• Une ONG américaine lance une campagne pour inciter à faire moins d'enfants. Au menu : vidéo sur Times square et préservatifs à l'effigie des animaux en voie de disparition.

     

     

    Nous sommes désormais 7 milliards. Et 7 milliards, c’est bien trop, selon le Centre américain pour la diversité biologique, qui voit dans la croissance de la population une menace pour l’environnement. Aussi l’ONG a-t-elle décidé de s’adresser directement aux consciences de ses concitoyens. Au détour d’une nouvelle campagne, elle va distribuer 100 000 préservatifs figurant des espèces en danger, rapporte le New York Times « Wrap with care, save the polar bear » (« Sortez couvert, sauvez les ours polaires ») ou « Wear a condom now, save the spotted owl » (« Un préservatif enfilé pour sauver la chouette tachetée ») peut-on trouver sur leurs drôles de capotes… L’ONG s’est aussi offert une publicité vidéo sur Times Square à New York.

    Car le moment est critique. « Toutes les espèces que nous sauvons de l’extinction vont finir par disparaître si la population humaine continue de grossir », a déclaré Kierán Sucklin, le directeur du Centre. Menacés notamment : la panthère de Floride, le thon rouge de l’Atlantique ou encore l’ours polaire. Certes aux Etats-Unis, le taux de fécondité s’est écroulé depuis le baby-boom, passant à 2 enfants par femme. Malgré cela, les Etats-Unis devraient compter 478 millions d’individus à la fin du siècle, estiment les démographes, et ce notamment à cause de l’immigration. Or, les Américains aiment leur confort. La preuve ? La quantité de CO2 émis par habitant est l’une des plus fortes du monde après l’Australie. Selon une étude publiée en 2009 par l’université de l’Oregon, chaque enfant américain émet par exemple 7 fois plus de CO2 que son cousin chinois et 169 plus qu’un petit du Bangladesh.

    La solution ? Consommer moins mais surtout être moins. Selon une étude publiée l’an passé, un taux de fécondité à 1,5 enfant par femme pourrait permettre une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 10% d’ici à 2050 et de 33% d’ici à la fin du siècle.


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  • Viols en temps de guerre,sous la direction de Raphaëlle Branche et Fabrice Virgili,

    Payot, 20 €. En librairies le 2 novembre 2011.  270 p.

    Ce livre pionnier éclaire la place et le sens de la violence sexuelle et sexuée dans les violences de guerre.

    TABLE : Introduction (R. Branche, D. Palmieri, I. Delpla, J. Horne. P. Lagrou, F. Virgili).- Le viol dans les codes militaires russes, de Pierre le Grand à l’Armée rouge (M.G. Muravyeva).- Le crime indiscutable : la violence sexuelle des soldats allemands pendant la « guerre d’anéantissement » en Union soviétique (R. Mülhaüser).- La victimisation du corps et la politique du corps : viols et abus sexuels pendant la guerre civile grecque (K. Stefatos).- Héroïnes de guerre et hommes oubliés de la guerre de libération du Bengladesh (N. Mookherjee).- Viol, blâme et contrôle social : le cas des enclaves paramilitaires en Colombie (N. Suarez Bonilla).- Une fureur « belgica » en Rhénanie occupée ? (A. Godfroid). Pratiques de guerre, terreur et imaginaires : troupes maures et viols durant la guerre d’Espagne (M. Joly).- Promettre le viol : milices privées contre guérilla maoïste dans l’État du Bihar, Inde (A. Soucaille).- Le poids des imaginaires : viols et légendes des femmes snipers en Tchétchénie (A. Regamey).- Lever le silence : nouvelles approches des conséquences du viol – Érythrée, RD Congo, Rwanda, Somalie, 1994-2008 (N. Puechguirbal).- Le tabou n’est pas celui qu’on croit : l’historienne, le viol et la société israélienne (T. Nitsan).- Le « visage laid de la guerre » : la stigmatisation des enfants nés de viols au Nigéria (A.D. Ikuomola).- Décisions spéciales : les enfants nés des viols allemands et abandonnés à l’Assistance publique pendant la Grande Guerre (A. Rivière).- Russes et Allemands : viols de guerre et mémoires postsoviétiques (N. Naimark).
    Fabrice Virgili, historien, chargé de recherche au CNRS (IRICE/université Paris 1), est l’auteur de La France « virile » : des femmes tondues à la Libération (PBP nº 502) et Naître ennemi : les enfants de couples franco-allemands nés pendant la Seconde Guerre mondiale (Payot, 2009). 

    Viols de guerre ou le temps des soudards

    Georges Vigarello pour Marianne | Dimanche 6 Novembre 2011

    L’historien Georges Vigarello a lu pour « Marianne » « Viols en temps de guerre », ouvrage collectif paru le 2 novembre. De l’ex-Yougoslavie à la Colombie, une terrible série d’études sur les stratégies militaires du viol à travers le monde.

