• Insecticides anti-abeilles

      Bayer et Syngenta manœuvrent pour bloquer l'interdiction de leurs insecticides

    De notre envoyé spécial à Bruxelles

    À première vue, le dossier peut paraître anecdotique, alors que l'Europe compte ses millions de chômeurs et se cherche un avenir. Il est question de la survie des colonies d'abeilles sur le continent. Mais l'affaire en dit long, à sa manière, sur les méandres de la prise de décision au cœur de Bruxelles.

    Ce lundi matin, les États membres de l'Union décideront, s'ils valident la proposition de la commission européenne, de suspendre pour deux ans l'utilisation de trois insecticides jugés fatals aux abeilles et autres bourdons. Un premier vote, le 15 mars, n'avait pas recueilli de majorité qualifiée, et rien ne dit que ce deuxième essai, en « comité d'appel », y parviendra.

    Certains pays, comme la France ou les Pays-Bas, y sont pourtant très favorables. Deux études scientifiques, l'une britannique, l'autre française, ont apporté des preuves des effets néfastes de l'utilisation de ces pesticides, dits « néonicotinoïdes », sur les colonies d'abeilles.

    En janvier, c'était au tour de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de se prononcer : elle confirmait ce diagnostic alarmiste, qualifiant le risque d'« inacceptable ». En réaction, la commission proposait, non pas d'interdire à jamais, mais de suspendre pour deux ans l'utilisation de ces trois insecticides pour certaines cultures, comme le maïs.

    Du simple bon sens ? Pourtant, en mars dernier, pas moins de neuf États ont voté contre. Et cinq autres, dont l'Allemagne et la Grande-Bretagne, se sont abstenus. Des observateurs n'ont pas manqué de voir dans ce résultat les effets fructueux d'un intense lobbying mené à Bruxelles par les deux groupes qui commercialisent les fameux « néonicotinoïdes » : Bayer, géant allemand de la chimie et de la pharmacie, et Syngenta, poids lourd suisse dans le secteur de la chimie et de l'agroalimentaire.

    Une campagne de l'ONG Avaaz a récolté plus de deux millions de signatures pour « sauver nos abeilles ». ©AvaazUne campagne de l'ONG Avaaz a récolté plus de deux millions de signatures pour « sauver nos abeilles ». ©Avaaz


    « Syngenta et Bayer investissent beaucoup dans cette affaire, et leur objectif, à présent, est de constituer une majorité qualifiée contre le texte, lundi, ce qui aurait pour effet d'enterrer la proposition de la commission… », estime Bart Staes, un eurodéputé vert belge, qui suit de près le dossier. Ce scénario semblait toutefois, à la veille du vote, peu probable.

    Staes a publié avec son groupe un argumentaire  qui prétend déconstruire les « dix mensonges » de Syngenta sur les néonicotinoïdes. « Ce sont des stratégies de lobbyistes que l'on connaît par cœur : ils cherchent à distiller de l'incertitude. Ce sont des “marchands de doutes” (voir le livre ci-contre). Quel que soit le sujet, ils nous disent toujours que cette mesure va coûter des milliers d'emplois, ou un demi-point de PIB, ou encore qu'elle va freiner l'innovation », estime l'élu belge, qui effectue son troisième mandat au parlement.

    L'ONG Corporate Europe Observatory, qui plaide pour davantage de transparence dans la bulle bruxelloise, a publié le 11 avril une série de lettres de Bayer et Syngenta qui confirment l'agressivité de leurs techniques de lobbying. Dans l'une d'elles, datée de juin 2012, c'est le PDG de Syngenta en personne qui prend la plume, pour s'adresser au commissaire européen alors chargé du dossier, le Maltais John Dalli. Il lui explique sans ciller qu'il vient de déjeuner, en marge d'un G 8, avec François Hollande et Barack Obama, pour évoquer la contribution de son groupe à la lutte contre la faim dans le monde, et qu'il faut donc prêter attention à ses arguments.

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