• Soldes de luxe?

      Et voici où finissent les invendus de Hermès, Vuitton, Chanel et autres grandes marques de luxe ?

     Mis à jour le 09-09-2013       Thiébault Dromard   Par Thiébault Dromard (Challenges)

    Officiellement Vuitton ou Hermès ne soldent jamais... dans leurs magasins. Mais certains privilégiés profitent de très discrètes opérations de déstockage.

    Vente privée de produits de luxe organisée par Luxe for all. DR

    Vente privée de produits de luxe organisée par Luxe for all. DR
     

    Cette opération est réalisée dans le plus grand secret. Seulement une dizaine de salariés de la maison Hermès, tirés au sort parmi les 10.000 collaborateurs, en seront témoins. Au petit matin, ils se sont retrouvés devant l’incinérateur de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis. Un rendez-vous bien inhabituel pour ces artisans du cuir plus habitués à se retrouver dans leurs ateliers de Pantin que devant les grandes cheminées de cette usine traitant des déchets, où vont finir en cendres quelques-uns des plus beaux produits du groupe de luxe. Un représentant d’un cabinet d’huissier les rejoint. "Les produits Hermès sont arrivés par camions entiers, encore dans leurs boîtes orange pour certains, raconte un salarié témoin de la scène. Notre rôle consiste à vérifier que tout est effectivement détruit et que personne ne se sert au passage."

    C'est une question d'image de marque

    Jetés dans une gigantesque fosse, les vêtements ou chaussures du sellier, vite recouverts d’immondices venus d’ailleurs, sont brûlés. Aucune photo n’atteste de cette scène : les collaborateurs d’Hermès sont tenus au secret. Le sujet est un tabou de l’industrie du luxe. Qui comprendrait qu’à l’heure du développement durable, et alors que la France traverse une crise économique, la maison procède ainsi pour se débarrasser de ses stocks ? Pourtant, elle n’a pas le choix. "C’est la solution ultime quand toutes les autres ont été épuisées, confirme un ancien dirigeant. Hermès a conscience qu’en termes d’image, c’est délicat, mais c’est la seule façon de conserver l’exclusivité de la marque."

    Hermès n’est d’ailleurs pas le seul grand nom du luxe à détruire ses stocks. Chanel, Vuitton, Dior ou encore Prada font de même. Car "aussi attractive que soit une marque de luxe, elle ne peut pas tout vendre", rappelle Serge Carreira, expert du luxe à Sciences-Po. Mais jamais un sac Kelly ou Vuitton ne sera brûlé. "C’est le prêt-à-porter, du fait de sa saisonnalité et des effets de mode, qui donne lieu à des stocks importants et à des destructions éventuelles", nuance-t-il.

    Ristournes accordées en toute discrétion

    Avant d’en arriver à cette étape spectaculaire, les marques de l’ultraluxe ont d’autres options, moins extrêmes, pour évacuer leurs marchandises. Ainsi, au fin fond de Malakoff dans les Hauts-de-Seine, entre deux barres HLM, c’est dans une distillerie désaffectée, l’Espace Clacquesin, que Vuitton a organisé ses ventes très privées le 21 juin. Le personnel est passé la veille, raflant déjà une partie des produits. Les prix sont attractifs : les réductions sont de l’ordre de 50%, comme ce maillot de bain au prix public de 550 euros proposé à 275 euros. Un client tente de prendre une photo, avant d’en être empêché par un vigile. Personne ne doit savoir que Vuitton accorde à quelques privilégiés la possibilité d’avoir accès à des produits à prix cassés. Car pour le commun des mortels, il n’y a qu’une règle que répétait en boucle Yves Carcelle, l’ancien patron de la marque : "Vuitton ne fait jamais de soldes."

    Deux ans de purgatoire pour les invendus de Chanel

    Les ventes privées restent pour les grandes marques le meilleur moyen de déstocker massivement. Même si "notre nouveau système informatique nous permet de connaître chaque semaine nos niveaux d’invendus en boutiques et de limiter les stocks", indique la marque. Car, à l’exception de Prada qui dispose de son magasin de déstockage dans la banlieue de Florence, aucun grand nom du luxe ne confie ses produits à des tiers ni ne pratique de soldes en magasins. Le sacro-saint principe d’exclusivité ne s’en remettrait pas ! Ainsi Chanel enferme durant deux ans ses collections de prêt-à-porter et d’accessoires dans un entrepôt, tenu secret, près de Chantilly, dans l’Oise. Les articles sont donc vieux de plusieurs saisons quand ils sont proposés à l’Espace Champerret, en novembre, à une liste de VIP prêtes à faire des heures de queue pour un sac à quelques centaines d’euros. "Les produits sont vendus à seulement 10 à 20% de leur prix public", révèle une salariée de Chanel. A ce tarif, la clientèle d’un jour accepte tout, y compris de se changer en public faute de cabines d’essayage !

    Hermès, lui, ne réserve pas ses soldes à une liste de privilégiés. Chaque année, le sellier donne rendez-vous à ses fans au Palais des Congrès, à Paris. Sans le crier sur les toits. Juste un minuscule encart dans Le Figaro. "Le bouche-à-oreille fonctionne à merveille", relève une vendeuse. Des portants sont alignés dans une salle éclairée par des néons blafards. On est loin de l’ambiance du magasin du Faubourg. Prêt-à-porter, cravates, chaussures, linge de maison sont présentés avec des réductions oscillant entre 40 et 60%. "Les trois jours de soldes permettent de déstocker en moyenne, selon les années, les trois quarts de la marchandise", souligne un cadre qui ne veut surtout pas être cité.

    "Momo le nettoyeur"

    Enfin, les marques de luxe ont une ultime solution, plutôt que la destruction pure et simple des stocks: se faire racheter sa marchandise. L’opération est top secret. Une poignée d’acteurs tient ce marché. -Essentiellement des entreprises américaines, comme Chiron, dirigée par Maurice Goldberger, dit "Momo le nettoyeur", qui chaque année achète pour 2 à 3 millions de dollars de marchandises auprès de grandes marques, d’horlogerie suisse notamment. "Il revend ses produits aux Etats-Unis et au Canada, des pays où la culture du déstockage en magasins d’usine premium est très forte, et où la cohabitation avec un réseau de boutiques traditionnelles est possible, confirme Michaël Benabou, associé du site Vente privée et spécialiste des marchés du luxe. Il en écoule aussi dans des zones où les marques sont peu implantées, comme en Amérique du Sud ou en Afrique."

    Autre racheteur, l’entreprise Simah, père et fils, en France, travaille depuis plus de vingt ans avec une trentaine de marques de luxe. Très discrète, cette PME familiale – plus de 10 millions de chiffre d’affaires – écoule de belles pièces, "dans des pays où les marques sont peu implantées", précise Kevin Simah, le fils, qui ouvre à Paris sa première boutique de revente de produits de luxe. Son défi ? Convaincre les plus grandes marques de ne pas envoyer leurs stocks à l’incinérateur.


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