•   Bayer et Syngenta manœuvrent pour bloquer l'interdiction de leurs insecticides

    De notre envoyé spécial à Bruxelles

    À première vue, le dossier peut paraître anecdotique, alors que l'Europe compte ses millions de chômeurs et se cherche un avenir. Il est question de la survie des colonies d'abeilles sur le continent. Mais l'affaire en dit long, à sa manière, sur les méandres de la prise de décision au cœur de Bruxelles.

    Ce lundi matin, les États membres de l'Union décideront, s'ils valident la proposition de la commission européenne, de suspendre pour deux ans l'utilisation de trois insecticides jugés fatals aux abeilles et autres bourdons. Un premier vote, le 15 mars, n'avait pas recueilli de majorité qualifiée, et rien ne dit que ce deuxième essai, en « comité d'appel », y parviendra.

    Certains pays, comme la France ou les Pays-Bas, y sont pourtant très favorables. Deux études scientifiques, l'une britannique, l'autre française, ont apporté des preuves des effets néfastes de l'utilisation de ces pesticides, dits « néonicotinoïdes », sur les colonies d'abeilles.

    En janvier, c'était au tour de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de se prononcer : elle confirmait ce diagnostic alarmiste, qualifiant le risque d'« inacceptable ». En réaction, la commission proposait, non pas d'interdire à jamais, mais de suspendre pour deux ans l'utilisation de ces trois insecticides pour certaines cultures, comme le maïs.

    Du simple bon sens ? Pourtant, en mars dernier, pas moins de neuf États ont voté contre. Et cinq autres, dont l'Allemagne et la Grande-Bretagne, se sont abstenus. Des observateurs n'ont pas manqué de voir dans ce résultat les effets fructueux d'un intense lobbying mené à Bruxelles par les deux groupes qui commercialisent les fameux « néonicotinoïdes » : Bayer, géant allemand de la chimie et de la pharmacie, et Syngenta, poids lourd suisse dans le secteur de la chimie et de l'agroalimentaire.

    Une campagne de l'ONG Avaaz a récolté plus de deux millions de signatures pour « sauver nos abeilles ». ©AvaazUne campagne de l'ONG Avaaz a récolté plus de deux millions de signatures pour « sauver nos abeilles ». ©Avaaz


    « Syngenta et Bayer investissent beaucoup dans cette affaire, et leur objectif, à présent, est de constituer une majorité qualifiée contre le texte, lundi, ce qui aurait pour effet d'enterrer la proposition de la commission… », estime Bart Staes, un eurodéputé vert belge, qui suit de près le dossier. Ce scénario semblait toutefois, à la veille du vote, peu probable.

    Staes a publié avec son groupe un argumentaire  qui prétend déconstruire les « dix mensonges » de Syngenta sur les néonicotinoïdes. « Ce sont des stratégies de lobbyistes que l'on connaît par cœur : ils cherchent à distiller de l'incertitude. Ce sont des “marchands de doutes” (voir le livre ci-contre). Quel que soit le sujet, ils nous disent toujours que cette mesure va coûter des milliers d'emplois, ou un demi-point de PIB, ou encore qu'elle va freiner l'innovation », estime l'élu belge, qui effectue son troisième mandat au parlement.

    L'ONG Corporate Europe Observatory, qui plaide pour davantage de transparence dans la bulle bruxelloise, a publié le 11 avril une série de lettres de Bayer et Syngenta qui confirment l'agressivité de leurs techniques de lobbying. Dans l'une d'elles, datée de juin 2012, c'est le PDG de Syngenta en personne qui prend la plume, pour s'adresser au commissaire européen alors chargé du dossier, le Maltais John Dalli. Il lui explique sans ciller qu'il vient de déjeuner, en marge d'un G 8, avec François Hollande et Barack Obama, pour évoquer la contribution de son groupe à la lutte contre la faim dans le monde, et qu'il faut donc prêter attention à ses arguments.

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  • 10-04-2013

    Les Etats-Unis laissent le champ libre aux OGM

     
    Fraîchement voté, le « Monsanto protection Act » impose à la justice américaine d'autoriser les cultures d'OGM, même si leur homologation est contestée. Même si elle n'est que provisoire, cette décision pourrait constituer un précédent juridique.                                     

    Ce ne sont que dix lignes dans une loi de 78 pages, mais elles suffisent pour faire scandale aux États-Unis. Début avril, le Congrès américain a entériné son budget d’urgence pour l’agriculture. Mais l’article 735 qui s’est glissé dans le texte met les OGM au-dessus des lois. La justice américaine ne pourra plus interdire les mises en culture de plantes génétiquement modifiées, même si leur homologation est contestée devant un tribunal. En clair, même si la justice estime que l’innocuité de ces plantes n’est pas prouvée.

    La loi HR933, perçue comme un cadeau aux géants de la biotechnologie, a très vite été rebaptisée le « Monsanto protection Act ». C’est écrit noir sur blanc : « Dans le cas où une décision [d’autorisation de culture] est ou a été invalidée ou annulée, le ministère de l’Agriculture doit (...), sur simple demande d’un cultivateur, d’un exploitant agricole ou d’un producteur, accorder immédiatement une autorisation ou une dérogation temporaire. » Le premier semencier mondial, Monsanto, a très vite affirmé qu’il ne s’agissait que d’une garantie pour les agriculteurs de ne pas perdre leur récolte à cause d’une décision de justice.

    « Un dangereux précédent »

    « C’est un argument fallacieux, répond Christophe Noisette, rédacteur en chef du site de veille citoyenne (et opposé aux OGM) Inf’OGM. Qu’un agriculteur ne se retrouve pas dans la panade et qu’il puisse vendre sa récolte, aucune cour de justice ne serait contre. Cet article vise au fond à tester si le lobby fonctionne bien. » Tellement bien que les élus de tous bords ont été stupéfaits. Les écologistes ont fait circuler la pétition « Food Democracy Now » qui a déjà recueilli plus de 300 000 signatures. La sénatrice démocrate Barbara Mikulski a présenté des excuses publiques pour l’adoption de cette loi. Et même le très conservateur Tea Party a fait part de sa colère face à une opération de lobbying qui fausse la libre concurrence.

    Si les forces lobbyistes Outre-Atlantique sont un secret de polichinelle, les opposants de cette loi pointent surtout du doigt ses conséquences. Certes, comme le rappelait le sénateur Roy Blunt – surnommé Monsieur Monsanto - « cette loi ne donne qu’une protection d’un an ». Il s’agit bien en effet d’un texte provisoire, censé expirer en septembre prochain. Reste que pour Eric Darier, directeur de Greenpeace Canada, « ce texte constitue un dangereux précédent ». Ce spécialiste des questions d’agriculture et de biotechnologie estime que « Monsanto a fait inclure une clause dans une loi budgétaire temporaire. Sa véritable stratégie est de faire reconduire cette clause (après septembre, ndlr). Et donc, de faire du ‘temporaire’ à répétition au besoin ». Un précédent juridique qui permettrait, plus tard, de justifier son transfert dans d’autres lois. On l’a fait une fois, pourquoi ne pas le refaire ? Après un tel tollé, à voir si le Congrès revotera un texte identique.

    Un scandale qui masque un problème plus grave

    S’il considère que « rien n’est impossible », Christophe Noisette ne voit pas « comment une telle loi pourrait apparaître en France. C’est un débat américano-américain ». En revanche, même s’il rappelle qu’il faut être « vigilant », le chroniqueur d’Info’OGM craint que « ce scandale ne masque un problème bien plus grave. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’il y a, en ce moment, des négociations pour simplifier les échanges d’organismes génétiquement modifiés entre l’Europe et les États-Unis ».

    En effet, depuis février, Washington et Bruxelles réfléchissent à un accord de libre-échange. Mais du côté européen, les OGM restent une pierre d’achoppement. La preuve : les États-Unis ont jugé le 1er avril que la réglementation européenne, qui limite l’importation et la mise en culture d’OGM, était « inapplicable » et « lourde ». Le responsable du Bureau au commerce extérieur américain (USTR), Demetrios Marantis, a même considéré en février lors d’une conférence que « des gouvernements étrangers (d’Europe, NDLR) continuent d’imposer des mesures discriminatoires ou inutiles sur les exportations agricoles américaines ».

    Si les États-Unis sont bien décidés à stimuler leurs exportations, l’Europe maintient son interdiction. « Mais dans ce match, les autres pays observent, rappelle Christophe Noisette. L’Afrique et l’Asie, qui exportent vers l’Europe, attendent de se positionner selon les décisions qui en découleront ». En février, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, jugeait que « ces négociations entre les deux plus grands blocs économiques donneront le "la" des règles au plan mondial ». Et pour cause.

     
    Le rédacteur : Justine Boulo  pour Terraéco.net
     

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  •  Le fait que les personnes revêtent différentes identités augmente le temps nécessaire à leur vérification. (JOE RAEDLE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

                                                 Hacker ouvert

    Une cyberattaque géante perturbe le réseau mondial

    L'attaque a vraisemblablement eu des répercussions sur internet, selon un spécialiste.

      
        28/03/13         Par Le Nouvel Observateur avec AFP

    Une cyberattaque ciblant une entreprise européenne recensant les spams est l'une des plus importantes jamais vues à ce jour, ont indiqué mercredi 28 mars des experts en sécurité informatique, l'un d'eux assurant même qu'elle affectait le fonctionnement du réseau internet. Les pirates ont visé Spamhaus, un groupe basé à Genève qui publie des "listes noires" d'adresses de spams dont se servent les messageries pour filtrer les courriels indésirables.

    L'attaque a surchargé le réseau mondial, ce qui a vraisemblablement eu des répercussions sur internet, selon Matthew Prince, de la société américaine de sécurité informatique CloudFlare.

