• Le Japon dit non au nucléaire

      lundi, 16 juillet 2012 (Nouvel Obs )

    Japon. Au coeur de la grande manifestation antinucléaire

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    De Tokyo,

      Jamais depuis les années 60, une manifestation n’a réuni autant de monde à Tokyo. Les organisateurs espéraient 100 000 personnes - il y en a eu davantage.

    Ce lundi 16 juillet, à l'appel de la coordination "Au revoir, l'énergie nucléaire", la classe moyenne japonaise est sortie en masse, sous un soleil de plomb. Dans le parc Yoyogi, près du quartier branché de Shibuya, jeunes et vieux sont venus de tout le Japon, parfois en famille. Seize mois après l’accident de Fukushima et alors qu'un seul réacteur sur cinquante a été remis en marche, ils veulent dire non au redémarrage des centrales nucléaires. Le gouvernement les entendra-t-il ? Jusqu’où ce mouvement populaire ira-t-il ?

    Naoki a 28 ans. Il est assistant dentaire à Fukuyi au bord de la mer du Japon, à quatre heures de train de la capitale. « C’est la première fois que je participe à une manif, dit-il. Le Premier ministre nous a menti. Quand il est arrivé au pouvoir, après l’accident de Fukushima, il a assuré qu’il était hostile au redémarrage des centrales. Mais le 5 juillet, il a fait repartir celle de Oi, tout près de chez moi. Pourtant les spécialistes indépendants nous disent qu’elle est aussi peu sûre que celle de Fukushima. Je suis venu parce que j’ai peur. »

    Niroko aussi est très inquiète. Elle est arrivée ce matin, par un train de nuit. Elle habite dans le Nord du pays. « J’habite près d’un grand centre de retraitement des déchets [construit en collaboration avec Aréva], raconte-t-elle. Depuis l’accident de Fukushima, je me suis renseignée, surtout par internet. Je sais que cette activité est dangereuse, qu'à la Hague, elle entraîne des leucémies chez les enfants. Pour l’instant, l’usine est arrêtée. Mais le Premier ministre va peut-être décider de la faire repartir. Pourquoi prendre un tel risque ? » Niroko, 59 ans, montre le foulard qu’elle porte autour du cou. Pour rafraîchir la nuque, il contient du gel qui conserve le froid. "Nous pouvons faire sans la climatisation, non ?"

    Pour Hikono également, c’est la première manifestation. A 35 ans, elle est institutrice dans la banlieue de Tokyo. « Jusqu’à l’accident de Fushima, raconte-t-elle, j’étais plutôt favorable à l’énergie nucléaire. En fait, je ne me posais pas la question, c’était comme ça. Et puis, petit à petit, après le désastre, je me suis rendu compte que le gouvernement nous a menti sans arrêt et qu’il n’a pas organisé correctement les évacuations des zones irradiées. On ne peut plus leur faire confiance. »

    Hitoshi, lui, s'inquiète surtout pour son fils de huit ans qu’il a emmené avec lui. « En mars, après l’explosion de l’unité deux de Fukushima, je l'ai envoyé à Kyoto dans la famille de ma femme, dit cet employé dans une maison d’édition. J’ai eu très peur. Jusque-là je pensais que le nucléaire était sûr. Mais j’ai compris que le gouvernement travaille pour le lobby nucléaire, pas pour le peuple. »

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                        Le prix Nobel de littérature Kenzaburo Oe s'adresse à la foule 

    Le mensonge et la collusion, voilà finalement les raisons profondes de la colère. Koji est retraité du bâtiment, il est né au début de la seconde guerre mondiale. « Le nucléaire me paraissait faire partie de notre vie comme une évidence, le gouvernement répétait que c’était absolument sûr et je le croyais évidemment, dit-il. Et puis, après le 11 mars [jour l’accident de Fukushima], j’ai voulu savoir vers où se dirigeait le nuage radioactif. Le gouvernement ne nous disait rien. Il fallait regarder les sites américains. Les ministres ne voulaient pas que nous sachions. Ils servent les intérêts du lobby nucléaire, ils sont achetés. Il faut qu’ils partent. »

    Les vieux militants antinucléaires sont aux anges. « Je ne croyais pas voir cela de mon vivant, dit Kuniko Horigushi qui est de toutes les manifs depuis Tchernobyl. Pendant vingt ans, nous avons préché dans le désert. Depuis Fukushima, nous voilà au centre du débat. Tout a vraiment commencé avec une grande manif de septembre dernier. Nous étions 60 000. Après, le mouvement n’a fait que grandir.»

    Leur porte-voix est le prix Nobel de littérature, Kenzaburo Oe, 77 ans. A la tribune, il dit : « Depuis le début de l’année, nous avons récolté plus de sept millions de signatures contre la reprise des centrales. Fin juin, je suis allé la porter chez le Premier ministre. Pourtant, dès le lendemain, il a décidé le redémarrage de Oi. Il n’écoute pas le peuple. Il l’insulte. »

    La mobilisation grandit ces dernières semaines parce que, le 18 juillet, un deuxième réacteur va être relancé. Et surtout parce que, fin août, le gouvernement va annoncer ses choix en matière énergétique. Il réfléchit à trois scénarii : 25% de nucléaire, c’est-à-dire redémarrer presque toutes les centrales, 10% ou 0%. Cette dernière solution, celle qu’exigent les manifestants, ne sera probablement pas retenue. Que se passera-t-il alors ? La colère et la peur conduiront-elles à un soulèvement populaire ? On parle d’une "révolution des Hortensias" (c'est la saison de ces fleurs au Japon). « Certains de mes amis espèrent qu'il y aura une révolte non violente comme en Tunisie, un renversement pacifique du gouvernement », dit un vieux militant antinucléaire. Mais lui-même n’a pas l’air d’y croire. 


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