• La Chine en Afrique

      Global Voices Online 29/09/2012

    Le « soft power » chinois s’étend en Afrique avec la CCTV

    Global Voices"

    Ronald Yick · Traduit par Nicolas Wong   

     

     

    La Télévision centrale de Chine (CCTV), média contrôlé par Pékin, a inauguré son bureau régional pour l’Afrique à Nairobi, au Kenya, le 11 janvier 2012.

    Sa présence a certes diversifié le paysage médiatique africain, mais des organisation de défense de la liberté de la presse et des médias étrangers occidentaux, comme CNN et le New York Times, se sont montrés plutôt sceptiques quant à son indépendance éditoriale étant donnés les liens étroits entre la chaîne et le gouvernement chinois.

    L’historique de CCTV Afrique

    Selon son site officiel, CCTV Afrique produit une émission d’actualité quotidienne d’une durée d’une heure, un talk-show hebdomadaire, et un magazine de documentaires diffusé toutes les semaines. La chaîne a ainsi récemment produit un documentaire spécial sur le Kenya. CCTV Afrique compte environ 100 salariés, dont une majorité de Kényans.

    Le nouvel arrivant est allé « piller des présentateurs vedettes et d’autres employés chez un certain nombre de chaînes locales », d’après eXpression Today, une revue publiée par « The Media Institute », une organisation de défense de la liberté de la presse au Kenya.

    Comme la décision d’établir un bureau de CCTV à Nairobi a été prise pendant le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) en 2006, l’ONG en conclut que :

    « Les détails sur la façon dont la chaîne chinoise (c’est-à-dire CCTV) est entré sur le marché restent “secret défense” en raison de l’opacité avec laquelle la Chine négocie ses accords avec ses partenaires. Mais des sources au ministère des Affaires étrangères et au ministère de l’Information indiquent que l’arrivée de CCTV au Kenya a été entérinée pendant le sommet Afrique-Chine (le FOCAC) en 2006.

    Le président Mwai Kibaki, accompagné d’une délégation kényane, s’était alors rendu à Pékin pour y rejoindre 40 autres chefs d’État africains dans le but d’établir une nouvelle plateforme de coopération entre la Chine et l’Afrique.

    Hormis les accords sur les développements d’infrastructures, d’autres domaines de coopération concernaient notamment les médias et des TIC (les technologies d’information et de communication). »

    CCTV et le « soft power » chinois en Afrique

    La présence des médias chinois en Afrique remonte au début des années 50, quand l’agence de presse Chine Nouvelle (Xinhua) et Radio Chine international (CRI) ont commencé à diffuser. À l’époque, l’objectif de ces médias était de répandre de la propagande et de soutenir les mouvements d’indépendance en Afrique.

    Aujourd’hui, de nombreux médias et observateurs étrangers pensent que la présence de CCTV en Afrique vise à étendre le « soft power » du gouvernement chinois et rivaliser avec des géants tels que CNN ou la BBC.

    Tom Rhodes, du Comité de protection des journalistes, souligne que :

    « Cette expansion intervient alors que d’autres, majoritairement des médias occidentaux, sont en train de réduire leur présence en Afrique de l’est. La BBC a, par exemple, été obligée de se séparer d’un certain nombre de correspondants, tandis que France 24 avait annoncé une fusion avec Radio France Internationale pour réduire les coûts. »

    Wu Yu-shan [pdf], dans une étude de juin 2012 intitulée « La naissance d’une dynastie des médias étatiques chinois en Afrique », affirme que :

    « Son “soft-power” ne sert pas seulement à promouvoir son statut international, il vise également à rendre les valeurs et la culture chinoises plus attractives à un public lassé par l’idéologie traditionnelle. C’est pourquoi la Chine doit d’abord séduire sa propre population avant de pouvoir proposer autre chose que du développement économique. »

    Wu  indique également que la Chine veut contrer le portrait négatif dressé par les grands médias occidentaux, ce que Song Jia-ning, le directeur du bureau CCTV Afrique, semble avoir confirmé en juillet 2012 :

