• Pilule et désir

      29/09/2012 à 15h45

    Sexe : la pilule qui tue le désir, tabou chez le gynéco

    Renée Greusard | Journaliste Rue89
     

     

    Mis à jourle lundi 24 septembre 2012
    Corrigé : Martin Winckler est français et non canadien.
     

    Beaucoup de femmes ont l’impression d’être longtemps passées à côté de leur sexualité à cause de leur contraceptif, sans que leur médecin les ait jamais averties.


    Une boîte de comprimés (Melanie Tata/Flickr/CC)

    Le saviez-vous ? La pilule pour hommes existe déjà, mais ce qui freine son arrivée dans nos salles de bains c’est, entre autres critères, la peur d’altérer la libido de ces messieurs.

    Ce à quoi, Gaëlle-Marie Zimmerman, chroniqueuse au Plus, répondait très justement que le problème existait pourtant chez pas mal de femmes sans que ça ne choque trop, pour le coup.

    Le mot « colère » revient souvent dans leurs témoignages. Quand elles sont sous pilule, elles ont moins envie de faire l’amour avec leur conjoint. Et elles ne comprennent pas que leur médecin ne les ait pas mises en garde.

    Gaëlle, qui a commencé à prendre la pilule à 15 ans – pour calmer des règles douloureuses –, raconte par exemple :

    « J’ai un peu le sentiment d’être passée à côté de mon éveil à la sexualité, à la venue de la féminité dont tous les magazines parlent mais que je n’ai pas vécue. C’est comme si j’avais subi une castration chimique inconsciente. »

    « Jamais un gynéco ne m’en a parlé »

    A 33 ans, elle est épanouie, mariée, en couple depuis bientôt cinq ans, mais son rapport aux gynécos n’est pas tendre.

    « J’en veux beaucoup à tous ceux qui ne m’ont pas avertie de cette conséquence. Sans doute l’ignoraient-ils. »

    Même sentiment du côté de Laure. Elle a pris la pilule pendant sept ans depuis ses 20 ans. Il y a un an, elle en a eu marre. L’idée de prendre chaque jour ce petit comprimé, pendant une si longue période, la gênait. A l’arrêt de sa pilule, elle a halluciné.

    « Avant j’aimais bien faire l’amour, mais là d’un coup, j’étais toujours partante. J’ai été énervée, jamais un gynéco ne m’en a parlé. »

    En ayant passé la majorité de sa vie sexuelle sous pilule, elle explique qu’elle ne pouvait même pas soupçonner que son désir était faible. C’était normal puisqu’elle avait toujours été comme ça.

    Recueillir des témoignages sur ce sujet est simple. Presque comme un claquement de doigts. C’est même d’ailleurs étonnant de s’apercevoir du nombre de femmes qui affirment avoir une libido en berne sous pilule.

    Des études contradictoires

    Pourtant, du point de vue de la recherche, il n’y a pas vraiment de consensus sur ce sujet. En mai 2010, les chercheurs du centre de Heidelberg en Allemagne révélaient dans une grande étude sur le sujet, que sur un échantillon de 1000 femmes, celles qui utilisaient des contraceptifs hormonaux ressentaient plus souvent une baisse de désir que les autres.

    Mais les résultats étaient immédiatement contestés, comme le raconte Slate.fr, par Vanessa Cullins. Cette gynécologue américaine, vice-présidente de « Planned Parenthood », sorte de Planning familial américain, affirmait alors qu’on n’avait toujours pas trouvé de lien direct entre pilule et réduction de la libido.

    Dans un mémoire sur la contraception et la sexualité qu’il a réalisé en 2006, le gynécologue et sexologue Stéphane Pérez écrivait, lui, que « 10 à 15% des femmes ressentiraient une diminution de leur libido lors de l’utilisation d’une contraception ».

    L’absence de consensus chez les scientifiques est l’un des premiers éléments de compréhension du silence des gynécologues. Béatrice Guigues, vice-présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens français dit :

    « C’est sûr que sans étude claire sur le sujet, c’est compliqué à gérer. Il n’empêche notre rôle est d’améliorer la situation de la patiente, même s’il n’y a pas d’étude sur le sujet. »

    Chamboulement d’hormones

    Elle pose donc toujours une question large à ses patientes pour guetter les effets secondaires désagréables, quels qu’ils soient.

    « Est-ce que vous avez des plaintes ? »

    Ce qui est certain, c’est que la pilule chamboule les hormones. Laurent Vandenbroucke gynécologue parisien rappelle la base :

    « Toute contraception hormonale (pilule, anneau, patch, implant) est susceptible d’entraîner des modifications directes de la libido. »

    Comme Béatrice Guigues, il explique aussi que la libido est compliquée.

    « La libido étant aussi un phénomène psychosomatique, l’idée même de contraception peut avoir un impact sur le désir. L’absence ou en tout cas la diminution du risque de grossesse peut avoir un impact non négligeable sur la sexualité. »

    Il ajoute que les transformations même du corps (absence ou modifications des règles, modification des seins, de la lubrification vaginale) jouent aussi.