    Dans ses Dames galantes, au XVIe siècle, Brantôme évoque le viol en temps de guerre comme étant une conséquence quasi normale de la conquête : occupation du « territoire », appropriation massive du féminin par le masculin, corps des femmes envahis comme l’est la terre. Le geste de possession est geste de pénétration. Il inclut le sexuel sans que les faits souffrent généralement de longs commentaires. Brantôme conduit même à l’extrême un très banal fantasme de dominateur : « Elles aiment les hommes de guerre toujours plus que les autres et leur violence leur en fait venir plus d’appétit. »

    Une longue histoire existe qui tolère l’acte comme une « évidence », alors que le juriste et philosophe Hugo Grotius, dans son Droit de la guerre et de la paix, au XVIIe siècle, insistait pourtant sur le fait que « violer les filles » en temps de guerre ne saurait « demeurer impuni ». La force, traditionnellement, l’a ici sourdement emporté sur le droit. Le livre collectif que publient aujourd’hui les éditions Payot, Viols en temps de guerre, sous la direction d’historiens chevronnés, reprend le thème. Ce qui permet tout d’abord d’approcher l’horreur, c’est de constater l’insoutenable.

    Cette scène entre autres, en 1945, évoquée par un soldat soviétique, après qu’un convoi de civils allemands en fuite a été attaqué, et après qu’un groupe de femmes en a été « séparé » : « Les femmes, les mères et leurs filles se tenaient de chaque côté de la route, devant chacune d’elles se tenait une file hurlante d’hommes, le pantalon baissé. » Ou cette scène encore en Tchétchénie, rapportée en 1999 : « On a attrapé une sniper ensuite on lui a fourré une grenade dans le vagin, on l’a dégoupillée et on s’est enfui en courant. Elle a été déchiquetée. »

    La première étude du genre

    L’intérêt majeur de ce livre ne tient pourtant pas à l’horreur évoquée. Il tient d’abord à sa nouveauté : il s’agit de la première étude du genre. Elle doit être saluée comme telle. Elle doit aussi être commentée. C’est qu’elle correspond à un changement de culture. Le féminisme a aidé à ce que de tels actes apparaissent plus que jamais dans leur inhumanité. Il a aidé à ce que le viol soit l’objet d’une visibilité qu’il n’avait pas, rendant évidentes les revendications des femmes sur l’absolue propriété de leur corps, faisant basculer définitivement le viol dans la barbarie.

    Autre changement de culture, les types d’études consacrées à la guerre. Longtemps cantonnées au triptyque « militaire-politique-diplomatique », longtemps centrées sur les plans de bataille, les types d’armements, les attaques, les défenses et leurs effets, ces études sont aujourd’hui bouleversées, s’attachant aux dimensions sociales, culturelles et de genre des conflits, s’attardant aux sensibilités, au quotidien des agresseurs et des agressé(e)s.

    De telles études ont basculé du milieu technique au milieu humain, des matériaux militaires aux effets de conscience et aux modes de vie. L’histoire, avec elles, s’est donné d’autres objets : affects et traumas ne sauraient être tus, douleurs et vulnérabilités ne sauraient être ignorées. C’est dans un tel cadre que le viol en temps de guerre peut être interrogé comme il ne l’avait jamais été jusque-là.

    Le viol comme une entreprise quasi stratégique 

    L’autre intérêt majeur de ce livre est de s’éloigner du cliché. Loin de s’en tenir à la simple domination sans âge du masculin sur le féminin, loin de s’en tenir à la seule prise en compte de pulsions ravageuses, les travaux s’aventurent sur bien d’autres terrains, se livrent à bien d’autres interrogations, multiplient avec pertinence les situations et les cas.

    Rien de plus contestable alors, ou partiel, que de limiter le thème à quelque universel de la domination sexuelle. Rien de plus abrupt et simplificateur aussi que la vieille vision de Brantôme et ses « invasions » territoriales.

    L’originalité est ici de décrire le viol comme une entreprise quasi stratégique, et non plus seulement pulsionnelle, visant les vaincu(e)s. Ce que les viols dans les conflits de l’ex-Yougoslavie avaient du reste déjà clairement montré, centrés sur les filiations et les ethnies. D’où l’importance donnée à la spécificité que chaque environnement local ou historique peut représenter. D’où la diversité des thèmes proposés.

    Ces textes montrent combien les viols en temps de guerre, loin d’être cantonnés à la seule « jouissance sexuelle », participent tous aux versants les plus variés d’une « domination sociale, ethnique ou nationale ». Le contexte du conflit fait alors aussi le contexte du viol.

    L’acte peut ne pas viser seulement les femmes

    A commencer par le fait que l’acte peut ne pas viser seulement les femmes. La très belle étude de Nayanika Mookerjee sur les conflits du Bangladesh s’attarde sur un trait spécifique de l’opposition entre le Pakistan oriental et le Pakistan occidental. Partage « curieux » et « contestable » en 1947, d’abord, après l’indépendance de l’Inde. Le Pakistan oriental (le Bengale) et le Pakistan occidental sont constitués en pays unifié, alors qu’ils sont séparés géographiquement et largement différents culturellement. Seule « unité » ici, l’islam. Encore s’agit-il d’un islam disparate où les Bengalis sont accusés de pratiquer une religion trop « hindouisée », « impure », révélant une certaine faiblesse sinon même une efféminisation.

