet de nombreuses critiques. Comment fonctionne le CIO ?

    Patrick Clastres. Il y a une véritable opacité de l’institution olympique, que l’on retrouverait dans le cas de firmes transnationales. Par exemple, pour les chercheurs, les archives ne sont pas accessibles pour les 30 dernières années, et pour plus longtemps encore pour les membres en activité. C’est même le CIO qui finance l’essentiel de la recherche en sciences humaines, économie et droit dans le domaine du sport et de l’olympisme…ce qui en limite son indépendance. Il n’y a pas non plus - ou très peu - de tradition de journalisme d’investigation dans le sport ; c’est un des secteurs de l’information qui connaît la plus grande connivence. Le CIO verrouille d’ailleurs juridiquement toutes les informations qui peuvent le concerner. Depuis 1981, le CIO est une « organisation internationale non gouvernementale à but non lucratif à forme d’association dotée de la personnalité juridique dont le siège est à Lausanne » (une exception mondiale qui a ensuite été accordée à la FIFA). Cela donne aux dirigeants du CIO un statut protecteur qui les met en quelque sorte dans une position d’extra-territorialité puisque, en dehors de la Suisse, ils sont irresponsables pénalement pour tous les actes qu’ils commettent dans le cadre de leurs fonctions ! Cela a été vérifié lors du scandale de corruption pour les jeux de Salt Lake City (2002)**: Juan Antonio Samaranch, le président du CIO avait demandé à la justice américaine d’être auditionné en tant que simple témoin, ce qui lui a été accordé, et à bénéficier d’un sauf-conduit ! Résultat : l’enquête n’a pu remonter l’ensemble de la filière…

    Qui contrôle le CIO ?

    Personne. C’est un organisme qui vit et fonctionne sans aucun contrôle si ce n’est les rapports que la commission exécutive du CIO fait à l’assemblée générale du CIO dont les membres ont été cooptés ou, pour certains, élus à l’intérieur du monde sportif. Sous la présidence de Jacques Rogge, un audit financier a pour la première fois été conduit par une société privée mais seulement une partie extrêmement réduite de celui-ci a été publiée, ce qui ne nous permet pas de comprendre comment circule l’argent au sein du CIO. Les comités nationaux olympiques et les fédérations internationales sportives ne publient pas non plus les sommes qu’ils perçoivent du CIO, alors que celui-ci affirme que 90% des recettes de ses contrats leur sont reversés. Et les sommes sont considérables (exemple pour les JO de Londres : 1,6 milliard d'euros de sponsoring, et environ 4 milliards de droits de retransmission, ndlr). Par ailleurs, le CIO n’est soumis à aucun directoire politique dans le monde, alors même qu’il dispose dorénavant d’un statut d’observateur à l’ONU. En revanche, il finance un certain nombre d’actions humanitaires de nature sportive auprès d’agences onusiennes (PNUD, FAO, HCR). Des liens ont également été tissés avec le Conseil de l’Europe. L’argument de vente du CIO, ce sont les valeurs olympiques et l’idée que le sport est naturellement porteur de valeurs éducatives.

    Mais ces valeurs semblent de plus en plus céder le pas à une logique mercantile…

    Quand le CIO promeut les valeurs de la santé par le sport et qu’il contractualise avec Coca-Cola et Mc Donald’s on peut s’interroger sur la cohérence du projet olympique. Même chose concernant l’environnement et Dow Chemical…
    Par ailleurs, l’un des nouveaux chevaux de bataille du CIO est de diffuser gratuitement des manuels d’éducation sportive dans les écoles des pays hôtes des JO mais aussi des pays pauvres ou ultra-libéraux (à télécharger ici). On y trouve une version totalement idyllique du sport - notamment olympique - vu comme vecteur de prouesse, d’épanouissement, d’esprit d’équipe. Qu’une version positive de l’humanité soit diffusée en direction de la jeunesse ne peut déplaire. Mais on ne saurait en rester là. Il n’y est pas question de dopage, ni de corruption, ni de paris sportifs, ni de manipulations génétiques réalisées sur les athlètes, ni de profits colossaux, ni des discriminations dans le sport dont le CIO porte historiquement la responsabilité. Il y a encore moins de recul critique sur les institutions sportives elles-mêmes. Ce manuel a été diffusé en Grèce (mais avec une forte opposition des enseignants), il a très bien fonctionné en Chine, et sera sans doute distribué en Angleterre. Désormais, il est aussi diffusé dans les pays africains. En France, des tentatives sont esquissées qui se heurtent, pour l’heure, au concept de laïcité et au monde enseignant jaloux de son indépendance intellectuelle. Ce manuel (qui date de 2007) est financé, à hauteur d’un million d’euros, par une société de jeux vidéo qui se trouve par ailleurs être le sponsor des Jeux olympiques de la Jeunesse, initiés à Singapour en 2010.
    Il faut aussi savoir que de certains membres du CIO sont également des businessmen, de même que de nombreux managers employés par le CIO ont fait carrière dans des multinationales sous contrat avec le même CIO…

    C’est donc cette institution très opaque qui dicte sa loi aux pays qui accueillent les Jeux olympiques, comme on le voit cette année à Londres…

    C’est effectivement l’une des évolutions les plus récentes, qui date de cette dernière décennie. Mais un pas important a été franchi à Londres cette année. Désormais le CIO impose des contrats extrêmement sévères pour sécuriser l’engagement partenarial des grands sponsors. C’est pour cela que je dis que le CIO a désormais besoin d’une dictature ou d’un pays ultra libéral pour attribuer les jeux. Ce fut le cas de la Chine mais aussi de Londres où le Parlement a pris une loi d’exception qui donne au CIO toute autorité pendant la période des jeux, sur le territoire londonien, pour faire intervenir ses propres agents de sécurité. Ils pouvaient s’introduire dans les commerces, les entreprises et même chez les particuliers pour faire respecter les contrats de sponsoring ! Cela construit un droit très singulier, extérieur aux Etats, qui donne à une institution qui n’est contrôlée par personne, une capacité à agir sur le plan policier. De fait, je serai très agacé en tant que citoyen, si la France devait se porter candidate en abandonnant une partie de son pouvoir régalien. D’ailleurs, le fait que les lois françaises imposent au mouvement sportif un certain nombre de comportements éthiques constitue sans doute la principale explication à l’échec de la candidature de Paris pour les JO de 2012.

    Les JO de Londres se sont affichés comme les plus verts de l’histoire et la dimension environnementale fait aujourd’hui partie intégrante de l’Olympisme. Mais les JO de Sotchi en 2014 sont justement très décriés sur cette question là. Là encore faut-il y voir un manque de cohérence ?

    C’est de la communication avec une dose de culpabilité. Ce sont les JO de Sydney en 2000 qui se sont pour la première fois affichés comme « verts ». La contribution du sport au développement durable constitue désormais le troisième pilier de l’olympisme au même titre que les valeurs du sport et l’action caritative par le sport. Mais on peut dans ce cas s’étonner que les JO aient été accordés à Pékin ou Athènes, deux capitales qui ne sont pas des exemples en matière de pollution…L’argument du CIO est que les transports publics ont été améliorés, ce qui est vrai. Mais est-ce suffisant ? Quant à Sotchi, le cas est catastrophique car le site naturel protégé sur lequel les installations sont construites va être détruit (voir article lié). Il ne faut pas se leurrer, les JO de Sotchi sont les JO de Gazprom. En y ajoutant les mesures prises contre les libertés des populations du Caucase, Sotchi va fonctionner comme un mauvais signal en direction de tous ceux qui croient encore aux valeurs de l’olympisme.