    Ce piratage informatique à grande échelle a commencé la semaine passée, selon Spamhaus, après que le groupe a placé sur sa liste noire un site internet néerlandais, Cyberbunker. Ce dernier s'est plaint d'être présenté par Spamhaus comme un paradis de la cybercriminalité et des spams: "Bien sûr, Spamhaus n'a pas été en mesure de prouver ses allégations", a relevé le site néerlandais.

    Un règlements de compte ?

    L'origine du piratage n'a pas été identifiée, mais selon la BBC, Spamhaus a mis clairement en cause Cyberbunker, qui aurait pu être aidé par des pirates informatiques issus de pays d'Europe de l'est.

    Le "New York Times" cite quant à lui Sven Olaf Kamphuis, qui se présente comme le porte-parole des pirates et affirme que Cyberbunker a agi en représailles contre Spamhaus, qui "abuse de son influence".

    Dans une interview au site d'information russe RT, Kamphuis explique que Cyberbunker n'est qu'une des sociétés ayant participé à l'attaque en réplique aux tactiques "d'intimidation" de Spamhaus. "Spamhaus a emmerdé des tas de gens ces dernières années en faisant du chantage aux fournisseurs d'accès à internet et aux opérateurs pour qu'ils déconnectent des clients sans la moindre décision de justice ou sans le moindre processus juridique", estime-t-il.

    "En ce moment nous ne menons aucune attaque... ce sont maintenant d'autres personnes qui les attaquent", selon lui.

    Spamhaus a demandé assistance à la firme CloudFlare pour résoudre ce problème.

    Comme des "bazookas"

    Matthew Prince a précisé que cette attaque informatique, dans laquelle les sites sont bombardés de demandes pour tenter d'en perturber le fonctionnement, était "l'une des plus importantes jamais répertoriées". Ainsi, ces derniers jours, a-t-il ajouté, "nous avons vu des encombrements, principalement en Europe où la plupart des attaques étaient concentrées, qui ont touché des millions de personnes même s'ils ne surfaient pas sur des sites en rapport avec Spamhaus ou CloudFlare".

    "Si internet vous semblait un peu apathique ces derniers jours en Europe, c'est probablement une des raisons qui peuvent expliquer ces ralentissements", a ajouté Matthew Prince, constatant que cette attaque était différente de celles auxquelles il a affaire habituellement. "C'est comme s'ils utilisaient des bazookas et les événements de la semaine passée montrent les dommages que ça peut causer", a-t-il ajouté. "Ce qui est troublant c'est que comparé à ce qu'il est possible de faire, cette attaque est en fait relativement modeste".

    Une attaque importante

    Un porte-parole d'une autre firme de sécurité informatique, Akamai, a lui aussi constaté qu'au vu des données disponibles, "l'attaque est vraisemblablement la plus importante dont on a jamais fait état de manière officielle". "Cette cyberattaque est en effet très importante", a reconnu Johannes Ullrich, de l'institut de technologie américain SANS, évoquant une attaque "10 fois plus grande que des attaques similaires dans un passé récent". "Mais à ce stade, je ne peux pas assurer que cela affecte internet de manière générale", a-t-il dit à l'AFP.

    Selon des experts, ces attaques ont consisté à inonder les serveurs de Spamhaus avec 300 gigabytes de données par seconde, contre 50 gigabytes pour les précédentes attaques de ce genre.

    Spamhaus, qui a aussi des bureaux à Londres, sillonne internet pour fournir aux grands opérateurs des listes régulièrement actualisées de sites qui envoient des spams. CloudFlare estime que Spamhaus est "directement ou indirectement responsable du filtrage quotidien de 80% des spams".

    Des ennemis connus

    "Même si nous ne savons pas exactement qui se cache derrière cette attaque, Spamhaus s'est fait plein d'ennemis ces dernières années", a encore noté Matthew Prince.

    "Nous sommes fiers de la manière dont notre réseau a géré un tel piratage massif et nous travaillons avec nos partenaires pour nous assurer qu'internet dans son ensemble peut faire face à ce type de menace", a-t-il conclu.


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  •   Immigration : ces vérités si difficiles à dire

    Vendredi 22 Mars 2013    Par Malika Sorel-Sutter*

    Une certaine vulgate veut qu'il n'y ait aucun problème avec l'immigration, présentée comme une chance pour la France. Or, la réalité est bien plus complexe. Pour ne pas l'avoir reconnu, l'élite a laissé se défaire le puzzle de l'intégration, ce qui n'est pas sans conséquences pour la démocratie.


    LAURENT ETIENNE/SIPA
    LAURENT ETIENNE/SIPA
    Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire, ce n'est pas de subir la loi du mensonge triomphant qui passe» (Jean Jaurès). Notre époque aurait-elle à ce point manqué de courage qu'elle a, depuis près de quarante ans, accepté de subir la loi du mensonge dans la question de l'immigration-intégration, sujet pourtant capital puisqu'il engage le destin de notre cohésion sociale et nationale ?

    Une multitude de facteurs se sont conjugués pour empêcher que de simples vérités ne soient dites quand, dans le même temps, les esprits libres se sont faits de plus en plus rares. Une concordance inattendue d'intérêts entre les univers politique, médiatique, financier et économique a coulé la chape de plomb d'une pensée unique qui a conduit à la castration du politique. Pour Hannah Arendt, «la politique, c'est cet espace intermédiaire où se joue la liberté, où agissent les hommes libres». Le retour de la politique est le défi que nos sociétés démocratiques doivent de toute urgence relever si elles ne souhaitent pas être balayées.

    Entre mensonges et interdits

    L'immigration est une chance pour la France, et même la chance d'une Europe qui ne fait plus assez d'enfants. L'immigration rapporte plus qu'elle ne coûte. Il n'y a pas de problème d'intégration des descendants de l'immigration extraeuropéenne. Ce que vous croyez voir et vivre au quotidien n'est que le produit de vos fantasmes, ceux d'esprits racistes et étriqués. Voilà ce qui est assené chaque jour aux Français depuis de nombreuses années.

    Un discours lucide a été tenu dès 1981 par Georges Marchais, alors secrétaire général du PCF, puis en 1990 par Michel Rocard, Premier ministre de l'époque. Mais, comme le dit l'adage, nul n'est prophète en son pays. Leurs avertissements sont restés lettre morte. En janvier 1981, Georges Marchais parlait de «cote d'alerte atteinte» et disait qu'il fallait «résoudre l'important problème posé dans la vie locale française par l'immigration». Il évoquait des «familles aux traditions, aux langues, aux façons de vivre différentes» et le fait que cela rendait «difficiles leurs relations avec les Français». Etablissant un lien entre la poursuite de l'immigration et la menace du chômage qui pesait sur les ouvriers, il voulait «stopper l'immigration officielle et clandestine». Il déplorait «l'idée lamentable» que ses «détracteurs, qui vont de la droite au Parti socialiste» se faisaient des «travailleurs» : «bornés, incultes, racistes».

    On serait bien en peine de dire ce qui a changé depuis, hormis que ce procès a été étendu à tous les Français qui défendent le socle des valeurs de la République, ainsi qu'à ceux des enfants de l'immigration extraeuropéenne qui se sont culturellement intégrés. C'est un fait, une partie non négligeable de nos élites, et leurs prises de position l'attestent, ont pris le parti de ceux qui ne s'intégraient pas dans la communauté nationale, et même de ceux qui ne s'inséraient pas dans notre société, une société dont les normes collectives sont de plus en plus rejetées, et parfois aussi combattues. Or, même s'il s'élève dans l'échelle sociale, un enfant de l'immigration ne sera à terme adopté par la communauté nationale que si, et seulement si, il est perçu par les Français comme partageant leur conception de principes fondamentaux tels que la liberté individuelle, l'égalité homme-femme, la fraternité, la laïcité, la liberté d'opinion. En matière d'intégration, c'est le corps social, et non le politique au travers de l'administration, qui décide qui est français et qui ne l'est pas.

    Du discours de Michel Rocard à l'Assemblée nationale, on n'a voulu retenir qu'une infime partie : «Nous ne pouvons pas - hélas - soulager toutes les misères de la planète.» On a enterré le cœur de son intervention, qui détaillait la menace qui pesait sur notre société si elle persistait à accueillir un «flux massif et incontrôlé», ce qui finirait par hypothéquer «gravement et tout ensemble d'abord l'équilibre social de la nation, ensuite les chances d'intégration des étrangers installés, enfin l'avenir même de nouvelles vagues d'arrivants et des pays d'où ils viennent [...]». Et pour conclure, Michel Rocard refusait de «croire définitivement inconciliables la politique et la sagesse».

    Tout ce que Michel Rocard avait anticipé s'est finalement produit. L'équilibre social de la nation se trouve aujourd'hui gravement hypothéqué. L'intégration des étrangers déjà installés et de leurs descendants est largement compromise par la reproduction des sociétés culturelles d'origine sur la terre d'accueil, conséquence directe des flux migratoires dont l'explosion est nourrie, entre autres, par l'exigence d'endogamie qui pousse à aller chercher époux ou épouse dans le pays d'origine. Elle est compromise aussi du fait des attaques en règle dont le modèle français d'intégration est la cible constante, et de l'évolution d'un certain nombre de facteurs sur la scène internationale. Nonobstant les conséquences ravageuses des errements sur cette question, un rapport sur l'intégration qui vient d'être remis au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, cloue au pilori toute approche qui serait fondée sur le respect des «grands concepts et valeurs suprêmes» du peuple d'accueil, et recommande d'entériner l'impuissance de l'Etat à faire respecter les règles d'accueil et de séjour de la République, en délivrant des titres dits «de tolérance» qui aboutiraient à une régularisation massive des clandestins.

    Politique et sagesse définitivement inconciliables ?