    Suit une domination du Pakistan occidental sur le Pakistan oriental, une quasi-colonisation aussi, une « stratégie vigoureuse d’assimilation » jusqu’à l’emprise de la langue, le bengali étant interdit au bénéfice de l’ourdou, langue du Pakistan occidental. Suivent encore les révoltes des Bengalis en 1971, la guerre, la proclamation d’une république populaire du Bangladesh, la répression enfin. Suivent surtout les viols des hommes musulmans bengalis perpétrés par les militaires ouest-pakistanais « en représailles aux attaques de la guérilla bengalie ».

    Viols d’hommes donc que de sourdes références à la religion et aux ethnies prétendent expliquer : « Les musulmans bengalis déjà suspectés d’être féminisés devaient confirmer leur identité musulmane par un processus qui les féminisait davantage : le viol. » Acte d’humiliation clairement spécifique où l’enjeu tient ici « à une féminisation et à une catégorisation raciale des hommes », l’acte sexuel prenant alors son sens dans une sédimentation toute particulière mêlant genre, culture, histoire, religion : jeu subtil où l’humiliation se fait multidimensionnelle. Le viol des Bengalis est au cœur d’une stratégie.

    Le viol au service d’un ordre politique et social

    Stratégie encore, toute différente cette fois, dans la guerre civile colombienne, où les milices paramilitaires tentent d’instaurer un ordre dans les régions « reconquises » et dominées. Humiliations sexuelles et viols y jouent un rôle décisif. Ils sont ciblés, visant, parmi les femmes, celles qui manifestent le moindre signe de « transgression », celles qui témoignent d’une quelconque résistance, celles qui cultivent leur féminité ou « laissent apparaître des parties de leur corps ».

    D’où l’instauration d’un climat permanent de peur diffuse, l’obtention de la conformité par la terreur, l’imposition d’un ordre intime échappant à la sphère privée. Aucun choix pour les victimes : « En dehors de la fuite, toute résistance paraît impossible. » La perversité du dispositif est qu’il trouve une complicité dans la culture elle-même. La puissance du patriarcat traditionnel, parvient à favoriser indirectement la stratégie des paramilitaires dans ces régions de la Colombie : « Les sanctions envers les femmes, notamment celles qui transgressent l’ordre par leur conduite, trouvent une certaine approbation collective. »

    Ce viol en temps de guerre civile, loin, une fois encore, d’être simple pulsion, est ici mis au service d’un ordre politique et social. Plus encore, la violence sexuelle des paramilitaires colombiens finit par trouver une « légitimité » dans le système social et culturel lui-même.

    Une souffrance enfouie

    Stratégie enfin, dans une autre guerre civile, celle de la Grèce à la fin des années 40. Une guerre où les femmes avaient pu trouver quelque affirmation personnelle et politique, celle-là même que l’Etat leur refusait jusque-là. C’est sur les combattantes ou les résistantes emprisonnées qu’une violence sexuelle s’est alors exercée, avec une intensité croissante, jusqu’à adopter des formes « clairement organisées » : scènes de terreur nocturne, femmes enlevées dans le noir absolu, tortures par les officiers de police, menaces de viol par des hommes infectés par la syphilis.

    La domination prenait une forme précise et circonstanciée : renvoyer dans le domaine « privé » des femmes ayant tenté une action et une affirmation dans le domaine public, briser la revendication d’un statut nouveau et autonome du féminin. Viol sans aucun doute, mais aussi « intimidation politique par la victimisation sexuelle des dissidentes ».

    Reste la question des « suites », celle des malheurs et des traumas. Celle des enfants nés de viols en tout premier lieu, qu’avait déjà remarquablement étudiée Stéphane Audoin-Rouzeau dans l’Enfant de l’ennemi en 1995. Plusieurs analyses s’étendent ici sur l’infernale intrication psychologique du problème : l’assimilation sociale et collective toujours troublée de l’enfant, la sensibilité déchirée de la mère, le sentiment paradoxal à l’égard de cet enfant fait de proximité et de rejet, la politique de son abandon aussi mise en place par le gouvernement français durant la Première Guerre mondiale.

    C’est sur la souffrance enfin que s’étendent quelques textes majeurs : question d’une profondeur inédite dont les psychologues ont su montrer aujourd’hui la redoutable ampleur. La nécessité pour la femme de « parler » par exemple, alors que nombre de cultures s’y opposent. La nécessité encore de lutter contre la manière dont les victimes peuvent minorer les épreuves subies. Immense travail personnel et collectif où l’objectif de se reconstruire vient en permanence buter contre la destruction intime que le viol en temps de guerre a très consciemment et très « stratégiquement » provoquée.

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