    Pour contrer ces dérives, vous prônez l’intégration de la Déclaration universelle des droits de l’homme dans la Charte de l’Olympisme ou encore la création d’une agence mondiale anti-corruption dans le sport, à l’image de ce qui se pratique dans le dopage. Cela vous semble-t-il réalisable ?

    Disons que faire ces propositions permet surtout de montrer en

    Les pays hôtes s'engagent à promouvoir les droits de l'homme
    Le 29 août 2012, les représentants des gouvernements des pays hôtes des JO actuels et des prochains (Royaume-Uni, Russie, Brésil, Corée), ont signé un communiqué commun dans lequel ils s’engagent notamment à « promouvoir la sensibilisation, la compréhension et l'application de la Déclaration universelle des droits de l'homme envers ceux qui assistent et participent » aux Jeux olympiques et paralympiques. « Selon, l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, tout le monde a le droit à des conditions équitables et satisfaisantes de travail, de rémunération ainsi qu’à créer et s'affilier à des syndicats. À la lumière du communiqué signé aujourd'hui, nous allons demander aux pays hôtes d'expliquer comment ils ont l'intention de protéger ces droits dans les chaînes d'approvisionnement olympiques », commente ainsi Jyrki Raina, le secrétaire général du syndicat européen IndustriALL.

    creux les insuffisances de la norme olympique. Mais je ne me fais pas d’illusion sur leur mise en œuvre. Sur la question des droits de l’homme, la Charte fait seulement référence à des « principes éthiques universels » qui ne sont absolument pas définis, qui donnent toute latitude au CIO et qui le dispense de prendre ses responsabilités devant d’autres instances internationales. Comme l’a dit Jacques Rogge, le CIO ne se considère pas comme l’ONU - ni d’ailleurs la Croix rouge ou l’Amnesty International - du Sport ! La plasticité de l’idéologie olympique et la posture de neutralité qu’adopte le CIO face à des pays comme la Chine laisse à ces derniers la possibilité de faire la démonstration que les droits de l’homme ne sont pas universels. Cela permet également aux Etats islamistes d’imposer le voile comme on a pu le voir à Londres. Cet universalisme mou est une défaite intellectuelle du CIO qui a des conséquences extrêmement graves sur le combat en faveur des libertés.
    Concernant l’agence mondiale contre la corruption dans le sport, elle se justifierait de part les paris sportifs ou la main mise des mafias sur certains clubs de sport. Il faut absolument que les Etats s’en mêlent. D’ailleurs au ministère des finances français, il existe une cellule dédiée à la corruption dans le secteur. Mais le CIO n’a évidemment pas intérêt à ce que les agences internationales se développent, ce qui affaiblirait son propre pouvoir…

     

    Les Jeux paralympiques qui vont s’ouvrir sont-ils victimes des mêmes dérives que les jeux olympiques « classiques » ?

    Depuis les JO de Pékin, les stades sont remplis pour les jeux paralympiques***. C’est donc devenu pour les partenaires un enjeu intéressant, qui permet aux sponsors d’afficher un partenariat plus éthique. Du côté des performances, on sait aussi qu’il y a du dopage, et que des nations commencent à miser dessus, tandis que des rumeurs font état d’athlètes n’hésitant pas à se mutiler pour pouvoir participer à ces jeux. On est à un moment de décollage médiatique de ces compétitions handisports : je pense que l’on va donc retrouver d’ici peu les mêmes travers…
    En séparant les hommes des femmes, les valides des athlètes handisport, les compétitions olympiques font donc échec à la diversité. C’est pour cela que je propose que l’on puisse organiser des épreuves communes, de relais, entre athlètes valides et non valides, mais aussi avec des seniors (plus de 50 ans), et entre hommes et femmes, pour que l’on ait des compétitions humainement progressistes. Ce qui n’empêchera pas le dopage, mais cette forme de dépassement collectif donnerait au moins une image de confraternité dans la compétition.

    *Patrick Clastres est agrégé d’histoire et docteur en histoire contemporaine. Ses travaux au sein du Centre d’histoire de Sciences Po portent sur l’histoire du sport et des jeux olympiques comme faits culturels et politiques. Il est l’auteur en 2008 de Jeux olympiques, Un siècle de passions (éd. Les quatre chemins, à reparaître prochainement sous format électronique), et les Mémoires de jeunesse de Pierre de Coubertin (Nouveau Monde éditions, 2008).

    ** En 1998, un scandale de corruption éclate concernant l’attribution des Jeux d’hiver de 2002 à Salt Lake city. Six membres du CIO seront exclus, quatre de leurs collègues démissionneront et dix autres recevront blâmes et avertissements.

    *** Le CIO a passé contrat avec le Comité international paralympique (CIP), l’organisme international qui gère le handisport depuis 1989. Le CIO soutient les Jeux paralympiques adossés aux JO mais en dehors d’eux.

    Propos recueillis par Béatrice Héraud
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  •   Contrôle fiscal, les riches peuvent dormir tranquilles

    Lundi 20 Août 2012     Laurent Kaplan

    Sur le papier, le fisc français dispose de moyens efficaces de surveillance des contribuables les plus aisés. Dans la réalité, l'administration brille surtout par son inefficacité.   

    (JAUBERT/SIPA)
    (JAUBERT/SIPA)
    Le 127, rue de Saussure, cette adresse parisienne, à deux pas des Batignolles, est peu connue du commun des contribuables. Le bâtiment, aussi gris que discret. Pourtant, c'est dans cet immeuble du XVIIe arrondissement de Paris que sont épluchées les déclarations fiscales des plus grosses fortunes de France. Liliane Bettencourt, François-Marie Banier, Johnny Hallyday ou encore Florent Pagny y disposent d'une chemise libellée à leur nom. Ceux qui y ont croisé Gérard Depardieu ou Jean Dujardin pourront vous le dire : ce n'est pas du cinéma. Ou alors un mauvais film fiscal.
    Car, ici, on vérifie. Créée en 1983, la Direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF) a pour vocation de contrôler les citoyens les plus riches et les plus connus. «A l'époque, explique l'un de ses 250 agents, il y a eu une volonté d'ouvrir un service spécialisé afin de réaliser des examens très particuliers. La France s'est alors dotée d'un arsenal unique en Europe, mais ces pouvoirs restent surtout théoriques.»

    Dans son rapport annuel 2012, publié en février, la Cour des comptes ne disait pas autre chose. Selon elle, «la DNVSF présente des résultats décevants et n'est pas en situation d'exercer un contrôle efficace des contribuables les plus fortunés». La haute juridiction pointait même «une baisse du rendement du contrôle, après une forte croissance au début des années 2000». En 2000, le prestigieux service a ainsi «rappelé» un montant d'impôts et de pénalités de 320 millions d'euros. Un magot qui a explosé à quelque 500 millions entre 2002 et 2004, pour revenir à un peu plus de 300 millions en 2010. «La diminution des montants recouvrés contraste avec la hausse des patrimoines et des revenus financiers les plus élevés», notait la haute cour, tout en reconnaissant que «des comportements d'optimisation non frauduleux peuvent expliquer cette divergence». Informations parcellaires, absence d'historique des dossiers, agents inexpérimentés et insuffisamment spécialisés, manque de coordination avec les autres directions..., à l'heure de l'addition, les sages de la Rue Cambon ont eu la main lourde. Consciente de ses insuffisances, la DNVSF a d'ailleurs engagé une large réorganisation en 2011. A la décharge de celle-là, la Cour des comptes évoque «le caractère plus mouvant et plus complexe de la fraude», qui s'est «dématérialisée, internationalisée, accélérée».