    Le vœu de Michel Rocard n'a pas été exaucé : la politique et la sagesse ne sont toujours pas réconciliées. Le personnel politique a persévéré dans la voie du laisser-faire, accompagné d'un discours public fondé sur le déni puis le camouflage du réel, prenant au passage les citoyens pour des esprits simples capables de gober mensonges et inepties. Le puzzle de l'intégration a été sans cesse réduit à sa plus petite pièce, la pièce socio-économique. Les pièces décisives ont été écartées : distance culturelle, rôle central des parents, causes profondes qui empêchent l'école d'assurer sa mission première. En outre, on n'a eu de cesse de dresser les enfants de l'immigration contre notre société, en les persuadant qu'ils étaient les victimes des Français et en leur taisant la réalité des investissements considérables consentis par l'Etat - certes souvent peu fructueux puisque le diagnostic de départ était erroné.

    Le résultat ? C'est la menace qui pèse désormais sur notre démocratie et, en premier lieu, sur nos élites. Selon l'enquête d'Ipsos «France 2013, les nouvelles fractures», 72 % des sondés considèrent que le système démocratique fonctionne plutôt mal en France et 82 % jugent que les hommes et les femmes politiques agissent principalement pour leurs intérêts personnels. Les items relatifs aux questions d'ordre identitaire éclairent d'une lumière crue le gouffre béant qui sépare désormais les élites des citoyens. La défiance touche également les médias, qui sont mis dans le même sac que la classe politique. Devant tant de voyants qui ont viré au rouge, on s'attendrait à un sursaut de la part des élites. Espérons que politique et sagesse finiront par se réconcilier.

    * Malika Sorel-Sutter est membre du Haut conseil à l'intégration.

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  •   Chypre : une taxation sur les dépôts bancaires est bienvenue et salutaire

    Modifié le 19-03-2013
     

    Avatar de Henri SterdyniakPar Economiste à l'OFCE (Nouvel Obs )

    LE PLUS. Le 16 mars, l'Eurogroupe, la BCE et le FMI se sont mis d'accord sur un plan de sauvetage de 10 milliards d'euros pour Chypre. En échange, les dépôts bancaires devront être taxés. Après les protestations des petits épargnants, les dépôts inférieurs à 20.000 euros pourraient être exonérés. Mais taxer les dépôts n'a-t-il pas du bon ? Réponse de Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE.

    Édité par Daphnée Leportois Auteur parrainé par Céline Hussonnois Alaya

    Panneau de protestation à Nicosie, la capitale chypriote, le 18 mars 2013, alors que le Parlement était censé adopter une taxe exceptionnelle sur les dépôts bancaires (P.KARADJIAS/SIPA).

    Le 18 mars 2013, le Parlement chypriote était censé adopter une taxe exceptionnelle sur les dépôts bancaires (P.KARADJIAS/SIPA).

    Une fois de plus, les derniers développements de la crise montrent comment l’organisation de la zone euro est déficiente. Chaque trimestre, pratiquement, il faut sauver la zone euro, mais chaque sauvetage rend encore plus fragile l’édifice.

    Libre circulation (et blanchiment) des capitaux

    Jamais Chypre n’aurait due être acceptée dans la zone. Chypre est un paradis fiscal et réglementaire, qui n’impose les entreprises qu’au taux de 10% ; le bilan de son système bancaire hypertrophié représente près de 8 fois son PIB de 18 milliards d’euros.

    En fait, Chypre sert de lieu de transit et de blanchiment des capitaux russes : les banques chypriotes auraient pour environ 20 milliards de dépôts en provenance de la Russie, s’y ajoute 12 milliards de dépôts de banques russes. Ces fonds sont souvent réinvestis en Russie : Chypre est le deuxième investisseur en Russie, pour environ 13 milliards d’euros par an. Ainsi, en transitant par Chypre, certains capitaux russes sont blanchis et sécurisés sur le plan juridique. Comme l’Europe est très attachée au principe de libre circulation des capitaux, elle a laissé faire.

    Système bancaire surdimensionné

    Ce système bancaire surdimensionné a perdu beaucoup d'argent en ayant investi dans la dette publique grecque ou en accordant des prêts à des entreprises grecques, incapables de rembourser en raison de la crise ; il a favorisée une bulle immobilière qui a implosé, lui imposant de nouvelles pertes.

    Le système bancaire est en difficulté, donc les marchés ont spéculé contre la dette publique chypriote, les taux d'intérêt ont grimpé, le pays est rentré en récession, le déficit public s'est creusé. En 2012, la croissance a été négative (-2,5%), le taux de chômage a atteint 12%, le déficit public était de 5,5% du PIB, la dette publique de 87% du PIB et le déficit extérieur a atteint 6% du PIB.

    Indispensable harmonisation fiscale

    Le pays a besoin d’une aide à la fois pour se financer et pour recapitaliser ses banques. Chypre a demandé 17 milliards d’aide, soit l’équivalent de son PIB annuel. Bien sûr, Chypre devra se soumettre aux exigences de la Troïka, baisser de 15% les salaires de ses fonctionnaires, baisser de 10% sa protection sociale (retraites, prestations familiales). C’est le cinquième pays en Europe qui sera géré par la Troïka.

    Elle devra faire passer son taux de l’impôt sur les sociétés de 10 à 12,5%, ce qui est peu, mais l’Europe ne pouvait imposer à Chypre de faire plus que l’Irlande. Elle devra augmenter le taux d’imposition des intérêts. Ceci va timidement dans la direction de l’indispensable harmonisation fiscale.

    S'en prendre aux dépôts, une première

    Mais quid des banques ? Les pays européens se sont trouvés devant un choix cornélien : aider Chypre à sauver son système bancaire revenait à sauver les fonds russe avec l’argent du contribuable européen et montrait que l’Europe couvrait toutes les dérives des États-membres, ce qui aurait encore jeté de l’huile sur le feu en Allemagne, en Finlande, aux Pays-Bas ; demander à Chypre de recapitaliser lui-même ses banques faisait passer sa dette à plus de 150% du PIB, un niveau insoutenable.

    La solution choisie samedi 16 mars – faire payer les déposants pour 6 milliards d’euros – permet de mettre à contribution les non-résidents qui ont placé de l’argent à Chypre. L’Europe n’a pas voulu traiter différemment les dépôts des Chypriotes, craignant la fragilité juridique d’une telle disposition. L’avantage est de mettre fin au statut de place financière non réglementée de Chypre.

    C’est un précédent salutaire qui découragera les placements transfrontaliers. Il est légitime que les détenteurs de gros dépôts rémunérés à des taux d’intérêt élevés soient mis à contribution.

    Faire payer les créanciers des banques

    En même temps, s’en prendre aux dépôts est une première, d’autant plus que l’Europe cherche à mettre en place une Union bancaire qui garantirait 100.000 euros par déposant. Bien sûr, l’Europe affirme que c’est une décision exceptionnelle, mais le risque est que les déposants espagnols ou grecs s’inquiètent du précédent ainsi créé.

    Il serait sage de limiter la ponction aux dépôts supérieurs à 100.000 euros. Ceci fait, l’Europe aura pris la bonne décision : faire payer les créanciers des banques, et pas seulement les peuples. Il faudra que, dans la future Union bancaire, soient clairement distingués les dépôts garantis par l’argent public (qui devront être rémunérés à des taux limités, qui ne devront pas être placés sur les marchés financiers) et les autres.


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  •  100 000 emplois supprimés en 2012 : dix travailleurs « détruits » racontent.

    Selon l’Insee, l’industrie, la construction et les services ont perdu 100 000 emplois en 2012. Des postes qui souvent ne seront plus jamais occupés. Dix nouveaux chômeurs témoignent de ces disparitions et de leur reconversion pas simple.

    Les raffineries quittent le pays, l’industrie automobile périclite, les journaux coulent, des commerces ferment. La France a plus de 3 millions de chômeurs, un secteur de l’intérim en grande difficulté – 61 000 postes en moins en 2012 – et beaucoup de nouveaux retraités non remplacés.

    Des postes de travail disparaissent, dont on sait que plus personne ne les occupera. Les statistiques parlent de « destruction d’emplois », il faudrait aussi parfois parler de destruction de métiers.

    Making of

    Pour sélectionner quelques-uns des secteurs qui ont le plus perdu d’emplois, en proportion de leurs effectifs, nous avons utilisé les chiffres et la nomenclature de l’Insee.

    Le cabinet Trendeo nous a de son côté fourni la liste des derniers plans sociaux, qu’il repère méthodiquement dans la presse régionale et nationale.

    PS : l’intérim est le « secteur » qui a le plus perdu d’emplois (10% de ses effectifs), ce cas étant spécifique nous lui réserverons un article à part.

    Dans d’autres secteurs, des emplois se créent. Mais ils ne font pas le poids face à l’industrie, la construction et les services, qui en ont perdu 100 000 en 2012, selon les derniers chiffres de l’Insee.

    Quand on est informaticien et que l’on se retrouve au chômage, la recherche d’un travail dépend de la conjoncture, de son CV.

    Le cariste, l’imprimeur, l’agent de voyages traditionnel ou le vendeur de jeux vidéo se retrouvent, eux, riches d’un savoir-faire qui n’a plus de valeur. Inutiles dans une société qui n’a pas su les aider à s’adapter aux mutations de production.

    Rue89 a souhaité faire le portrait de dix travailleurs « détruits » dans ces secteurs. Raconter, à travers leur parcours, la violence de la crise économique.

    1-Catherine, modéliste : « Tout est transféré en Asie »

    Le textile fait partie des secteurs les plus touchés, en pourcentage, par la destruction d’emplois. (DR)

    Catherine, le prénom a été modifié, n’est pas retournée au boulot depuis le 21 février, jour où on lui a annoncé son licenciement. Elle était modéliste depuis dix-sept ans dans une entreprise de confection de vêtements d’enfants, tout près de Nantes en Loire-Atlantique.