    « Le traitement par les médias occidentaux de la Chine et de son influence grandissante en Afrique en est l’un des meilleurs exemples. Les angles abordés dans les médias occidentaux concernent habituellement l’impact négatif de la Chine en Afrique, et de ses complicités avec les gouvernements corrompus. Ils parlent régulièrement de la Chine comme d’une entité monolithique, ils critiquent les ambitions coloniales de la Chine, et se focalisent sur les circonstances actuelles sans donner d’explications socio-historiques sur la relation Chine-Afrique. »

    L’objectivité de la CCTV en question

    Dans son étude, Wu s’est également interrogé sur l’objectivité éditoriale de la CCTV [pdf] puisque contrôlé par le gouvernement :

    « Dans le même temps, les médias chinois doivent remplir des objectifs fixés par l’État. En ce qui concerne la couverture de l’Afrique, là où leurs concurrents ont tendance à titrer sur les côtés controversés des relations sino-africaines, les médias chinois se concentrent plutôt sur une narration plus facile des histoires positives, de l’amitié et de la sincérité, tout en évitant les zones d’ombre. »

    Dans eXpression Today, l’ONG de défense de la liberté de la presse souligne également que :

    « … La Chine commente rarement en public les affaires politiques des autres pays. En ce sens, l’arrivée de CCTV au Kenya n’aura sûrement pas d’impact sur la politique kényane car la politique “toxique” est un terrain interdit pour les médias chinois.

    En s’écartant des questions sérieuses de politique, CCTV ne sera pas différent de KBC et ne posera donc pas de concurrence sérieuse aux chaînes de télévision locales ou aux autres chaînes internationales car la politique reste le contenu médiatique le plus apprécié. »

    Le journaliste Sambuddha Mitra Mustafi pense que l’argent ne permet d’acheter la crédibilité :

    « Le succès de la stratégie médiatique mondiale de la Chine dépendra de si ses médias sauront sortir des scoops, et les traiter pour prouver au monde leur courage journalistique d’une manière que les déclarations de rédacteurs-en-chef ou d’officiels bien intentionnés ne sauront jamais égaler. Si CCTV arrive à devenir une chaîne incontournable, même si ce n’est que pendant quelques jours, cela pourrait changer définitivement les règles du jeu.

    Et quand ce moment viendra, les journalistes se devront de poser des questions dures et pertinentes, même à propos du leadership chinois. Mais les dirigeants auront-ils le courage d’y faire face ? »

    Les échanges entre les médias chinois et africains sont devenus plus fréquents depuis les années 2000 (voir l’étude de Wu [pdf]). Ils vont du support technique à la fourniture de contenus, en passant par des programmes d’échanges de cadres et de formation de journalistes. Les programmes de formation en journalisme, toutefois, ont été pointés du doigt.

    Une anecdote, originellement racontée par Gideon Nkala sur le site Mmegi Online, est relatée dans « Chine et Afrique : un siècle d’engagement“, le dernier livre de Shinn et d’Eisenman :

    ‘Après être rentré chez lui au terme d’une formation de journaliste en juin 2008, Gideon Nkala, du journal botswanais The Reporter, a publié un témoignage donnant un rare aperçu des programmes d’échanges de journalistes multilatéraux de la Chine, du point de vue d’un Africain.

    Il observe que tous les journalistes africains avaient hâte d’assister au cours sur le Tibet. Un cours pendant lequel l’instructeur du PCC leur a dit :

    Le Tibet a toujours fait partie de la Chine et le Grand Tibet est une création des médias qui n’a jamais existé.’ Le peuple chinois ‘a percé les mensonges et les fabrications de l’Occident, qui parlent des atrocités commises par les Chinois mais qui ne disent pas un mot sur les moines tibétains qui agressent et qui tuent des gens’.

    L’instructeur a également apporté des ‘photos montrant que même les photos ont été recadrées pour masquer les atrocités commises par les moines et leurs partisans.’

    Il a suscité le fou rire de la classe en disant, avec un air sérieux, que CNN est désormais devenu un terme utilisé la rue chinoise pour désigner quelque chose de faux ou d’inventé. ‘Si quelque ment en Chine, on lui dit désormais que Tu es CNN.’”


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