    Un effort insuffisant
    Dans son combat, la DNVSF dispose d'une arme redoutable : l'ESFP. Quatre lettres pour désigner l'examen contradictoire de situation fiscale personnelle. Il offre aux vérificateurs un pouvoir coercitif considérable qui, ailleurs en Europe, nécessite l'autorisation d'un juge. Objectif : contrôler la cohérence entre les revenus déclarés par un contribuable et son patrimoine, sa trésorerie et son train de vie. La DNVSF peut elle-même se saisir d'un dossier qui lui paraît équivoque. Si un sportif de haut niveau lui annonce qu'il va s'établir à Gstaad, coquette station helvétique, libre à elle d'enquêter pour vérifier si l'heureux exilé a réellement son rond de serviette au pied des pistes alpines. Les cent quatre-vingt-trois jours de résidence avérée sur place sont «un mythe», s'amuse le vérificateur, «le plus important, avant même le séjour, c'est le foyer». Autrement dit, si ses enfants sont scolarisés à Paris et qu'il a réglé Porsche et hélico dans l'Hexagone, ses six mois de résidence en Suisse ne feront pas le poids.

    De même, si la DNVSF s'avise qu'un contribuable ne déclare que 50 000 € alors qu'il pilote une kyrielle d'entreprises et réside dans un château en province, elle a tout loisir d'enquêter pour déterminer s'il perçoit des revenus occultes ou vit, à coups d'abus de biens sociaux, sur le dos de ses sociétés. Mais le principal pourvoyeur d'affaires reste la Direction nationale des enquêtes fiscales (Dnef). Chaque année, la DNVSF instruit plusieurs centaines de dossiers. Insuffisant, juge pourtant la Cour des comptes, qui déplore des contrôles «limités». Selon ses calculs, «la probabilité pour un contribuable fortuné d'être contrôlé en ESFP est d'une fois tous les quarante ans».

    L'ESFP, dont la durée, sauf exceptions, ne peut excéder un an, se déroule en deux temps : le vérificateur effectue d'abord un contrôle sur pièces. Puis il envoie un avis au contribuable afin de le rencontrer pour l'interroger sur certaines anomalies. Dans son costume de modeste fonctionnaire des impôts, il acquiert alors des pouvoirs de superhéros et peut exiger du millionnaire qu'il lui remette ses relevés de comptes. Si l'intéressé résiste, la DNVSF peut interroger directement les banques. Et si l'encaissement d'un chèque de 50 000 e la chagrine, elle peut même en réclamer la photocopie pour vérifier l'émetteur.

    Les résidents fiscaux français sont obligés de fournir la liste de leurs comptes bancaires à l'étranger. Une dissimulation est sanctionnée par une amende de 1 500 e par compte non déclaré, amende qui passe à 10 000 e si le compte a été ouvert dans un paradis fiscal avec lequel la France n'a signé aucune convention. Face à un refus d'obtempérer, le vérificateur peut lancer une demande d'assistance administrative aux pays coopératifs, régis par des conventions fiscales.

    Si ces pouvoirs paraissent énormes sur le papier, dans la réalité, les nantis ont pourtant mille façons de contourner l'ESFP, murmure-t-on Rue de Saussure. En première ligne, les paradis fiscaux qui, malgré les déclarations enthousiastes de Nicolas Sarkozy en 2008, sont loin d'avoir disparu. Ainsi de la Suisse, témoigne notre vérificateur, «où, en dépit de la signature de conventions, les autorités fiscales rechignent toujours à fournir les noms des titulaires des comptes bancaires».
      
    Le rôle des conseils
    Parfois, pourtant, la chance sourit aux vérificateurs. Ainsi l'un d'entre eux est parvenu à coincer un entrepreneur qui prétendait que sa société était domiciliée aux Bermudes. En traçant des dizaines de milliers de mails émanant de Toulon, où il résidait, il a réussi à prouver que le siège effectif de sa société était bien en France et les 123 petites îles de corail, une simple boîte aux lettres.

    Par ailleurs, regrette la juridiction présidée par le socialiste Didier Migaud, «l'intérêt de l'ESFP a été limité par un certain nombre de règles, dont la règle du double». Un vérificateur ne peut en effet interroger un contribuable de manière contraignante que si les crédits apparaissant sur son compte sont au moins deux fois supérieurs aux revenus déclarés. Autrement dit, s'il a déclaré 2 millions de revenus, on ne pourra l'obliger à se justifier que si son compte affiche plus de 4 millions de rentrées. A 3,8 millions, témoigne l'agent de la DNVSF, «il peut nous dire d'aller nous faire voir». «Cette situation, déplore la Cour des comptes, bénéficie indubitablement aux plus hauts revenus».

    Surtout, remarque notre vérificateur, les contribuables sont de plus en plus prudents et de mieux en mieux conseillés. Résultat : «Il y a de moins en moins d'argent un peu gris sur les comptes. Il faudrait vraiment être idiot pour y déposer une grosse somme. Acheter des armes pour l'Angola via des comptes bancaires, ce serait grotesque ! On attrape bien encore quelques petits poissons comme ça, mais c'est rarissime.»

    Article publié dans le magazine Marianne n°795, daté du 13 au 20 juillet 2012.

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  •   Ventres creux contre ventres dorés

    Dimanche 26 Août 2012   Dominique Jamet  

    De Rome au Fouquet's, en passant par le Moyen Age, «Marianne» explore l'histoire de nos rapports tumultueux à l'argent. Troisième épisode de notre série, la France de 1715 à la Révolution. A la mort de Louis XIV, le pays est ruiné, mais les folies des grands ne connaissent toujours pas de limites. Ajoutées aux filouteries des agioteurs et à la rapacité des fermiers généraux, la situation devient explosive. Bientôt, la Révolution viendra décapiter le règne des argentés.   

    (Prise de la Bastille, la Révolution décapite le règne des argentés – GOLDNER/SIPA)
    (Prise de la Bastille, la Révolution décapite le règne des argentés – GOLDNER/SIPA)
    En 1715, la dette publique équivaut à dix années de recettes fiscales. L'Etat, contraint d'emprunter au taux exorbitant de 8 %, a d'ores et déjà englouti par anticipation les rentrées des deux exercices à venir. C'est un pays en banqueroute virtuelle, ruiné par ses fastes et ses guerres, que Louis XIV lègue à son arrière-petit-fils. Dans ce contexte dramatique, le Régent, qui en assume la gestion et l'impopularité qui y est attachée, se laisse séduire par les propositions audacieuses d'un Ecossais aventurier et visionnaire, qui se fait fort de relancer l'activité économique et de renflouer un navire qui mergitur plutôt qu'il ne fluctuat... Bombardé contrôleur général des finances, John Law est autorisé à fonder une société qui acquiert progressivement le monopole du commerce entre la métropole et les Indes occidentales et orientales.