    Modéliste, c’est construire le « patron » du vêtement. « La réalisation technique des plans de face et de profil, qui permettent la fabrication du premier modèle », dit-elle. Elle a fait ça toute sa vie.

    Dans la région, le secteur de la confection disparaît. « Avant, il y avait des boîtes comme Newman ou Gaston Jaunet. On avait l’embarras du choix. » En ce début d’année 2013, l’entreprise de Catherine coule à son tour. « C’est le quatrième plan social en cinq ans. »

    Cette fois-ci, 36 postes sont supprimés dont le sien. « Tout est transféré en Asie. »

    Seule « la création » n’est pas délocalisée (trois stylistes sur cinq sont quand même virées). Catherine nous dit que les quelques modélistes qui restent ne font plus que remplir des « tableaux de mesure » (où les dimensions du vêtement sont consignées, l’étape précédant le patron). « Un petit dossier » constitué du dessin, d’indications sur la matière et du tableau de mesure est envoyé en Chine ou en Inde.

    Tout est fait là-bas. Quelques couturières sont conservées au chaud, dans l’atelier français, pour des rattrapages ou des rectifications.

    L’entreprise de Catherine fabrique principalement des vêtements pour la grande distribution. « Pour des gens qui n’ont pas beaucoup de moyens, le transfert en Asie était inéluctable. » Catherine s’excuse de tenir des propos protectionnistes et moralisants, mais dit :

    « Il faudrait que les gens consomment moins et mieux. Ils n’ont pas besoin de tout ce qu’ils achètent, il faudrait qu’ils comprennent qu’ils peuvent sauver des métiers, le mien disparaît. »

    Comme Catherine a plus de 50 ans, elle a le droit à trois ans de chômage. Si elle veut rester modéliste, son problème c’est que les entreprises susceptibles d’embaucher sont à plus de 150 kilomètres de chez elle (IKKS, Gemo). Cela nécessiterait de prévoir un gros budget essence.

    Le salaire d’une modéliste en fin de carrière est d’environ 1 700 euros nets. « Je ne sais pas si ça vaut la peine. »

    Le secteur du textile, de l’habillement, de la chaussure et du cuir a détruit plus d’emplois qu’il n’en a créés. Il a même perdu 1,6% de ses effectifs cette année : 1 900 emplois. Nolwenn Le Blevennec

    2-David, journaliste papier : « Depuis Internet, l’impression d’être méprisé 
     
     

    David Larbre, 46 ans, éditeur à La Tribune depuis onze ans. Parti lors de la liquidation judiciaire. (DR)

    David Larbre avait l’impression de travailler dans « la tour de contrôle » du journal :

    « Les éditeurs sont là pour veiller à ce que les pages ressemblent à quelque chose, pour qu’un sens cohérent se dégage du journal, pour que les gens le lisent. »

    A La Tribune, les éditeurs participaient au choix des sujets le matin, sélectionnaient les photos et les infographies, relisaient les articles, les titraient.

    Mais quand le journal a commencé à rencontrer des difficultés économiques, ils « ont fait partie des premiers touchés », se souvient David. Pour lui, « ça a contribué à l’affaiblissement des contenus » et à la désaffection progressive du lectorat ».

    C’était autant de même travail avec moins de personnel. Il a également fallu faire plus vite : en 2012, le bouclage se faisait deux heures plus tôt qu’en 2002, raconte David. Tandis que les supports se sont multipliés : il a fallu peu à peu mettre l’information en scène sur les tablettes et les sites Internet, ne plus.

    Au fur et à mesure, David a eu l’impression, dans son métier, d’être « marginalisé », « un peu méprisé » :

    « Quand on soulevait un problème d’information non vérifiée, de censure, d’angle... on s’est mis à nous répondre que nous n’étions que des exécutants, que nous devions laisser tomber les questions éditoriales. En gros, il fallait qu’on se contente de mettre en page, au kilomètre. »

    Après une mise en redressement judiciaire, La Tribune a été reprise en janvier 2012 par France Economie Régions (FER), associé à Hi-Media. Les repreneurs ont décidé la poursuite du quotidien économique sous une forme numérique.

    David a été licencié en mai 2012. Aujourd’hui, seule une dizaine de journalistes continuent à y travailler.

    Les autres se retrouvent au chômage avec de l’expérience et des difficultés à se reclasser, raconte David : 5% d’entre eux ont retrouvé un poste fixe dans la presse, selon ses informations. Les autres se font free lance ou changent de métier, comme lui.

    Délégué syndical (SNJ), il a suivi de nombreuses formations de droit. C’est ce qui lui a permis de trouver un nouvel emploi, dans un cabinet d’expertise comptable, comme consultant en matière juridique et sociale.

    Le secteur auquel appartient la presse a perdu cette année 2% de ses effectifs : 4 200 emplois. Elsa Fayner

    3-Valérie, « viseur » : « Les imprimeries ferment les unes après les autres »

    A Maxéville (Meurthe-et-Moselle), l’imprimerie Jean-Lamour a fermé le 22 janvier 2013, faute de repreneur. Valérie Creusat, 43 ans, y travaillait depuis juillet 2007. Elle occupait un poste de « viseur » pour 1 750 euros net par mois :

    « Pour chaque ouvrage apporté par nos clients éditeurs, je devais calculer les coûts d’impression, les aider à choisir le bon papier – plutôt couché mat ou demi-mat pour du texte, plutôt offset pour la BD –, trouver les sous-traitants pour la reliure... »

    Elle a compris que les difficultés arrivaient quand les reliures Brun ont été liquidées en janvier 2012.

    « Donc, d’un seul coup, on a perdu notre principal débouché. Et les éditeurs sont partis les uns après les autres, préférant travailler avec des imprimeurs encore associés avec des relieurs. »

    Il y a eu « des mois très difficiles », un projet de fusion avorté, puis Valérie Creusat et ses 41 collègues ont perdu leur travail.

    Son « plus gros diplôme », c’est un BEP comptabilité. Elle a commencé à prospecter dès qu’elle a senti le vent tourner.

    Elle a refusé une première proposition (« le même poste pour 500 euros de moins »), une deuxième (« c’était mieux payé mais je connais le tempérament du PDG, ça n’aurait pas collé entre nous »).

    Les imprimeries ferment les unes après les autres. Le secteur a perdu 7 000 emplois cette année (3,3% de ses effectifs). Mais Valérie n’est pas nostalgique : elle préférerait devenir commerciale dans l’édition, « quitte à aller à Paris ». En juillet, si elle n’a rien trouvé, elle commencera un BTS Assistante de gestion avec le Greta de Lorraine. Mathieu Deslandes

    4-Léa, graphiste : « Pourquoi moi ? » Sa chef : « Pourquoi pas toi ? »

    Léa – c’est un pseudo – s’est « presque sentie libérée » quand elle a appris son licenciement économique. Sa boîte fait partie du secteur « services aux entreprises », premières victimes des réductions de coûts et de la baisse d’activité.

    A 29 ans, elle faisait partie depuis un an et demi de « l’équipe créa » d’une petite agence parisienne de graphisme. Elle répondait à des « briefs créatifs » pour proposer des « solutions graphiques ». Elle s’occupait aussi des « benchmarks de création ».

    Les semaines de 50 heures – pour 2 200 euros net par mois – et le conflit permanent avec sa supérieure lui font dire qu’elle « aime son métier et n’a pas aimé ce boulot ». Quand l’entreprise a commencé à rencontrer des difficultés économiques (le secteur a perdu 1 600 emplois cette année), Léa s’est trouvée la première licenciée, en février 2013 :

    « Le motif économique du licenciement était tout à fait justifié, mais je n’étais pas la plus nouvelle dans l’entreprise, ni la plus jeune. J’ai donc été demander à ma supérieure : “Pourquoi moi ?”. Elle m’a répondu “Pourquoi pas toi ?”. » E.F.

    5-Hélène, sous-traitante auto : « Un jour, on a vu nos machines partir »

    Chez Walor (prononcer « Valor »), à Legé (Loire-Atlantique), les ouvriers fabriquent des pièces métalliques qui entrent dans la fabrication des airbags et des ceintures de sécurité. D’autres usines s’occupent ensuite de l’assemblage, ce qui fait que les ouvriers ne sont jamais en contact avec le produit fini. Parfois, ils ne savent même pas à quoi servent les pièces qu’ils fabriquent.

    Hélène – c’est un pseudo – a 42 ans. Ça faisait douze ans qu’elle était dans l’usine. « Régleuse sur une machine multibroches », elle fabrique des pièces qui servent à la « mise en explosion » des airbags – « ça sert pour le détonateur », dit-elle hésitante.

    Avant, elle bossait dans la restauration. Elle a changé pour avoir des horaires plus stables : les 3x8. « Je fais mes huit heures et j’ai fini, c’est ça qui me plaît. » La semaine où elle était de nuit était quand même difficile. Elle n’a pas d’enfants, elle gagnait 1 550 euros net par mois.

    Fin février 2013, la direction a annoncé un plan social de 26 personnes. Hélène s’est tout de suite « mise » dans le plan social. Pour elle, cette destruction de postes était une « aubaine », l’ambiance au sein de l’usine étant devenue insupportable.

    Ces dix dernières années, la production a été en grande partie délocalisée dans les pays de l’Est (et bientôt au Mexique). « Un jour, on a vu les machines commencer à partir », dit-elle, et on imagine les machines en train de faire leurs valises. Les ouvriers pensent que l’usine sera complètement morte d’ici cinq ans, seuls quelques postes administratifs ou de recherche pourraient subsister.

