• Eau et multinationales

     Un risque émergent pour les entreprises

    Plusieurs grandes entreprises, dont Shell, seront présentes au Forum mondial de l'eau, qui se déroule à Marseille du 12 au 17 mars. Une présence qui pourrait déclencher quelques controverses concernant les impacts des entreprises sur la ressource en eau. Certaines d'entre elles tentent cependant d'appréhender ce nouveau risque. 

    "Le management du risque-eau par les entreprises est largement insuffisant. » La conclusion de l'étude « Comment les multinationales perçoivent-elles la rareté de l'eau ? » publiée en juin dernier par Eiris est sans appel. D'après le cabinet d'analyse environnementale, si 54% des multinationales sont exposées à divers risques liés à l'eau, seules 0,22% d'entre elles ont mis en place un système de management dédié. Les entreprises seraient-elles indifférentes aux risques de pollution et de pénuries d'eau ? Pas si sûr. D'après Souad El Ouazzani, senior manager chez Deloitte, « elles agissent en réalité bien plus qu'elles ne le communiquent. Mais l'eau est un sujet difficile à aborder, les enjeux diffèrent grandement selon les activités. Ils portent tantôt sur la qualité des eaux, la réduction des rejets, le stress hydrique des régions d'implantation, les conflits d'usages... » Certes, industries extractives, usines chimiques, grandes enseignes du textile et producteurs de boissons n'ont pas à faire face aux mêmes risques. Mais tous doivent aujourd'hui répondre à des exigences réglementaires de plus en plus contraignantes et à une pression grandissante exercée par les parties prenantes.

    Nombre d'accusations de pollution et d'usages abusifs de la ressource ont ponctué cette dernière décennie. Shell en 2002, dans le delta du Niger, Coca-Cola en 2003, en Inde. Et récemment encore, Nike, Adidas, H&M et autres géants du textile étaient épinglés par un rapport de Greenpeace (Dirty Laundry, juillet 2011) pour avoir négligé les rejets de polluants de leur chaîne de sous-traitance chinoise. L'émergence de ces nouveaux risques, en termes de disponibilité ou de qualité de la ressource, mais aussi en termes d'image, contraint les entreprises à définir une stratégie.

    Repérer les zones en stress hydrique

    Première étape incontournable, la cartographie de l'empreinte eau progresse. Directeur Environnement chez Rhodia, Laurent Sapet explique que « le groupe a identifié 19 sites situés en zone de stress hydrique. » Et élaboré un programme de réduction des prélèvements. « Nous avons optimisé les circuits d'eaux de refroidissement, pour n'utiliser que la quantité d'eau nécessaire. Les besoins en chauffage ont été revus à la baisse, pour limiter le recours au refroidissement et donc, le prélèvement d'eau. » Pour identifier ces zones à risques, beaucoup s'inspirent de la méthode Water Footprint, ou du Global Water Tool conçu par le World Business Council for Sustainable Development. Lafarge, Saint-Gobain, Bayer, Veolia, EDF, Suez-Environnement, Danone, Nestlé... La liste des convertis progresse.

    Outre l'évaluation de l'empreinte eau, la réduction constante des consommations est désormais de mise pour ces gros consommateurs (dans les pays à fort développement industriel, les entreprises peuvent peser jusqu'à 59% de la consommation globale). Coca-Cola s'est ainsi lancé un défi de taille, atteindre d'ici 2020 un ratio mondial égal à 1. Autrement dit, ne consommer qu'un seul litre d'eau pour produire un litre de boisson. En 2009, le ratio du groupe s'élevait à 2,36, et à 1,41 en France, pays le plus performant en la matière. « Le ratio français ne dépasse pas 1,3 fin 2011 », garantit Eric Desbonnets, directeur industriel France du groupe. « L'usine de Toulouse affiche même un ratio de 1,12 », ajoute-t-il. Pour obtenir de tels résultats, Coca-Cola Entreprise a investi dans de nouveaux équipements, pour lesquels l'usage de l'eau est fortement restreint, quand il n'est pas banni. « A Toulouse, nous avons par exemple remplacé l'eau savonneuse par un système à sec pour la lubrification des convoyeurs », explique Eric Desbonnets. Mais le ratio « magique » ne pourra être atteint sans compter sur les 120 programmes de compensation du groupe. Même en France. Dans le cadre de son partenariat avec le WWF, Coca-Cola Entreprise a replanté 2000 arbres dans la forêt du massif de la Nerthe, en région Marseillaise, arbres qui permettront de retenir les eaux de pluie et de lutter contre les phénomènes de ruissellement.

    De plus en plus encadrée réglementairement et surveillée par nombre d'acteurs, la qualité de l'eau rejetée en milieu naturel présente également un risque de taille. Particulièrement en Europe, où les directives cadre sur l'eau et le milieu marin imposent un suivi et une réduction des concentrations en polluants chimiques. Cette évolution, l'Union des Industries Chimiques tente de l'anticiper au sein de son groupe de travail « Eau » en échangeant les bonnes pratiques, les méthodes de dépollution et en préparant les futures exigences réglementaires. A titre d'exemple, Rhodia a développé sur 90% de ses sites français un programme de suivi des écosystèmes des rivières. « Nous observons l'évolution des invertébrés dans les cours d'eau potentiellement impactés par nos activités. Ce type de mesures, basées sur des indices biotiques, va progressivement s'imposer dans la législation européenne », estime Laurent Sapet.

    Tous s'accordent sur un point, l'eau peu chère et de bonne qualité devient de plus en plus rare. La ressource constitue désormais un enjeu majeur de la RSE, et suscite un intérêt grandissant de la part des agences de notation extra-financière. Responsable du programme Eau du groupe Lafarge, Thierry Pichon en atteste. « Les agences de notation intègrent de plus en plus la dimension eau dans les questionnaires qu'elles nous envoient. La question principale étant ''avez-vous identifié le risque-eau ? ''» Si jusqu'ici les questions se limitaient aux seuls relevés de consommation, désormais, les agences affinent leurs analyses. « Nous avons développé en 2011 une grille de critères spécifiques à l'eau », rapporte Marion de Marcillac, responsable clientèle pour le bureau français d'Eiris. « Aujourd'hui, nous analysons les entreprises sur leur exposition au risque, y compris dans leur chaîne d'approvisionnement, et sur les stratégies mises en place pour y répondre. Nous regardons par exemple à quel niveau ces stratégies sont-elles pilotées, les actions préventives concernant ces risques, et comment l'entreprise communique sur le sujet. » Des interrogations qui devraient s'intensifier dans les années à venir.


    Cet article a été initialement publié dans Repères RSE, numéro de janvier 2012.

      Anne Farhouat   © 2012 Novethic - Tous droits réservés


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