    Appâté par une campagne de publicité très en avance sur l'époque, le public se jette sur les actions de cette compagnie, initialement porteuses d'un intérêt de 7 %, réduit par la suite à 5 %, puis 3 %. Le succès est prodigieux, les cours s'envolent, la spéculation se déchaîne. A son maximum, le cours de l'action de 500 livres montera à 20 000 livres ! Parallèlement, la Banque générale est fondée, dont la direction est confiée à Law, qui reçoit le privilège d'émettre une monnaie de papier, garantie par l'Etat, plus commode, plus maniable et réputée aussi sûre que les espèces métalliques. Le «système» de Law repose sur le volume du négoce avec les colonies. Fondée sur une hypothèse de croissance, sa pérennité est liée à la réalité de l'économie, sa crédibilité est fonction de la confiance qu'actionnaires et déposants font à la puissance publique. Or, si les simples particuliers, persuadés de faire une excellente affaire, se laissent bercer et berner par les communiqués optimistes et bientôt mensongers de Law, les gens bien informés ne tardent pas à apprendre que les transactions effectives sont loin de répondre aux espérances connues et aux assurances prodiguées. Quant aux quantités de papier émises par la Banque générale, elles excèdent de loin son encaisse or.    

    Délit d'initié historique
      L'époque ignore, et pour cause, la discrétion des virements électroniques. C'est donc en pleine lumière, au grand jour, devant le siège de la banque, rue Quincampoix, sous les yeux de la foule où se mêlent quotidiennement les badauds, les escrocs et les gogos, que viennent stationner, un matin de juillet 1720, cinq carrosses, trois aux armes de Mgr le prince de Conti, deux qui portent le blason de Mgr le duc de Bourbon, et que se perpètre un des plus grands, peut-être le plus grand délit d'initié de notre histoire. Employés de la banque et laquais font le va-et-vient entre le bâtiment et les voitures où ils entassent de lourdes caisses. Le bruit s'en répand comme une traînée de poudre : anticipant la faillite d'un système dont ils précipitent l'effondrement, les deux premiers princes du sang, dont la rapacité n'exclut pas d'inavouables arrière-pensées politiques, après avoir une première fois réalisé de belles plus-values lorsque les actions de la compagnie étaient cotées plus haut que leur valeur nominale, troquent leurs billets de la Sainte-Farce contre leur équivalent en or. Le prince et le duc, physiquement présents sur les lieux de leur hold-up, repartent l'un avec 14 millions en métal précieux, l'autre avec 11 millions, des sommes colossales. Il s'ensuit naturellement une panique générale, un bank run, dirait-on aujourd'hui.

    Dans les jours qui suivent, la banque après avoir fait face aux premiers retraits, suspend la convertibilité des billets et ferme ses guichets au nez de ses clients. Law, qui échappe de peu au lynchage, s'enfuit à l'étranger, et son système s'écroule comme un château de cartes. La scandaleuse filouterie des deux plus proches parents du roi (en dehors du Régent lui-même et des bâtards mal légitimés de Louis XIV) est un événement, plus précisément un traumatisme fondateur, qui entraîne des conséquences de deux ordres. D'une part, les 500 000 actionnaires de la Compagnie des Indes et les quelque 2 millions d'usagers du papier-monnaie - les 10 % les plus aisés et les plus évolués de la population -, floués et échaudés, jurent qu'on ne les y reprendra plus. En dépit de la laborieuse mise en place de procédures d'indemnisation qui s'étalent sur des années et n'offrent à leurs bénéficiaires qu'une satisfaction partielle, la compréhensible défiance qui résulte de cette fâcheuse mésaventure retardera de plus d'un siècle l'introduction puis l'acceptation des billets de banque.

    Les dégâts ne sont pas moindres sur un autre plan. Ce ne sont pas seulement des économies que les victimes du krach ont laissées dans cet épisode, mais des illusions que dissipe la «volerie» des deux princes-monseigneurs. Le détestable exemple venu de si haut ne sera ni oublié ni pardonné. Cette affaire n'est que la première d'une longue série qui jalonnera le siècle. Les temps ont évolué avec le changement de règne. La chape de plomb que le Grand Roi, (ce «prince ennemi de la fraude», si l'on en croit Molière), ses juges, ses exempts, ses lettres de cachet, son prestige, sa puissance, faisaient peser sur le royaume se fissure de toute part. L'état de la société, l'état des esprits ne sont plus les mêmes. L'obéissance courbait les têtes, l'impertinence les relève. Les bouches étaient cousues, elles s'ouvrent. On était dans la résignation, l'air ambiant est à la rébellion. Que les grands soient des prédateurs, que les ministres soient des voleurs, que la dépravation et ses suites infectent le haut clergé, que les nobles soient des parasites, la chose n'est pas nouvelle.

    Des ancêtres, un grand train, des maîtresses, des dettes
     
    Ce qui est nouveau, c'est qu'on le dise, et qu'on s'en indigne. Tout se commente désormais, tout se discute, tout se sait, et ce qu'on ne sait pas, on l'invente. Bientôt, on tombera d'un excès dans l'autre. Il n'est que de comparer le traitement de l'épouvantable affaire des poisons et celui que connaîtra la ridicule affaire du collier de la reine. De la première, qui met en cause les plus grands noms de l'armorial, et jusqu'au très proche entourage du souverain, qui charrie un flot boueux et sanglant de messes noires, d'avortements, d'infanticides, de captations d'héritage, on ne connaîtra que ce que le monarque aura laissé émerger et punir. Cent ans plus tard, l'ingénieuse mais somme toute anodine machination que deux aigrefins auront montée contre un prélat crédule et vaniteux salira, dans un déchaînement de libelles orduriers et calomniateurs, une reine imprudente mais innocente et pèsera d'un poids non négligeable dans le discrédit et la chute de la vieille monarchie. On n'en est pas là, mais le ver est dans le fruit.

    Talleyrand, pourri entre les pourris, évoquera, nostalgique, l'incomparable douceur de vivre que n'ont pas connue ceux qui n'ont pas vécu le crépuscule de l'Ancien Régime. Douceur de vivre, sans doute, mais pour qui ? La richesse étale sans vergogne le luxe le plus débridé au nez et à la barbe des plus défavorisés et des plus éclairés. Les privilégiés dissipent sans compter dans la construction d'hôtels magnifiques, dans le jeu, dans les fêtes galantes, un argent bêtement hérité, follement emprunté ou malhonnêtement gagné, que la masse, insensible au charme de leur conversation comme au raffinement de leurs manières, s'exaspère de voir jeter par les fenêtres. Le sentiment général est que la fortune va de pair avec le vice, la débauche, le gaspillage. Qu'est-ce qu'un grand seigneur ? Beaumarchais le résume : des ancêtres, un grand train, des maîtresses, des dettes. Qu'est-ce qu'un fermier général ? Un coquin, une sangsue, un vampire qui, après avoir sucé le sang des pauvres, n'a de cesse de rejoindre la bulle où la bonne société s'étourdit de champagne en écoutant Mozart.