    En 2004, ils étaient 400 ouvriers, aujourd’hui ils ne sont plus que 102. C’est la quatrième vague de licenciements dans l’entreprise.

    Grâce à la cellule de reclassement, Hélène va toucher 80% de son salaire brut pendant un an. Elle n’a pas encore commencé à chercher du travail, mais elle compte retrouver un boulot dans l’industrie :

    « Je prendrai ce qu’il y a, mais avec le même genre d’horaires. » N.L.B.

    6-Achille, cariste : « On a transpiré pour cette entreprise »

    Plus une bouteille ne sort depuis le début de l’année 2013 de chez Tresch, à Illzach. Le négociant en vins spécialisé dans les bouteilles en verre consigné était connu en Alsace depuis les années 70 pour son Chevrotin – un concurrent régional du Vieux-Papes –, mais aussi pour ses limonades, comme la Mixmi ou la Tigrette.

    Achille y travaillait depuis vingt-deux ans. Quand il est arrivé chez Tresch, l’entreprise comptait 180 salariés et était en pleine expansion, se développant à l’export. Lui a participé à la mise en place de nouvelles normes, il « suivait » « le produit » et ne se sentait « pas simplement cariste ». Ça lui plaisait bien.

    En 2007, le service export a été délocalisé en Bourgogne. Achille a dû changer de poste et le travail est devenu plus « bourrin ». Au printemps 2012, au tour de la mise en bouteilles de vins de migrer vers la Bourgogne. En mai 2013, l’usine entière sera fermée. Achille ne comprend toujours pas pourquoi.

    « On a transpiré dans cette boîte pour garder les clients. Nos salaires ont même été bloqués. »

    Le cariste de 46 ans est en colère, mais pas désespéré. Depuis dix ans, il travaille l’après-midi chez un loueur de voitures.

    Mais pour ses anciens collègues, ça sera plus compliqué :

    « Les formations qu’ils demandent – chauffeur de poids lourds, de conducteurs d’engins sur des chantiers, voire de travailleur à la morgue – sont refusées, parce qu’elles ne relèvent pas de “secteurs porteurs”. »

    Le secteur « Fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac » a perdu 4 800 emplois en 2012 (près d’1% de ses effectifs). E.F.

    7-Romuald, chef de travaux dans le BTP : « Dernier arrivé, premier à partir »

    Romuald Valette, 25 ans, a un parcours sans anicroche. Bac ES, BTS bâtiment puis licence conducteur de travaux spécialisé dans les maisons individuelles. En alternance un mois sur deux, il a signé un contrat avec l’entreprise Maine Construction, une société du Mans en pleine forme depuis trente ans.

    Une fois diplômé, il est devenu officiellement conducteur de travaux dans l’entreprise : 1 700 euros net par mois.

    Un an et sept mois plus tard, son patron l’a convoqué. L’entreprise n’allait plus bien. « J’étais le dernier arrivé, donc le premier à partir. »

    Maine Construction comptait alors 18 salariés dont 7 conducteurs de travaux. Romuald a été le seul à partir ce jour-là, mais la boîte va devoir se séparer d’un autre employé dans quelques mois.

    « Il n’y a pas de boulot. Je suis retourné les voir, puisqu’on s’est quittés en bons termes, pour essayer de faire marcher le bouche à oreille. Mais il n’y a aucune perspective d’amélioration pour 2013, surtout avec les nouvelles normes énergétiques instaurées par le gouvernement en janvier. »

    La reconversion ? Difficile, sa formation étant très « restrictive ».

    La construction a perdu 13 000 postes – 1% de ses effectifs – sur l’ensemble de l’année 2012. Philippe Vion-Dury

    8-Aïcha : « Visiteur médical, c’est devenu un sale métier »


    Aïcha Kerdagh, 52 ans, licenciée d’un laboratoire pharmaceutique. (DR)

    A 52 ans, Aïcha Kerdagh est au chômage depuis le 23 février. Son poste faisait partie des 500 disparus dans son entreprise pharmaceutique, l’un des plus gros acteurs dans la prestation de visite médicale.

    En décembre, la societé CI-Innovation à Levallois a été liquidée et ses salariés licenciés.

    Le secteur des « délégués médicaux », comme on les appelle officiellement, va mal.

    Selon un récent rapport d’Eurostaff sur l’avenir du métier, d’ici 2017, en France, il ne restera que 12 500 visiteurs médicaux. C’est la moitié des effectifs de 2004. Ils sont déjà moins de 16 000.

    Les directions des entreprises concernées se justifient en invoquant le développement des médicaments génériques, la pression de plus en plus grande sur les prix, le déremboursement de certains médicaments.

    Aïcha, qui était en CDI et déléguée à la CGT, pense aussi que visiteur médical, c’est devenu un sale métier, mal vu de tous, des médecins, des patients et des politiques. En 2011, l’Igas, Inspection générale des affaires sociales, prônait carrément sa suppression. La visiteuse médicale commente :

    « Après l’affaire Servier, certains médecins nous fermaient la porte au nez. Ils disaient qu’il ne pouvaient plus nous faire confiance. »

    Elle se souvient aussi de la responsabilité qu’on leur a fait porter pour le trou de la Sécu :

    « De toute manière, même quand un directeur insiste pour que vous appuyiez beaucoup un médicament, sur le terrain, vous êtes seul. »

    Pour Aïcha, visiteur médical, c’était le métier parfait. Il y a dix ans, elle a choisi de quitter une place assise dans les bureaux de la Chambre de commerce et de l’industrie de Paris. Elle peinait à maîtriser son emploi du temps, avec ses deux enfants. Avec ce nouveau travail, c’était plus simple :

    « On organise nous-mêmes notre emploi du temps. 80% des visiteurs sont des femmes, et plus de la moitié sont des mères célibataires. »

    Tous les quatre mois, elle était formée pour pouvoir parler de nouveaux médicaments et des pathologies qu’ils devaient traiter. Elle voyait en moyenne six médecins par jour.

    Elle a encore ses enfants de 14 et 16 ans à sa charge. Il lui reste au minimum encore à travailler dix ans avant sa retraite. Renée Greusard

    9-Christophe, vendeur de jeux vidéos : « j’espère que la FNAC va survivre encore un peu »

    Christophe a perdu son emploi de vendeur chez Game, une enseigne qui vendait des jeux vidéo. Les « gamers » préfèrent désormais s’approvisionner sur Internet et à l’étranger, surtout en Belgique

    Le tribunal de Bobigny a rendu son jugement vendredi 1er février, et comme prévu, la majorité des boutiques Game a fermé.

    Christophe et ses collègues n’avaient pas été prévenus officiellement des difficultés de leur entreprise. Comme leurs clients, c’est par Internet qu’ils ont appris la mauvaise nouvelle. Game soldait à tout va avant fermeture. Les médias spécialisés ont décrit un « pillage » des magasins, et des vendeurs au bord de la crise de nerfs.

    Dans la boutique de Christophe, l’ambiance était tout autre :

    « On travaillait dans un magasin complètement vide. C’était triste. Des clients sont venus à la boutique pour nous dire au revoir ! »

    Après des mois de galère à chercher, en vain, un emploi dans son domaine – le graphisme –, il avait finalement décroché un boulot de vendeur en novembre 2012 :

    « C’était une petite boutique, mais je m’y plaisais bien. Mes collègues étaient sympas. Et j’aimais bien discuter avec les clients et leur parler des jeux auxquels j’ai pu jouer. Moi-même, je joue beaucoup... »

    Il espère retrouver du travail dans la vente de produits culturels :

    « Mais Virgin a fermé, donc j’espère que la Fnac va survivre encore un peu ! »

    Le commerce de détail a perdu 6200 emplois – 0,4% de ses effectifs – cette année. Lucie Ronfaut

    10-Eric, opérateur en pétrochimie : « On est très spécialisés »


    Eric Haennel, 46 ans, durant ses années Pétroplus. (DR)

     

    La raffinerie Petroplus de Reichstett (Bas-Rhin), inaugurée par Georges Pompidou en 1964, a fermé ses portes fin 2012, laissant plus de 200 salariés sans emploi. Dont Eric Haennel, qui a découvert le chômage à 46 ans.

    Il a été embauché à la raffinerie après son bac et son service militaire. Il faisait les 3x8 : une matinée, puis une nuit, puis un après-midi. Dans ces conditions atypiques, « les collègues deviennent une sorte de seconde famille ».

    Eric était à la fois opérateur extérieur et opérateur tableau. Pour 3 000 euros brut par mois, il était chargé de s’assurer du bon fonctionnement de plusieurs secteurs de la raffinerie.

    Initialement électro-technicien, Eric a évolué au sein de l’entreprise. « Nous avons eu des formations assez lourdes, et nous sommes maintenant très spécialisés ». Mais Eric n’est pas du tout certain de pouvoir faire profiter une nouvelle entreprise de ces compétences cumulées dans la pétrochimie :

    « Pour retrouver un travail, il faut se déplacer, ce que je ne peux pas faire. Et puis il n’y a plus beaucoup de raffineries en France. »

    Le secteur « cokéfaction et raffinage » a perdu 400 emplois en 2012, soit 3,4% de ses effectifs, l’une des plus fortes pertes – en proportion – de l’année. Rodolphe Baron


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  •   « Bidoche », les ravages de l’industrialisation de la viande

    Sophie Caillat | Journaliste  Rue 89
     

    Une enquête façon thriller de Fabrice Nicolino sur les conséquences écologiques de la consommation mondialisée de viande

     

    Jaquette de « Bidoche » de Fabrice Nicolino (DR).