    « Dès que j’arrête, je me caresse tous les jours »

    Dans la bouche de certains gynécos, les choses peuvent être dites de manière beaucoup moins complexe, pour ne pas dire grossière. Gaëlle raconte :

    « J’en ai parlé à plusieurs gynécos, certains m’ont dit que c’était psychologique, le désir d’enfant... N’importe quoi. »

    Gaëlle sait ce qu’elle ressent, elle le raconte avec beaucoup de précision.

    « Sous pilule, je me masturbe une fois par mois grand max et je n’ai jamais envie. Mais dès que j’arrête, j’ai envie tout le temps et je me caresse tous les jours, que je sois en couple ou non. Ce changement est même effrayant tant je n’y suis pas habituée. »

    Elle s’est rendu compte des variations de son désir seule. Comme d’autres. Hélène raconte, elle, par exemple, que sa grossesse lui a révélé cette chute de libido sous pilule. Elle a 29 ans et a accouché l’année dernière.

    « Quand j’ai arrêté d’allaiter, j’ai repris la pilule. Et là, je n’avais plus envie de rien. »

    « Je m’en suis rendu compte naturellement »

    Pour elle, ce risque est à peine connu. Elle ne comprend même pas qu’il ne soit pas plus évoqué en consultation. Il lui a fallu parler avec une amie elle-même dans cette situation pour s’alerter.

    Samia raconte sensiblement la même histoire. Je lui demande si elle a abordé le sujet en consultation gynéco, elle répond :

    « Non je n’en ai pas parlé à ma gynéco, elle n’a d’ailleurs jamais abordé ce sujet avec moi... »

    Parler de sexe en consultation : la gêne ?

    Pour certains gynécos si le sujet n’est pas abordé, c’est que les patientes n’en parlent pas. Et aborder la question de la sexualité ne va – paradoxalement – pas du tout de soi pour beaucoup de gynécologues. Laurent Vandenbroucke :

    « Il ne faut pas oublier que les médecins gardent une part d’humanité et aborder le sujet de la sexualité n’est pas forcément aisé… Pour eux, comme pour les patientes !

    Les médecins ne posent pas toujours la question, les patientes n’osent pas toujours en parler. »

    S’il précise penser que la plupart de ses confrères « sont à l’écoute des patientes », il n’hésite pas non plus à dire que la question de la sexualité de la patiente est un tabou chez beaucoup.

    Ils craignent d’être intrusifs, voire estiment que ça ne les concerne pas. Que c’est du domaine privé. Je lui demande comment c’est possible. Il parle de la formation reçue par les gynécos : la sexualité y est absente.

    « La sexualité, pendant les études, c’est un “item” que personne ne prend. Parce que tout le monde sait que ça ne tombera pas à l’internat.

    En France, il y a toute une approche psychanalytique de la sexualité, l’approche pratique, physique, n’existe pas. »

    La contraception, spécialité peu prestigieuse

    A cela s’ajoute une question encore plus taboue, dont lui n’hésite pas à parler. La contraception des femmes, ce n’est pas une spécialité prestigieuse chez les gynécos. En tous cas pas autant que les accouchements ou les grossesses à risques.

    « La contraception fait partie de la médecine générale de la gynéco et pendant notre cursus, on n’a qu’une heure qui y est consacrée. »

    Pendant toute la durée des études de gynécologie, jamais, explique-t-il, un stage n’est proposé aux étudiants chez un libéral, en ville ou au Planning familial.

    Les étudiants qui s’y intéressent le font par choix personnel, par féminisme parfois aussi, comme Laurent qui cite volontiers Martin Winckler. De ce médecin et écrivain, connu pour son site de réponses aux femmes dans leurs questionnements gynécologiques, Laurent Vandenbroucke dit qu’il n’est pas très apprécié de ses confrères :

    « En France, on a dix ans de retard sur les questions de contraception. Les choses commencent à peine à changer. Jusqu’à présent, on résumait les problèmes à des patientes bêtes qui prenaient mal leur pilule. [...]

    Rares sont les femmes qui ont le droit à un vrai interrogatoire, pour comprendre la contraception dont elles ont besoin. »

    « Qu’est-ce que la prise en charge gynéco ? »

    Dernière explication possible, les conditions de travail qui ne sont pas optimales. Stéphane Pérez, le gynécologue de Lille, explique :

    « Demander à une patiente de parler des effets secondaires de sa pilule ou de sa sexualité, ça prend un peu de temps et on ne sait pas combien de temps ça peut durer. »

    Il pose alors la question centrale, celle qui se dessine à travers tous ces témoignages.

    « Qu’est-ce que la prise en charge gynécologique ? N’est-ce pas pour beaucoup de femmes la seule occasion de pouvoir parler de leur sexualité ? »

    Deux questions qui en entraînent mille autres. Un gynécologue n’est-il que le médecin du corps de la femme ? Doit-il tenter de parler avec elle de son épanouissement sexuel ? Les gynécologues devraient-ils recevoir une formation en sexologie ? Et vice versa ?

    Laure est aujourd’hui de nouveau en couple. Elle dit que ne plus prendre la pilule lui a donné la sensation de changer de vie et elle réfléchit à l’après. Reprendre ou pas la pilule ?

    « Le but de la pilule, c’est quand même de pouvoir baiser. Là c’est sûr et certain que cette chute de libido, c’est le gros truc qui me fait hésiter à la reprendre aujourd’hui. »


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