    Les fermiers généraux ? Parlons-en. La Ferme - ou faut-il dire la Firme ? - c'est cette honorable compagnie de 40 puis de 60 financiers à qui la monarchie sous-traite à bon prix (et pots-de-vin en sus), par délégation de service public, le recouvrement des impôts indirects - taxes sur le sel, l'alcool, le tabac, octroi de Paris -, soit 40 % du budget de l'Etat. Aux fermiers de verser chaque année au Trésor la somme forfaitaire fixée par l'administration et de se la procurer ensuite par l'intermédiaire de 25 000 agents qui, chargés de la perception et de la répression, envoient chaque année 4 000 contrevenants en prison et quelques centaines de contrebandiers aux galères.
    Les fermiers prêtent au roi
     
    Rémunérés au forfait, les fermiers se paient une seconde fois sur la différence, à leur avantage, entre impôt prévu et impôt perçu. Les plus connus de ces personnages ont nom Crozat, La Popelinière, Grimod de La Reynière, les frères Pâris, Lavoisier... Certains ne dédaignent pas de donner un petit coup de pouce à leurs revenus en mouillant le tabac, ce qui en altère la qualité mais en augmente la quantité. Leur popularité ne s'accroît pas lorsque, dans l'intention de mettre un terme à toute déperdition, ils ceignent Paris d'une muraille continue, embellie il est vrai des barrières de Ledoux, aujourd'hui presque toutes disparues. Pas chiens, les fermiers prêtent au roi, toujours impécunieux. Pour fixer les idées, un ouvrier bien payé gagne environ 700 livres par an, Lavoisier, à peu près 200 000... Appelé au secours par une monarchie aux abois, Necker croit bien faire et frappe en tout cas un grand coup lorsque, en 1781, sous le titre sobre de «Compte rendu», il rend public le budget de la France, jusqu'alors rigoureusement tenu secret. C'est un énorme succès de librairie (qui ne génère pas de droits d'auteur) : 100 000 exemplaires vendus. Le ministre des Finances, suisse et honnête, entend restaurer la confiance en jouant la transparence.

    Ainsi les Français découvrent-ils qu'en regard de 504 millions de recettes, le chiffre des dépenses se monte à plus de 600 millions de livres, dont 300 millions pour le seul service de la dette. Il est vrai que, sur les quatre années précédentes, il a fallu emprunter 500 millions pour soutenir les insurgents américains. Si l'on fait abstraction du coût de la guerre, avance Necker, on se retrouve à l'équilibre, et même avec un léger excédent. Evidemment... En fait, tout ce que l'opinion, ainsi prise à témoin, retient du «Compte rendu», ce sont le montant, les attributaires et les motifs des pensions versées sur la cassette du roi, aux frais de la princesse : 5 % seulement du budget, mais qui ne passent pas. Trop de rancoeur, trop de haines se sont accumulées, de génération en génération, contre les privilégiés. Les ventres creux, qui demain seront les sans-culottes, ne font ni dans la nuance, ni dans la dentelle, et confondent dans la même détestation les «ventres dorés», les gilets à fleurs et les robes à paniers. «Quand les peuples cessent d'estimer, ils cessent d'obéir», écrira Rivarol, écrivain réactionnaire mais esprit lucide.

    La Révolution, c'est la rencontre entre une banqueroute morale et financière et une révolte morale et sociale. Tous les adversaires de la Révolution n'étaient pas riches, et tous les riches n'étaient pas ennemis de la Révolution, mais c'est la richesse elle-même qui paraît incompatible avec l'explosion d'une revendication nouvelle et dès lors ancrée dans le caractère français : la passion de l'égalité. L'idée est alors communément répandue qu'il faut faire rendre gorge aux nantis, niveler les conditions, fût-ce en mettant quelques entraves à la liberté, faire régner la vertu, fût-ce par la terreur, éradiquer les classes dominantes par tous les moyens, de la confiscation à la guillotine, en passant par les nationalisations.
     

    «Vols et brigandages»

    La Ferme est abolie le 20 mars 1791. Jacques Hébert, alias «le père Duchesne», s'en réjouit dans son style si particulier : «Quelle grimace feront tous ces jean-foutre ! Adieu les beaux palais, adieu ces jolies maisons de campagne, adieu ces riches ameublements... Ces jean-foutre-là vont sans doute imiter les autres aristocrates et emporter chez l'étranger toutes nos dépouilles. J'invite tous les citoyens à se réunir dans leurs sections et à leur faire regorger tout ce qu'ils ont acquis par des vols et des brigandages.» En novembre 1793, 34 anciens fermiers généraux qui ont eu la sottise de rester en France sont arrêtés. Modérément républicain, ce qui, à l'époque, est un crime, mais sincèrement ami des idées nouvelles, Lavoisier se constitue prisonnier. «Mille millions de tonnerres, s'écrie le père Duchesne dans un de ses habituels accès de mélenchonie, les voilà terrassés, ces fermiers généraux qui s'enrichissaient de la misère du pauvre peuple !» Terrassés en effet : ils sont 28, le 8 mai 1794, à monter sur l'échafaud. Lavoisier a vainement sollicité un sursis de quinze jours, pour terminer une importante expérience en cours. La République n'a pas besoin de financiers, fussent-ils savants. «Il n'a fallu qu'un moment pour faire tomber cette tête, déclarera, un an plus tard, un de ses collègues de l'Académie des sciences, et cent ans peut-être ne suffiront pas pour en reproduire une semblable.»

    Le printemps et le début de l'été 1794 marquent l'apogée de ce que l'on a appelé la Grande Terreur, caractérisée par une véritable chasse au faciès social. Jamais la France n'avait connu une hécatombe de cette ampleur. Jamais non plus elle n'avait été le théâtre d'une si rapide et si massive dévolution des fortunes. Au paroxysme succéda presque sans transition un reflux général. Dans une page saisissante, Michelet raconte que son père passait devant l'opéra le lendemain de l'exécution de Robespierre et des autres dirigeants montagnards. Une foule élégante sortait du spectacle et des dizaines de cochers de fiacre s'empressaient, le chapeau à la main : «Une voiture, monsieur ?» «Par ici, mon maître !» Des mots que l'on n'avait plus entendus depuis deux ans, des manières que l'on croyait disparues. L'ordre ancien renaissait au milieu des décombres du désordre nouveau.

    Article publié dans le n°797 du magazine Marianne, daté du 28 juillet au 3 août 2012.

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  •  Je suis une des nombreuses victimes de l’arnaque de Bangkok

    Sophie Letain | Riverain  (Rue 89 )
    Plus d'options de partage

    Un saphir sur une bague en or (Katrinket/Flickr/CC)

    Dernier jour de vacances à Bangkok, mon amie et moi décidons de visiter le Jardin des plantes avant de nous rendre le soir même à l’aéroport.

    En bonnes touristes avec le plan de la ville à la main, nous sommes accostées par un local très sympathique avec qui nous engageons la discussion. Il nous explique que le Jardin des plantes est fermé aujourd’hui et qu’en revanche, un très beau temple est ouvert à quelques minutes d’ici et nous parle aussi d’une promotion très intéressante dans les bijouteries de l’Etat car c’est l’anniversaire du roi. Il réussit même à nous arrêter un tuk-tuk et négocie pour nous un prix ridiculement bas pour nous y amener.

    Après la bague en or
    Suite à l’article « L’étudiante et la bague en or, une arnaque bien ficelée », Sophie Letain a contacté l’auteur, Nesrine Baki, qui lui a conseillé de joindre Rue89 pour raconter son histoire. « Il s’agit d’une arnaque dont j’ai été victime en Thaïlande à Bangkok en 2009. Elle est remarquable pour plusieurs raisons : elle est très lucrative pour les aigrefins, extrêmement bien conçue et elle continue chaque année de faire de nouvelles victimes. »

    Arrivés devant le temple, le conducteur du tuk-tuk, également très sympathique (il se propose de nous reprendre à la fin de la visite du temple) nous demande de l’attendre quelques minutes.