    Quand vous aurez lu  « Bidoche » , vous ne mangerez plus de viande comme avant. Malgré le sous-titre « L’industrie de la viande menace le monde » et la dédicace « à tous les animaux morts sans avoir vécu », il ne faut pas voir en Fabrice Nicolino , journaliste spécialisé depuis plus de vingt ans dans les questions d’écologie, un végétarien, un « terroriste » du bien-être animal... Cet homme-là prétend savoir « ce que manger veut dire » et garde la nostalgie du roast-beef du dimanche midi de son enfance.

    Simplement, sa longue enquête, faite de compilation d’études notamment américaines, d’enquêtes sur le terrain, notamment en Amérique latine, et de rencontres avec des acteurs de terrain, lobbyistes patentés et éleveurs, lui a ouvert les yeux :

    « Derrière une côte de bœuf, j’ai fini par voir un bœuf »

    Son livre, rédigé parfois à la façon d’un thriller, rentre dans les histoires des grandes firmes qui mondialisent le marché, des généticiens qui sélectionnent les espèces, et décrypte nos propres délires, comme cette émission télévisée intitulée « Sauver le bœuf » datée de 1970 archivée sur le site de l’Ina. aaaOn ignore trop que l’industrialisation de la chaine alimentaire, au nom de l’eugénisme , fait disparaître des races entières d’animaux, mais surtout détruit les forêts. Ainsi pour le soja. L’auteur nous livre cette donnée saisissante : pour satisfaire la consommation en viande de chaque Français, il faut 659 mètres carrés de soja, généralement en Amérique latine. 

     

    Son livre est truffé de chiffres tous aussi effrayants que réels :

    • 99,5% de la viande consommée en France provient de systèmes industriels
    • Un Français mange en moyenne 92 kilos de viande par an
    • Plus d’un milliard d’animaux domestiques sont tués en France chaque année
    • Des élevages américains peuvent compter 150 000 volailles, des porcheries de 5 000 à 10 000 têtes
    • 18% des gaz à effet de serre d’origine anthropique dans le monde sont dus à l’élevage

    Face à cette destruction déjà avancée de la planète, que faire si ce n’est arrêter de consommer des poulets hors sol et du porc breton tout en se berçant de l’illusion que nous sommes un pays qui aime ses paysans, une fois par an lors de la grand messe du salon de la porte de Versailles  ? Voici ce que l’auteur suggère :

    Ainsi, nous n’aurions donc rien appris de la maladie de la vache folle , du veau aux hormones, et de tous les scandales comme les algues vertes dues à l’épandage de lisier en Bretagne... Apparemment non !

    Fabrice Nicolino défend l’idée que la pandémie de grippe A, appelée « porcine »  jusqu’à ce que les éleveurs ne crient au loup, est une résultante directe de ce système industriel. (Voir la vidéo)

    Allez, quelques petites vidéos sélectionnées par l’Ina pour la route : (sur le site de Rue 89 Planète)

    Un reportage sur les abattoirs de Nancy  (1981)
     « L’opération beefsteek »  contre la vie chère (1952)
    Reportage sur l’agriculture intensive  sur France 2 (1992)

    Bidoche, l’industrie de la viande menace le monde - Fabrice Nicolino - éd. Les Liens qui Libèrent - 19,95€ - 385p.


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  •   Anayse: Petites avancées sur la réforme agraire dans l’est de la RDC

    Posted in: DRC
       
     

    IRIN | 30.01.2013  (publié sur farmlandgrab.org)

    KINSATI, 30 janvier 2013 (IRIN) - Dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC), Shukuru Rudahunga enlève les mauvaises herbes qui envahissent le lopin de terre sur lequel elle fait pousser du sorgho tout en gardant un œil sur le coteau abrupte qui le surplombe ; elle sait qu’elle prend de grands risques.

    Plusieurs personnes sont mortes dans des glissements de terrain dans les environs de Kinsati, à 40 km de la ville de Goma.

    « S’il a plu et que je vois la terre se mettre en mouvement, j’arrête de travailler et je m’éloigne du coteau », a-t-elle dit à IRIN.

    L’érosion emporte les semences et les plantes, et dégrade la fertilité du sol. Pour se protéger contre les pertes de sols, les villageois savent qu’ils devraient laisser en jachère les coteaux les plus abruptes après quelques saisons de culture.

    Mais « on ne le fait pas, car il n’y a pas suffisamment de terres », a dit Mme Shukuru.

    La surexploitation s’est également traduite par une baisse des rendements. Le professeur Gabriel Hanyurwa se souvient que, dans les années 1980, les fermiers produisaient 20 sacs de haricot par hectare de terre contre seulement 6 à 8 sacs aujourd’hui.

    La pénurie de terres résulte en partie de la croissance démographique et en partie de l’agrandissement des exploitations d’élevage bovin.

    « Depuis que les grands éleveurs ont amené leur bétail ici, nous n’avons plus assez de champs », a dit M. Hanyurwa.

    « Les éleveurs préfèrent installer leurs troupeaux sur les terres que nous voulons cultiver », a dit Therese Tusali, une autre habitante du village.

    Dans un rapport de 2010 intitulé « Terre, Pouvoir et Identité : Les causes profondes des violents conflits dans l’est de la République démocratique du Congo », Chris Huggins a noté que les dernières décennies ont été marquées par une « aliénation massive des terres possédées sous le droit coutumier » favorable aux éleveurs dans les provinces du Kivu.

    Les habitants de Kinsati et d’autres régions n’ont pas eu voix au chapitre.

    Facteurs exacerbant le conflit

    Les différends liés à la terre sont le moteur principal du conflit dans l’est de la RDC, et ils entravent le développement de tout le pays. Selon certains chercheurs, le conflit agraire, qui est enraciné dans les problèmes de droits fonciers et de citoyenneté, est la principale cause des guerres dans la région du Kivu.

    La densité de la population, la colonisation et les arrivées massives de migrants rwandais ont fait de l’accès à terre une question fondamentale dans le Nord-Kivu et dans le Sud-Kivu. À ces facteurs s’ajoutent un pouvoir judiciaire corrompu et un droit foncier imparfait.

    Dans le livre « From Genocide to Continental War » publié en 2007, Gérard Prunier qualifie l’ampleur de la « course à la terre » sous la présidence de Mobutu Sese Seko d’« incroyable », citant en exemple la tentative d’un homme d’affaires de prendre le contrôle de 230 000 hectares en 1980, alors que la superficie moyenne des parcelles n’excédait pas un hectare.

    L’accaparement de terres, et notamment de terres appartenant aux communautés déplacées, s’est poursuivi au cours des guerres de ces deux dernières décennies, et la perspective de la création d’une commission foncière chargée d’enquêter sur ces transferts est un « facteur qui a alimenté le conflit », a souligné M. Huggins.

    Initiatives de médiation

    Dans le cadre de leurs opérations de réinstallation des communautés déplacées, les agences d’aide humanitaire sont intervenues dans le règlement des conflits fonciers. Le Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU Habitat) gère le plus important de ces programmes. En 2012, ses trois centres de médiation implantés dans la région ont identifié 1 690 conflits fonciers et résolu 641 de ces conflits.

    La conférence organisée en Belgique en septembre 2012 a passé en revue les interventions des bailleurs de fonds dans les conflits fonciers dans l’est de la RDC ; la plupart des fonds ont été consacrés aux programmes de médiation. Koen Vlassenroot, l’organisateur de la conférence, indique qu’il a été convenu que la « médiation n’a, semble-t-il, qu’un impact sur les conflits entre les agriculteurs ; dès que les acteurs de premier plan, comme les grands propriétaires fonciers ou les commandants de l’armée, sont impliqués, cela devient très, très difficile ».

    Les participants à la conférence s’inquiétaient également du fait que les programmes de médiation souffraient « d’un grave manque de cohérence et de coordination », et de viabilité.

    M. Vlassenroot a noté que deux autres initiatives peuvent permettre de résoudre les conflits fonciers : la participation à l’enregistrement des revendications foncières – qui a eu des « résultats limités » et engendre « toutes sortes de problèmes » - et la participation aux efforts entrepris par les organisations d’agriculteurs au niveau local pour engager un processus de réforme foncière.

    Un rapport d’International Alert  met en lumière les initiatives mises en place au niveau local par le Forum des amis de la Terre (FAT) et la Fédération des organisations de production agricole du Congo (FOPAC), dont le succès dans les activités de plaidoyer menées pour l’intégration des préoccupations clés des agriculteurs dans le nouveau code agricole offre « une démarche particulièrement intéressante en matière de consolidation de la paix ». Ces interventions ont été peu soutenues par les bailleurs de fonds.

    Le plaidoyer du FAT et de la FOPAC a permis l’inclusion dans le code agricole de dispositions prévoyant la médiation des conflits fonciers, l’identification et la réattribution des parcelles non utilisées et une meilleure représentation des « paysans » ou travailleurs agricoles dans le processus de décision local. Le gouvernement n’a toutefois pas encore approuvé les mesures de mise en œuvre pour la nouvelle loi.

    Les paysans s’attaquent au droit foncier

    Ces organisations recommandent une réforme du droit foncier, qui n’offre pas de définition des droits fonciers coutumiers. En 1975, les chefs ont perdu leur pouvoir d’attribution des terres, mais bon nombre d’entre eux continuent de l’exercer.

    Le FAT et la FOPAC ont tenu des consultations auprès des organisations d’agriculteurs de plusieurs provinces et ont organisé un forum à Goma, dans la province du Nord-Kivu, en octobre 2012. À l’occasion de ce forum, plusieurs recommandations ont été formulées dans le but d’améliorer le droit foncier : elles proposaient notamment de retirer l’immunité qui mettaient les responsables du bureau d’enregistrement des biens fonciers commettant des « erreurs » à l’abri de poursuites judiciaires, de publier les détails relatifs aux transferts de terre injustes et de révéler la propriété des concessions foncières non utilisées.

