• Fonds des ONG

       Ciblez les pauvres : j’ai tenté de lever des fonds pour une ONG

    Sylvain Duthil, en recherche d’emploi  (Rue 89)

     

    Sylvain s’est retrouvé à faire du porte-à-porte dans un quartier défavorisé de Londres afin de solliciter des dons pour une ONG. Il nous raconte l’exploitation de la misère à des fins humanitaires.

       Après une première expérience de marketing direct, l’auteur, en recherche d’emploi à Londres et ancien étudiant en sociologie, a voulu retenter sa chance auprès d’une autre entreprise, autant pour relater l’expérience que pour trouver un emploi.

    Malgré un coup de fil et plusieurs relances par e-mail, l’entreprise Source Marketing Direct n’a pas souhaité nous répondre. Rue89

    Le rendez-vous est fixé à midi. La veille, je me suis rendu à un entretien d’embauche dans une société de marketing, Source Marketing Direct. Reçu par le directeur, qui m’a exposé de manière succincte le fonctionnement de son entreprise, je suis cette fois convié à passer avec eux une journée sur le terrain.

    Conformément aux consignes, je me rends dans leurs bureaux à l’heure dite, dans des chaussures confortables comme recommandé et vêtu du costume-cravate de rigueur – après avoir nettoyé au mieux les quelques taches de mon unique costume, dont évidemment une au milieu de ma cravate.

    Des bureaux, j’en ai visité des tas, à la recherche d’un emploi à Londres. Des ruches fourmillantes aux locaux sordides. Ici, c’est un open space design avec hôtesses peroxydées, couvertes d’autobronzant et d’un maquillage outrancier. La musique de boîte de nuit n’est pas un bruit de fond : elle est réglée au maximum.

    La mezzanine s’ouvre sur une terrasse ornée d’un jacuzzi flambant neuf. Après une longue attente à compter les solives du toit et à feuilleter les magazines de management à ma disposition, la journée peut commencer.

    Solliciter des dons à Brixton

    L’entreprise fait du marketing direct. Le boulot : démarcher des gens pour le compte de VSO, une ONG qui envoie des volontaires en Afrique. Nous allons solliciter des dons. Je pars avec le directeur et un jeune employé, Miguel, en formation.

    Je pensais benoîtement que notre destination était un centre commercial, mais je comprends vite que ce démarchage se fera au porte à porte. Le directeur me dévoile dans un verbiage de commercial les raisons de cette démarche : la plus grande proximité avec les gens, le retour direct.

    Direction Brixton. Brixton, pour ceux qui ne connaissent pas Londres, est un quartier ou l’on retrouve une forte communauté africaine et caribéenne. Le chômage est nettement plus élevé que la moyenne nationale. C’est ici qu’en avril 1981 ont éclaté de violentes émeutes après une interpellation musclée. Trente ans après, le quartier s’est à nouveau enflammé lors des émeutes de l’été 2011.

     

    Arrivés à la station de Brixton, un « check » avec les autres commerciaux, et nous voilà partis vers notre secteur. A ce stade, je me demande déjà ce que je fais ici. Surtout que nous nous dirigeons vers les secteurs les plus défavorisés du quartier. Le directeur et l’employé novice enfilent leurs chasubles criardes de l’ONG et le travail commence.

    Le directeur remplit le formulaire

    Il est 14h30. A ce moment de la journée, ce n’est évidemment pas les privilégiés détenteurs d’un emploi que l’on rencontre, mais des mères de famille, des chômeurs ou des retraités.

    Tout est bon pour attirer la sympathie. Une mère de famille avec son enfant ? Le sourire au petit est censé briser la glace. Une personne d’origine caribéenne ? Des questions sur son pays. Mais le métier est ingrat. La première prise vient au bout d’une heure.

    Nous sommes sur le pas de la porte de Robert, Jamaïcain sexagénaire. Une maison typique de la banlieue anglaise. Il nous ouvre. Face au directeur qui récite son petit discours, un homme que l’on sent fragile. La voix pâteuse suggérant une médication lourde. Il se dit intéressé par le caritatif, répond par des monosyllabes et, face à un commercial convaincant, nous invite à le suivre dans sa cuisine où fleure bon l’odeur d’une marmite de poulet sur le feu.