    Pendant son absence, un Français, la cinquantaine, look baroudeur et bon vivant nous aborde. Il vient de Bretagne, nous aussi, et la confiance s’installe assez rapidement. Il nous donne quelques bonnes adresses pour faire du shopping puis nous parle de cette bijouterie d’Etat et de ses incroyables promotions.

    Une « combine » alléchante

    Il en a fait un business : il achète des bagues en Thaïlande pendant ces promotions et les revend ensuite à Paris, Place Vendôme, le double voire le triple. Il en a parlé à son beau-frère qui se rembourse chaque année son voyage en Thaïlande avec cette « combine ». Il était d’ailleurs étonné qu’un local nous en ait parlé quelques minutes avant car ils ont plutôt l’habitude de garder ce bon plan pour eux...

    Nous étions à la fin de notre voyage et avions dépensé beaucoup plus que prévu, cette « opportunité » était pour nous l’occasion de nous refaire un peu. Une fois le Français parti et le conducteur revenu, nous décidons de nous rendre directement à la bijouterie sans même visiter le temple pour lequel nous étions venues.

    La bijouterie, pignon sur rue, façade impeccable, personnel attentionné et accueil princier nous met tout de suite en confiance. Les promotions y sont effectivement très attractives et après quelques minutes de réflexion, nous choisissons deux bagues en or, une sertie de rubis, l’autre de saphir pour 700 € chacune...

    Escortées pour le reste de la journée

    Nous récupérons les certificats d’authenticité et signons des papiers comme quoi les bagues sont destinées à être offertes et non à être revendues (pour éviter, nous dit-on, les éventuels problèmes à la douane). On nous propose ensuite une « escorte » pour le reste de la journée pour veiller sur nous et éviter qu’on se fasse voler.

    Une employée de la bijouterie est désignée pour nous balader en 4x4 climatisé, elle négociera nos achats avec les commerçants et portera nos affaires jusqu’à ce que nous rejoignions notre chambre d’hôtel en fin d’après-midi et nous met bien en garde sur le fait que nous ne devrions parler de ces bagues à personne pour éviter d’attirer les convoitises. Comme elle était sympa et qu’elle s’était bien occupée de nous, on lui a payé un massage des pieds...

    Nous ne sommes pas les seules

    Ce n’est qu’en rentrant à Paris que nous commençons à réaliser que nous sommes tombées dans une arnaque... Et nous ne sommes pas seules, il suffit de taper « arnaque bangkok » ou « SNP Jewelery » pour se rendre compte de son ampleur.

    Les bagues ne valent en fait que 10% du prix acheté, soit pas plus de 70€... Le sympathique local, le conducteur de tuk-tuk, le Français et la bijouterie sont tous acteurs de cette escroquerie et perçoivent certainement tous une partie des 1 400 € que nous leur avons laissés.

    Je pense que cette histoire a un double intérêt : elle montre à quel point certaines escroqueries peuvent être complexes, presque « brillantes » et elle permettra aussi d’avertir les lecteurs de Rue89 car d’après ce que je sais, elle fait de nouvelles victimes chaque année.


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  •  Les JO sont terminés? A mort le sport !

    Lundi 13 Août 2012
     
    Journaliste à Marianne, entre société et culture
     

    La critique de l'idéologie de la performance sportive engloutie avec les années 70? Pas du tout, philosophes et sociologues la remettent au goût du jour en librairie.   

    (Usain Bolt le 9 août 2012 - LONDON REX PICTURES/SIPA)
    (Usain Bolt le 9 août 2012 - LONDON REX PICTURES/SIPA)
    Ça commence par un bruit de fond, à peine un doute. Un chiffre qui sonne tout drôle aussi. Le budget des Jeux olympiquesn s'élève à 28,6 milliards d'euros. Quand on sait que Montréal a mis trente ans à rembourser les dettes contractées pour les Jeux d'été de 1976, que la Grèce, qui les a organisés en 2004, est loin d'être rentrée dans ses frais - 9 milliards d'euros -, on se demande si les Anglais ont vraiment de quoi exulter. Contrairement à une idée reçue, en effet, les Jeux enrichissent rarement la ville qui les organise, et profitent avant tout à la médiatisation des marques.

    Mais ce formidable moment de communion entre les peuples ne doit surtout pas être entaché par des mesquineries comptables ! Voilà des années qu'on s'entend répéter que le sport exalte des vertus universelles telles que la compétition et le dépassement de ses propres limites. La performance à tout prix. La passion du «plus vite, plus haut, plus fort», comme le rappelle justement la devise olympique. Malgré l'ambiance de liesse générale, le doute se précise aux yeux de certains : à l'heure d'une crise du modèle capitaliste qui n'en finit plus d'étouffer l'Europe, ces «saines» valeurs ressemblent à s'y méprendre à celles qui nous ont conduits dans le mur.

    L'hégémonie du sport, ce «fléau mondial»

    Conséquence du calendrier (deux grandes kermesses viendront rythmer l'été, les JO et le Championnat d'Europe de football), des voix s'élèvent aujourd'hui pour dénoncer le règne hégémonique du sport, ce «fléau mondial», pour reprendre une partie du sous-titre du livre de Marc Perelman (1), réédité cette année. Le philosophe Robert Redeker, collaborateur de Marianne, publie également un essai intitulé l'Emprise sportive (2), dans lequel il analyse ce phénomène mondial dont «chacun fait comme s'il allait de soi». Un ouvrage collectif de jeunes sociologues, le Sport contre la société (3), s'interroge aussi sur cette «institution centrale de la société capitaliste dominante» qui ne souffre nullement de la récession financière. Des revues telles qu'Inflexions (4) ou Vacarme (5) ont également consacré des numéros à la réflexion sur la place du sport, quand une autre, intitulée Quel sport ? (6), en est à son 16e numéro sur le sujet. Un roman, enfin, Dernier shoot pour l'enfer (7), raconte l'enquête d'un journaliste sportif qui accuse l'équipe de France de football de s'être dopée quand elle a gagné la Coupe du monde de 1998. «Bien qu'inspirée de faits réels et fondée sur de nombreux témoignages et documents, cette histoire est une fiction», prévient l'auteur, qui écrit néanmoins sous pseudonyme, au cas où la «fiction» en défriserait certains.

    Pour l'essentiel, les thèses de ces ouvrages sont issues en droite ligne des années 70, quand babas cool et intellectuels critiques étaient unis dans une même aversion pour le culte de la performance. Les chaînes de télévision sportives (Tennis TV, Foot +, Golf Channel...) n'avaient pas encore envahi les bouquets satellite, mais le sport était déjà accusé de focaliser l'attention de la planète entière sur ces jeux du cirque modernes, transformant «l'intelligence en un muscle tendu vers la victoire et le gain» (Robert Redeker). A l'époque, l'écho de ces idées ne se limitait pas au timide bruit de fond que l'on croit entendre aujourd'hui. Le sociologue Jean-Marie Brohm, ancien professeur d'éducation physique et figure tutélaire de la critique radicale du sport en France, se souvient : «Quand nous avons organisé le comité pour le boycott de l'organisation par l'Argentine de la Coupe du monde de football en 1978, il y avait eu un véritable mouvement de masse. Nous avions le soutien de Vladimir Jankélévitch, de Foucault, de Catherine Deneuve...» Mais aussi de Jean-Paul Sartre, Jean-Marie Domenach, Louis Aragon, Simone Signoret ou Marek Halter. La pétition lancée par le comité avait récolté pas moins de 150 000 signatures. C'était il y a plus de trente ans.