    Cependant, aucune de ces recommandations, qui sont sensibles sur le plan politique, ne figurait dans le bulletin de la FOPAC. Selon ce bulletin, les participants ont demandé aux chefs coutumiers de respecter les attributions de terres réalisées par leurs prédécesseurs ; ils ont réclamé une diminution des impôts sur les actes-titres et une reconnaissance de la légalité des documents de location établis par les chefs. Aucune de ces recommandations n’a pour l’instant été soumise à un vote.

    Simplexe Malembe, coordonnateur du FAT, a dit à IRIN que si le gouvernement décidait de reconnaitre la légalité des attributions de terres réalisées par les chefs, il lui faudrait s’assurer que chaque chef soit accompagné par un représentant du comité consultatif de la communauté. « Ce principe est déjà inscrit dans la constitution », a-t-il dit, « et nous essayons de le faire appliquer dans le cadre du droit rural. Mais le gouvernement et le bureau d’enregistrement des actes n’y sont pas favorables, car cela leur fait perdre une bonne partie de leurs revenus ».

    Les participants au forum se sont accordés sur le fait que les associations d’agriculteurs doivent renforcer leur représentation au niveau local et améliorer leur communication auprès des petits exploitants.

    Le rapport d’International Alert recommande un « dialogue partant de la base » afin de trouver des solutions locales et de promouvoir la construction de la paix. M. Malembe partage cet avis : « Au sein du mouvement paysan, le dialogue doit partir de la base pour remonter jusqu’au sommet, mais aussi partir du sommet pour descendre jusqu’à la base ».

    Jean-Baptiste Musabyimana, chargé de la communication au sein de la FOPAC, a dit à IRIN qu’il souhaiterait inclure davantage de tribunes téléphoniques dans ses émissions - un format « partant de la base » popularisé par la Radio Okapi des Nations Unies en RDC – afin que les populations rurales puissent donner leur avis sur les problèmes rencontrés au sein de leurs communautés ; aujourd’hui, la seule émission radiophonique de la FOPAC qui inclut une tribune téléphonique porte sur les prix agricoles.

    L’action du gouvernement

    La bonne nouvelle, selon M. Vlassenroot, est que le gouvernement semble être prêt à résoudre les problèmes fonciers dans tout le pays. Lors d’un atelier organisé à Kinshasa en juillet, le gouvernement et ONU Habitat ont élaboré une « feuille de route » afin de réformer le droit foncier et la gouvernance des terres.

    Le mois dernier, le directeur-adjoint du cabinet du ministère des Affaires foncières, Albert Paka, a répondu aux questions des journalistes d’IRIN sur le processus de réforme. Il reconnait que le gouvernement doit accélérer les réformes en appliquant la première mesure de la feuille de route : nommer un comité directeur chargé de coordonner les travaux relatifs au processus.

    Mais déterminer qui est le propriétaire légitime de terres et qui est autorisé à posséder des terres constituera un obstacle majeur. Le nouveau code agricole limite, par exemple, la part des investissements étrangers dans les terres agricoles en RDC à 49 pour cent ; M. Paka a confirmé que le gouvernement prévoyait de réviser cette clause. La révision de cette clause constituera probablement une condition préalable à de nouveaux investissements étrangers dans le secteur agricole en RDC.

    M. Paka a laissé entendre que la RDC pourrait suivre l’exemple d’autres pays et racheter les terres coutumières, suggérant que ces terres pourraient ensuite être vendues à des investisseurs étrangers. De nouvelles études devront être effectuées avant de prendre une telle décision, a-t-il indiqué.

    Il sera également important de s’entretenir avec les chefs et de comprendre les coutumes locales, a-t-il dit à IRIN. « Dans certaines régions du pays, les terres appartiennent aux chefs, tandis que dans d’autres régions du pays, les terres appartiennent à la communauté, et les chefs sont de simples arbitres des droits fonciers ».

    Les recherches de M. Huggins suggèrent que les revendications foncières des chefs sont plus fortes dans les zones densément peuplées, où la pénurie de terres est un problème sérieux. Dans ces régions, l’achat de terres par le gouvernement et leur vente à des investisseurs étrangers pourraient engendrer une grave polémique.

    « La reconnaissance des chefs coutumiers sera la pierre angulaire de la gouvernance des terres », a souligné M. Paka.

    Interrogé sur l’éventualité de la mise en place de garde-fous contre les décisions injustes prises par des chefs traditionnels, M. Paka a indiqué que si les chefs devaient être reconnus comme les détenteurs des terres, ils feraient partie de l’administration et ils recevraient l’aide d’experts techniques, dont les capacités doivent être renforcées. Il a refusé de spéculer sur la façon dont l’administration des terres évoluerait si le gouvernement se démocratisait au niveau de la chefferie.

    M. Paka a indiqué que le gouvernement devra intervenir pour aider la RDC à réaliser son potentiel agricole. La pénurie de terres reste inquiétante, mais une étude récente a montré que 73 pour cent des terres agricoles autour de Kinshasa sont inutilisées, a-t-il dit.

    La Confédération nationale des producteurs agricoles du Congo a dit à IRIN que la plupart des terres autour de Kinshasa sont inutilisés, car elles ont été achetées par des spéculateurs en vue de la réalisation d’investissements dans les biocombustibles.

     

       

     

    Source: IRIN

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  • En Australie, art aborigène et arnaques sans gêne

    Les œuvres des peintres, sculpteurs et tisseurs indigènes ont mis des millénaires à sortir du désert, avant de s’imposer sur les marchés internationaux. Mais le boom semble oublier les artistes.

    De la drogue, de l’alcool ou de vieilles voitures plutôt qu’un salaire. Des peintres payés 4 euros pour un tableau vendu 150 à 225 euros. Ces abus sont signés de ceux que l’on appelle, en Australie, les « marchands de tapis », des revendeurs qui profitent de la précarité d’Aborigènes isolés. Bienvenue dans les coulisses de l’art indigène. Celui-ci a mis des millénaires à sortir du désert australien, mais, en seulement quarante ans, il a conquis les marchés internationaux. A tel point que le musée du quai Branly, à Paris, lui a récemment consacré une première grande exposition européenne.

    Boomerang chinois

    A Alice Springs, dans le centre du pays, « des artistes travaillent dans des arrière-cours de concessionnaires de voitures pour faire de la production en série, témoigne Solenne Ducos-Lamotte, directrice d’Idaia, une structure qui promeut l’art indigène australien. Les employeurs estiment qu’ils ne font rien de mal, car les Aborigènes acceptent de travailler, ils ont besoin de cash. Mais ils ne sont pas rémunérés justement ».

    Et les grands noms ne sont pas à l’abri. « Certains artistes célèbres ne parlent pas bien anglais et ne comprennent pas les contrats qu’ils signent », renchérit John Oster, directeur du Code de l’art indigène. Ce manuel de bonne conduite a été mis en place sur ordre du gouvernement il y a deux ans. Mais il n’a pas force de loi et n’a été signé que par 30 % des professionnels du secteur. Kate Owen, galeriste à Sydney est signataire, « parce que les personnes qui abusent des Aborigènes en vendant de faux tableaux ou en sous-estimant la valeur de leur travail font mal à la fois aux artistes et à l’industrie ». Suzanne O’Connell, qui tient une galerie depuis douze ans à Brisbane, estime, elle, que « c’est beaucoup de bureaucratie pour pas grand-chose ». D’autant qu’elle a déjà signé un autre code, celui de l’Association australienne des galeries. Tous les professionnels pointent cependant le manque de sanctions sérieuses en cas de dérapage.

    Quant au touriste qui pense soutenir les artistes locaux en achetant un boomerang ou un T-shirt à l’aéroport, il se leurre. « Ils sont bien souvent fabriqués en Chine ! », dénonce Robyn Ayres, du Centre australien des droits artistiques. Les produits dérivés échappent aux artistes, explique-t-elle, car « le secteur est encore grand ouvert à l’exploitation et l’appropriation des œuvres d’art ». Elle compte sur le projet de traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle pour protéger les « savoirs et les expressions culturelles traditionnelles ».

    Pas facile, le choix éthique

    Comment acheter un vrai tableau ou un vrai tissage, alors ? Mieux vaut s’adresser directement aux centres d’art, répondent en chœur les acteurs sérieux. Mais là encore, attention aux noms abusifs. Il faut demander s’il s’agit bien d’une coopérative tenue par les artistes. Chaque œuvre vendue par ces centres doit comporter un numéro unique, correspondant à un certificat d’authenticité. Les prétendues photos de l’artiste au travail ne prouvent rien.

    Au Centre d’art de Waringarri, dans la région du Kimberley, dans le nord du pays, la transparence est le maître-mot. « Quand un nouvel artiste nous rejoint, on prend le temps de s’assurer qu’il comprend bien les règles, et on peut fournir un compte rendu détaillé des ventes à la fin du mois », explique la directrice, Cathy Cummins. Pour chaque œuvre vendue, c’est 60 % pour l’artiste, 40 % pour le centre. De quoi faire tourner la coopérative et assurer la transmission des savoirs aux jeunes. Le commerce équitable gagnera-t-il l’art aborigène ? —


    Quarante ans pour sortir du désert

     Depuis des millénaires, les histoires ancestrales des indigènes australiens étaient représentées sur le sol ou sur le corps humain, lors de cérémonies. Mais, en 1971, l’instituteur Geoffrey Bardon fait découvrir la peinture aux enfants de Papunya, dans le centre du pays. Elle remplacera très vite les matières naturelles. Puis les artistes découvrent la toile : les peintures sont alors transportables, donc vendables. Musées et collectionneurs accourent, les prix flambent. En 2007, une œuvre de Clifford Possum Tjapaltjarri est vendue 1 800 000 euros. Inimaginable quelques années plus tôt. —

    Sources de cet article

    - Le site de la Galerie nationale d’Australie

    - Le site du musée du quai Branly

     - Le site d’Idaia

      La rédactrice Élodie RaitièrE pour Terraéco (31/01/2013)

     


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    L'homme qui répare les femmes (Colette BRAECKMAN)

    2012   160 p.  14,90 €

     

    Depuis quinze ans, Denis Mukwege, médecin chef à l'hôpital de Panzi (Sud Kivu), soigne gratuitement des femmes victimes de violences sexuelles. Au cours des dix dernières années, il a ainsi prodigué des soins à plus de 30 000 femmes ! Vagins détruits et âmes mortes. Le gynécologue recoud et répare. Il écoute aussi, prie quand il le peut, se révolte souvent. Pour son combat, il a reçu de nombreux prix, dont celui des droits de l'homme des Nations Unies en 2008, ainsi que le prix international Roi Baudouin, en 2011. Portrait d'un homme courageux.