    Le directeur lui explique l’importance de son soutien, et lui fait remplir un formulaire de parrainage. Enfin, « lui fait remplir »... Le directeur s’en charge sans laisser le temps à ce pauvre homme de réfléchir. La cuisine est vieille, l’évier couvert de tartre, des taches de cuisine jonchent les murs dont la peinture s’écaille, la maison est étroite.

    Mandela revisité : « La clé, c’est l’éducation »

    La nausée monte en moi. Ce n’est pas l’odeur du poulet mais l’impression de voir une arnaque malsaine prendre forme, un homme qui va se faire extorquer 8,50 livres par mois, pendant un an ou plus, par le boniment d’un commercial expérimenté.

    Il est au chômage. Quand l’on sait que les allocations sont de 65 livres la semaine, on se demande comment ce pauvre homme peut consentir ce geste. Il s’exécute cependant dans un état second, et nous donne ses références bancaires. Première mission accomplie.

    Une fois les remerciements d’usage donnés, nous laissons cet homme, non sans lui avoir laissé la preuve de son engagement avec la photo de la personne qu’il parraine, un professeur bénévole envoyé au Rwanda, car, comme le disait Nelson Mandela revisité par le directeur de l’entreprise, la clé, c’est l’éducation.

    Je n’avais pas envie de ce travail auparavant, j’en ai désormais un dégoût profond. Je poursuis cependant le porte-à-porte, curieux d’en savoir plus sur cet univers de la sous-traitance d’ONG.

    97% de refus ou portes claquées

    Le directeur m’explique que nous cherchons les 10% de gens susceptibles de donner spontanément, soit, dans notre cas, au mieux 3% des personnes que nous pourrons croiser aujourd’hui chez elles. Ce qui fait 97% de refus et de portes claquées.

    Les Britanniques réservent un accueil plus favorable à ce type de démarches qu’en France. Et c’est dans une banlieue défavorisée que l’on trouve le plus d’âmes charitables, semble-t-il. C’est aussi là que le taux de chômage est le plus élevé et ou les probabilités de rencontrer des personnes dans la journée sont donc les plus nombreuses...

    Dans un fast-food local, j’apprends que tout le monde doit commencer par sept mois de démarches à domicile. Qu’il n’y a pas de salaire mais des commissions : chaque contrat conclu et confirmé dans les deux semaines donne 25 livres au démarcheur… Les transports, aux prix prohibitifs à Londres, ne sont pas pris en charge, pas plus que les repas. Déjà écœuré pour les proies, j’en deviens écœuré pour les apprentis chasseurs.

    Le novice d’aujourd’hui travaillait ainsi depuis deux semaines sans salaire. Une de formation, une passée sur le terrain sans résultat, huit heures de marche par jour pour ne pas récolter un centime.

    La journée se termine à 21h30, dans un froid désormais mordant et sans autre contrat conclu. Une porte nous a bien été ouverte mais il s’agissait d’une personne de plus de 80 ans, et il n’était pas légal de lui proposer ce type de contrat.

    Les bénévoles savent-ils d’où vient l’argent ?

    Je ne peux m’empêcher de penser aux « Portes de la Gloire » et à l’exploitation du misérabilisme. Mêmes ficelles, mêmes cibles. Seuls les mandataires sont plus valorisants. Il n’est pas proposé aux gens un dictionnaire ou un aspirateur, mais une modeste contribution de 25 pence par jours, 8,50 livres par mois et ainsi de suite, à une organisation caritative. Dans cette banlieue pauvre, nous avions rencontré une femme déjà investie dans vingt organismes différents pour plus de 160 livres par mois.

    Les clients de Source Marketing Direct sont des ONG comme VSO, WWF ou La Croix-Rouge. Le soir même, j’ai découvert une multitude de compagnies similaires, aux sites très ressemblants. Des entreprises conçues sur le même moule, comme des franchises.

    Le risque pour les ONG est nul. Elles ne font que reverser une partie des contrats conclus aux démarcheurs et aux dirigeants. Les démarcheurs ont comme perspective idéalisée le fait de devenir manager sous dix mois, avec un salaire potentiel tenu secret mais présenté comme avantageux.

    En attendant, les heures à marcher dans le froid, à ranger sa fierté malmenée par les refus, à oublier ses principes. Les bénévoles des ONG sur le terrain savent-ils seulement d’où proviennent leurs financements?


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