    Entre-temps, des centaines de «records historiques», de «rencontres au sommet» et de «performances inoubliables» ont façonné notre passion collective. Unanimement considéré comme une bénédiction pour l'humanité, le sport a éjecté toute pensée dissonante hors du débat public. Cet état de fait a revêtu un caractère définitif le 12 juillet 1998, quand l'équipe de France a remporté la Coupe du monde de football. Politiques, intellectuels de droite comme de gauche, femmes, enfants, publicitaires, cols blancs et cols bleus, Blacks, Blancs, Beurs : la France a connu un orgasme généralisé. En 1997, anticipant peut-être la déferlante, Jean-Marie Brohm choisissait de dissoudre sa revue pionnière dans la critique radicale du sport (Quel corps ?, qui ressuscitera dix ans plus tard sous le nom de Quel sport ?) : «D'un côté, cela confirmait nos thèses au-delà de nos espérances, c'était une véritable mystification de masse ! Mais, de l'autre, l'événement a placé notre discours dans une telle situation de décalage qu'il fallait réfléchir à notre orientation stratégique.»

    Les Jeux, marketing international

     
    D'autres éléments sont venus donner raison à Jean-Marie Brohm et à ses camarades de lutte. Les institutions sportives internationales, comme le Comité international olympique (CIO), indifférentes aux multiples scandales de corruption qui les ont éclaboussées, n'hésitent plus à le claironner sur leurs sites Internet : «Les Jeux olympiques sont l'une des plates-formes les plus efficaces de marketing international, atteignant des milliards de personnes dans plus de 200 pays et territoires à travers le monde [8].» Des Etats ayant une conception pour le moins élastique des droits de l'homme, comme la Chine, continuent à se servir de ces manifestations internationales pour légitimer leur pouvoir et polir leur image.

    La course aux médailles a aussi autorisé une sélection des athlètes dès le berceau et des rythmes d'entraînement qui feraient presque passer l'univers totalitaire du sport qu'imaginait Georges Perec dans W ou le souvenir d'enfance (1975) pour une promenade de santé. Dans le Sport contre la société, le sociologue Clément Hamel rappelle ainsi les circonstances infiniment poétiques qui ont présidé à la naissance du joueur de basket-ball chinois Yao Ming : «Lorsque sa mère, Fang Fenghi, 1,88 m et capitaine de l'équipe nationale féminine, prend sa retraite, les autorités sportives lui "suggèrent", comme c'est l'usage depuis Mao, de "produire un champion". Elles lui trouvent rapidement un père, Yao Zhiyuan, 2 m et joueur d'un des clubs pro de Shanghai.» Résultat : un rejeton de 2,29 m prêt à l'usage.

    Les records devant être battus à chaque compétition pour assurer le show, la nature a certes besoin d'un coup de pouce pour fabriquer des athlètes à la hauteur du défi. «Là-dessus, il faut être cohérent et un peu honnête, confie le footballeur Vikash Dhorasoo à la revue Vacarme. On ne peut pas demander aux gars de battre des records, aux cyclistes de monter des cols à des vitesses incroyables, et tout ça à l'eau claire. Défendre à la fois la course à la performance à tout prix et la chasse au dopage, c'est prendre les gens pour des imbéciles.» Cette violence que les sportifs retournent contre eux-mêmes, les supporteurs s'en font l'écho à leur manière. Dans son dernier numéro, Quel sport ? dresse une liste non exhaustive des «centaines de faits de violence mortifères avérés qui ont lieu chaque saison, depuis une bonne quarantaine d'années, à l'intérieur et autour des stades» : «Maroc, sept morts après un match de foot», «Hooliganisme : 13 personnes condamnées à Lucerne», «Tunisie : un stade de football évacué après des violences», etc.

    Injonction au «bougisme»

    Seulement voilà, ces scandales n'intéressent personne. Tenus pour des dérives n'ayant rien à voir avec l'«essence» du sport, ils sont oubliés en moins de temps qu'il n'en faut pour décapsuler une bière devant un bon OM-PSG. Difficile, en effet, d'exercer encore un jugement critique quand le sport s'est infiltré dans tous les domaines de nos vies. «Ce n'est plus tant la guerre qui est un "grand match", mais la vie elle-même, la "lutte" de tous contre tous dans un monde au devenir incertain, écrit Luc Robène dans Inflexions. L'univers de l'entreprise, à son tour, est irradié par ces images de chocs, d'affrontements, de stages physiques, de préparation au combat économique, de constitution d'équipes de collaborateurs offensifs coachés par des directeurs de ressources humaines inspirés.»

    Sur nos CV, nous n'oublions jamais de mentionner nos faits d'armes sportifs pour démontrer notre combativité. Le ministère de la Santé et ses injonctions au «bougisme» ont scellé dans les esprits le lien entre «sport» et «santé», et c'est bien pour dompter nos corps, toujours trop flasques comparés à ceux des «dieux du stade», que nous nous précipitons sur les tapis de course et les rameurs des clubs de fitness. «Ces milliers de coureurs du dimanche qui éructent et crachent leurs poumons avec leur MP3 sur les oreilles comme des troupeaux hypnotisés par l'idéologie du bien-être égocentré» ne laissent pas de consterner Fabien Ollier, digne héritier de Jean-Marie Brohm. Dans son lycée du sud de la France, ce prof d'éducation physique et sportive, philosophe, s'efforce de déclencher chez ses élèves une prise de conscience de l'impact du sport sur les liens sociaux : «L'incitation majeure des pouvoirs publics et des médias, c'est d'éprouver son corps dans la douleur. La valorisation incessante de cette défonce physique a un sens politique : il s'agit d'une autochloroformisation des consciences par le biais de la fatigue volontaire. Les endorphines opioïdes sont sécrétées, le corps plane, on ne pense plus. C'est un shoot généralisé que chacun se prodigue pour oublier la triste réalité

    Il ne s'agit naturellement pas de dire que posséder une paire de Nike est le plus court chemin vers la servitude volontaire. Mais on constate que, tandis qu'on s'autorise aujourd'hui à remettre en question le néolibéralisme, l'idéologie sportive, elle, n'est jamais inquiétée. Rêver d'un autre modèle économique, d'accord, mais à condition de ne jamais bousculer un phénomène qui concentre pourtant toutes les tares du vieux système.

    E.E.

    (1) «Le Sport barbare». Critique d'un fléau mondial, de Marc Perelman. Réédité en 2012 chez Michalon.

    (2) «L'Emprise sportive», de Robert Redeker, François Bourin Editeur, parution le 23 mai 2012.

    (3) «Le Sport contre la société», de Clément Hamel, Simon Maillard, Patrick Vassort, Le Bord de l'eau, parution le 14 juin.

    (4) «Inflexions» no 19, «Le sport et la guerre», La Documentation française.

    (5) «Vacarme» no 45, textes disponibles sur vacarme.org/rubrique310.html

    (6) «Quel sport ?», disponible sur quelsport.free-nux.org

    (7) «Dernier shoot pour l'enfer», de Ludo Sterman, Fayard Noir.

    (8) Citation extraite du «Sport contre la société».

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  •  Sous Sarkozy, deux rapports officiels signalaient les dérives des centres éducatifs fermés

    Mardi 7 Août 2012   
     

    La droite était lancée dans une fuite en avant en matière de développement des centres éducatifs fermés (CEF), malgré des rapports officiels alarmistes. La ministre de la Justice, Christiane Taubira, a décidé que l'heure était à la réflexion plutôt qu'à la construction de nouveaux établissements. L'UMP voit rouge.