    Denis Mukwege, l'homme qui risque sa vie pour réparer le vagin des femmes

    La journaliste et écrivain Colette Braeckman décrit le combat courageux du professeur Denis Mukwege en République démocratique du Congo.

    Le professeur Denis Mukwege a récemment été victime d’une tentative d’assassinat en République démocratique du Congo (RDC). Il se bat pour redonner espoir aux femmes violées dans l’Est du Congo. La journaliste et écrivain Colette Braeckman explique pourquoi son combat est vital.

    Pourquoi avoir consacré un ouvrage à Denis Mukwege?

    Colette Braeckman: Je connais le Dr Mukwege depuis ses débuts à Bukavu, et je l'ai vu évoluer. Au début, il était simple gynécologue, qui traitait surtout les cas de grossesses précoces, très fréquents au Kivu. Depuis une quinzaine d'années, il est confronté à des horreurs croissantes, femmes mutilées, violentées de la pire manière.

    Témoin de la première heure des guerres qui ont ravagé l'Est du Congo, ce citoyen et pasteur a aussi été amené à se poser des questions politiques: pourquoi ce déferlement d'horreurs, n'y aurait-il pas une volonté d'anéantissemennt de la résistance des populations, pourquoi une telle impuissance internationale?

    Lorsqu'il a été lauréat du Prix Roi Baudouin pour le développement en 2011 et est venu en Belgique, j'ai eu l'idée de mener avec lui un livre d'entretiens afin d'enregistrer son témoignage, de faire de lui le fil conducteur de l'histoire troublée de cette région. Dans ce but, j'ai mené avec lui une série d'entretiens à Bukavu [dans l'Est de la RDC, ndlr], j'ai passé du temps dans son hôpital et me suis entretenue avec son équipe.

    Au moment de la sortie du livre, le Dr Mukwege se trouvait en Belgique et, à l'occasion d'une conférence publique, il a à nouveau posé des questions très dérangeantes, pour les autorités congolaises, pour les pays voisins et surtout le Rwanda, pour la "communauté internationale" et en particulier les Nations Unies.

    A son retour, le 25 octobre 2012, cinq hommes armés l'attendaient chez lui, ils ont abattu sa sentinelle et l'ont laissé pour mort, couché au sol.

    C'est un miracle s'il a échappé à cinq ou six tirs qui le visaient.

    Comment expliquer qu'on ait récemment tenté de l'assassiner?

    Pourquoi cette agression? Parce que le Dr Mukwege dérange, à tous niveaux, parce qu'il est l'un des Congolais le plus connus, parce qu'il a parlé à l'Assemblée générale des Nations Unies et donné une "mauvaise image", hélas bien réelle, de la situation humanitaire au Kivu, et en particulier celle des femmes... Ses agresseurs n'ont pas été identifiés et il ne semble même pas qu'il y ait eu une enquête sérieuse. C'est dire.

    Le Dr Mukwege est certainement un témoin gênant. Au cas où il aurait archivé les témoignages de toutes les femmes violées, mutilées qui se sont présentées à lui, il aurait là un volumineux dossier dans lequel la justice internationale pourrait certainement puiser des indications et des témoignages. Rien que pour cela, tous les chefs de guerre de la région auraient intérêt à le voir disparaître ou se taire ou partir en exil...

    Le viol est-il utilisé comme arme de guerre en toute connaissance de cause?

    Viol, arme de guerre? Cela me paraît une évidence, car dans les cas que l'on voit au Kivu, la recherche du plaisir, la jouissance n'ont pas leur place. Il s'agit d'actes de terreur, visant à provoquer la fuite, la déchéance, le désespoir de populations civiles dont on veut prendre les terres ou les richesses. Il est impossible de dire et encore plus de démontrer qu'il y aurait un "chef d'orchestre"—personnellement je ne le crois pas— mais je me demande si la politique de terreur, de mort lente (par l'inoculation du sida) ne sert pas à long terme, la poussée vers l'Ouest de pays voisins plus peuplés et qui manquent de terre. Il s'agit là d'un "mouvement long" de l'histoire...

    Vous insistez beaucoup sur les puissants liens qui existent entre le Rwanda et la RDC. Comment comprendre que l'antagonisme demeure aussi fort?

    Les liens entre le Rwanda et le M23, et plus largement les mouvements rebelles composés de Tutsis congolais et d'autres groupes ethniques sont complexes: même si Kigali affirme souhaiter la bonne gouvernance, le rétablissement de l'Etat de droit au Congo, les liens de bon voisinage avec une autorité légitime, cette situation normalisée ne peut que nuire à de nombreux réseaux commerciaux qui opèrent de manière mafieuse ou à la marge de la légalité.

    Réseaux qui exploitent les ressources minières du Nord et du Sud Kivu et qui, pratiquement tous, transitent par le Rwanda, ce qui fait tourner les usines dans ce pays et gonfle la balance des paiements.

    Ces réseaux, dans lesquels se retrouvent des Tutsis congolais, mais aussi d'autres groupes ethniques, ont des ramifications au Rwanda, très proches du pouvoir. Couper ces chaînes mafieuses ou illégales, c'est priver de revenus des gens puissants, qui jouissent aussi de complicités à Kinshasa.

    Autrement dit, il est évident qu'en dépit des affirmations officielles, l'intérêt du Rwanda est de maintenir l'Est du Congo dans un état de semi-désordre.

    Ce qui permet de préserver dans l'armée des chaînes de commandement parallèles, des complicités dans l'administration et la douane et, à terme, de démontrer la faiblesse du pouvoir de Kinshasa.

    Cette démonstration amène à plaider pour un fédéralisme qui permettrait, au Nord et au Sud Kivu une sorte de "souveraineté partagée" avec mise en commun des ressources, en attendant mieux... Certains "rwandophones" de l'Est partagent ces visées économiques et politiques ou sont instrumentalisés, mais nombreux sont ceux qui refusent cette mainmise rwandaise: des Tutsis du Nord-Kivu sont restés fidèles à Kinshasa, et au Sud-Kivu, des Tutsis Banyamulenge ont refusé de soutenir le M23 arguant qu'ils en avaient assez d'être instrumentalisés par leurs lointains cousins rwandais.

    Ces réticences ont d'ailleurs poussé le M23 à rechercher des alliances au sein d'autres groupes ethniques, les rebelles ayant essayé de les dresser contre les autorités de Kinshasa.

    Selon trois rapports d'experts publiés par les Nations Unies appuyés par d'innombrables témoignages, le soutien du Rwanda au M23 est une évidence.

    A chaque fois que les forces gouvernementales venaient à bout des rebelles, des renforts leur étaient envoyés depuis la frontière rwandaise.

    Les autorités rwandaises auraient-elles les moyens de faire cesser les exactions commises par leurs alliés?

    Se demander si Kigali pourrait influencer les rebelles et contribuer à une solution est, à mon sens, une question mal posée: les officiers du M23, des "mutins" qui se sont soulevés au sein de l'armée congolaise car ils ne voulaient pas être affectés dans d'autres régions et refusaient que leur chef Bosco Ntaganda soit déféré à la CPI (Cour pénale internationale), sont, pour une large part, les instruments de la politique rwandaise dans la région.

    Souhaiteraient-ils mener une politique autonome, distincte de celle de Kigali, qu'ils n'en auraient pas les moyens: sans soutien extérieur, leur autonomie ne serait que de quelques jours... Ceci je tiens à le souligner, c'est mon opinion personnelle, et non celle du Dr Mukwege, qui se contente de constater les ravages sur le plan humain. Il relève que cette politique de violence extrême a été importée au Kivu par les miliciens rwandais Interhahamwe qui, lors du génocide au Rwanda en 1994 avaient déjà utilisé le viol comme arme de guerre et exporté cette pratique de terreur au Kivu. Depuis lors, cela s'est répandu comme une épidémie et d'autres groupes armés congolais (Mai Mai, Raia Mutomboki) recourent aux mêmes pratiques.

    Le Docteur Mukwege a-t-il l'intention de revenir au Congo? Pourra-t-il poursuivre son combat, son travail, dans son pays?

    C'est difficile à dire. Il est médecin chef de l'hôpital Panzi, ses malades, son staff l'attendent, lui-même n'a pas d'autre "plan de carrière" que de poursuivre son travail, mettre en pratique sa vocation. Mais en même temps, sa sécurité est en danger, les autorités congolaises ne lui promettent aucune protection particulière, il ne peut guère compter sur la Monusco (Mission des nations unies au Congo) qui ne s'est pas portée à son secours. Les femmes de Bukavu assurent qu'elles protègeront "leur" docteur. Face à des tueurs déterminés, serait-ce jamais suffisant?

    Cet article a initialement été publié sur Slateafrique.com.

    Photo: République démocratique du Congo, juin 2012. Crédit: DFI


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