     

    (Centre fermé situé à l'hôpital-le-Grand, dans le nord de Saint-Etienne - DELAGE JEAN-MICHEL/SIPA)
    (Centre fermé situé à l'hôpital-le-Grand, dans le nord de Saint-Etienne - DELAGE JEAN-MICHEL/SIPA)    
    Christiane Taubira a enfin mis les pieds dans le plat et décrété une pause dans la construction de centres éducatifs fermés. En déclarant à Libération qu’il « faut sortir du fantasme CEF », la ministre de la Justice met un frein au développement de ces centres – aujourd’hui au nombre de 42 – crées en 2002 par l’ancien garde des Sceaux, Dominique Perben. « L'héritage de la précédente mandature prévoyait la transformation de 18 foyers supplémentaires en CEF, j'ai arrêté ça », a-t-elle déclaré. On parlait même à l’époque d’une centaine de centres !
     
    La droite est montée au créneau. L’ancien ministre de l’Intérieur et ami de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, s’en est pris à Christiane Taubira: « Elle privilégie la permissivité à l'endroit des mineurs délinquants ». Le député de Seine-et-Marne et vice-président du Parti radical, Yves Jégo, a aussi fait entendre sa mélodie : « Je constate qu'on détricote tout ce qui a été fait par la précédente majorité ».

    25 000 euros de dégâts

    Il s’agirait donc d’un choix politique, idéologique. Pourtant, à en croire un document rédigé en avril 2012 par la directrice du CEF de Savigny-sur-Orge, Malika Bendris, et révélé par Libération, l’état des lieux dans certains de ces centres est « alarmant ». « Un climat malsain, pervers, voire « maffieux », écrit-elle, règne au sein de mon établissement » ; elle se dit « effrayée par tant de mal-être et par la souffrance de certains agents » ; « tout est vide, il n’y a ni livres, ni matériel informatique, ni salle télévision (sic), aucun équipement ludo-éducatif à destination des mineurs » ; « les fugues et les incidents à l’interne se multiplient », etc. A part ça, tout va très bien monsieur l’agent !
     
    Le plus grave est que le constat de Malika Bendris intervient deux ans après un rapport interne de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) – en charge du dispositif –, qui était, selon nos informations, très critique à l’égard du fonctionnement de ce CEF. Deux ans se sont écoulés avant l’arrivée de la nouvelle directrice et rien n’a changé, apparemment.
     
    Même attentisme à Combs-la-Ville. Après la visite de Nicolas Sarkozy en septembre 2011 dans le centre situé dans cette ville, un rapport commandé à la PJJ s’alarmait du déficit pédagogique et de la lourdeur des coûts. Et pourtant, rien ne bouge. En mai 2012, ce centre a d’ailleurs été le théâtre d’une rébellion de sept mineurs. Le montant des dégâts s’élevait à quelque 25 000 euros. Le député et maire de Combs-la-Ville avait estimé à l’époque que «ces incidents [étaient] regrettables et condamnables, mais c’est normal qu’il y ait de gros moments de tension et de difficulté dans un lieu de privation de liberté où sont placés des jeunes au parcours très compliqué».
     
    Il a fallu attendre l’arrivée de la gauche en mai dernier pour que le ministère se mobilise. Sentant le vent tourner, l’actuel directeur de la PJJ, Jean-Louis Daumas, un ancien des cabinets de deux ministres de la Justice UMP successifs, Michel Alliot-Marie puis Michel Mercier, a commandé un nouveau rapport sur la situation de Combs-la-Ville. L’audit est en cours.
     
    Ces dernières années, de nombreux rapports ont évalué les CEF. Résultat : « le bilan est nuancé », précise un magistrat de la PJJ. D’où, peut-être, cette phrase de Taubira, toujours dans Libération : « Il faut arrêter de dire que c’est LA solution ». La ministre a lancé une vaste inspection. Un premier pas, selon Pierre Joxe, auteur d’un livre sur la justice des mineurs. « Ces centres, explique-t-il à Marianne2, n’avaient jamais été soumis à une étude d’évaluation générale. » Ce que les caciques de la droite se sont bien gardés de rappeler.

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  • 2012       164 p.     10 € (Actes Sud )

       Habiter poétiquement le monde n'est pas l'apanage des artistes.
    Il suffit parfois de changer de regard pour découvrir cette aculté d'émerveillement qui donne sens à l'essentiel. Une aculté qui se manifeste devant une oeuvre d'art, mais aussi devant les petits riens du quotidien, car l'oeuvre et la vie se  confondent bien souvent.

      Ce numéro de Canopée invite dans ses pages des femmes et des hommes, célèbres ou anonymes,
    qui, dans leurs mots comme dans leurs actes, ont choisi de faire de leur vie une aventure poétique 


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  •   Les fermes familiales perdent du terrain...aussi en France

     
    Published: 31 May 2012    Posted in: France

    La Terre de Chez Nous | 31 mai 2012

    Les fermes familiales perdent du terrain...aussi en France

    Un cri de ralliement a été lancé par la Fédération nationale des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (FnSafer).

    par Yvon Laprade

    Après la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas, c’est au tour de la France de tirer la sonnette d’alarme pour tenter d’empêcher les investisseurs étrangers de faire main basse sur les meilleures terres agricoles de l’Hexagone.

    La Fédération nationale des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (FnSafer) craint que les exploitations agricoles familiales soient menacées par un phénomène qui dépasse largement les frontières du pays : l’accaparement des terres par des investisseurs étrangers. Une question qui soulève également les passions au Québec, où on s’interroge sur les moyens à prendre pour garder la propriété de nos terres agricoles...
    Agriculture de capitaux

    Chez nos cousins français, on parle davantage d’une « agriculture de capitaux » qui favorise les investisseurs étrangers au détriment des producteurs locaux. Cela s’accompagne d’une autre tendance : le nombre de fermes est en chute libre depuis dix ans et les exploitations agricoles sont de plus en plus grosses, conséquence de la concentration du marché. Plus de 170 000 fermes ont disparu au cours de la dernière décennie dans une France agricole plutôt chancelante.

    Dans son bilan annuel, la Fédération nationale des Safer constate en outre que les jeunes producteurs éprouvent de grandes difficultés à s’installer et à acquérir des terres, en raison de hausses appréciables des prix à l’hectare.

    En 2011, la valeur des terres cultivables a augmenté de 11,7 % tandis que le nombre de transactions a bondi de 4,3 %. Les hausses de prix sont plus fortes en périphérie parisienne et vers le pourtour méditerranéen.

    Fait à souligner, la forêt est vue comme une valeur refuge dans ce marché trouble, ses prix à l’hectare ayant progressé de 10,8 % à 3 960 euros au cours de la dernière année.

    Rappelons que les Safer jouent un rôle de premier plan dans le développement de l’économie agricole. Ces sociétés d’aménagement encouragent les jeunes producteurs à se lancer dans la production agricole sur des terres. Ce modèle pourrait inspirer les principaux défenseurs d’une agriculture québécoise, de propriété québécoise, dans le cadre d’une réflexion initiée par l’Union des producteurs agricoles, qui a commandé un rapport exhaustif sur le sujet auprès de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC).

       

    Source: La Terre de Chez Nous


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