• Victimes des essais nucléaires

     

    Depuis 3 ans, le 29 août est consacré « journée nationale contre les essais nucléaires ». Entre 1960 et 1996, la France en a réalisé 210 dans le Sahara algérien puis en Polynésie française sur les atolls de Moruroa et Fangataufa. Les vétérans victimes de ses essais veulent obtenir une reconnaissance de leur service rendu.

    En 1968, Pierre Marhic est sous officier dans la marine française. Détecteur radariste, il est embarqué sur le Clémenceau en Polynésie française et va notamment assister à l’opération Canopus (essai de la bombe H). A l’époque, « la mesure de protection pour les essais à l’air libre, c’était de placer le personnel à une distance de sécurité en éloignant le bateau, la vieille du tir, à 100/200 km et de nous confiner dans le bateau au moment de l’essai pour que l’on ne soit pas flashés par la bombe. Le lendemain, nous circulions tranquillement sans aucune protection…Nous n’avions aucune conscience du danger. Jamais nous n’avons eu de réunion de mise en garde par les médecins militaires », relate celui qui est aujourd’hui président de l’association nationale des vétérans victimes des essais nucléaires (ANVVEN).

    Des milliers de victimes

    Pierre Marhic lutte depuis 14 ans contre un lymphome. Comme lui, de nombreuses personnes, militaires ou civils, ayant travaillé sur les sites des essais ou à proximité, souffrent de cancers. Selon l’association, sur les 150 000 vétérans concernés par les essais, ces victimes se chiffreraient par milliers. Pour autant, à la date du 29 juin 2012, le comité d’indemnisation des victimes (CIVEN), n’a examiné que 549 dossiers (sur 755 demandes reçues). Et seulement 4 ont été indemnisés. Un taux de rejet de 99,3% ! « Sachant que nous souffrons surtout de cancers généraux, qui touchent le poumon, le foie, le colon ou le sang, le lien est moins évident que pour le mésothéliome avec l’amiante par exemple », explique Pierre Marhic. Il existe cependant des études, publiées notamment par l’Inserm.

    En 2010, l’une d’elles menée par l’équipe de Florent de Vathaire (Directeur de Recherche Inserm - Université Paris-Sud 11 à l’Institut Gustave Roussy) concluait notamment que le risque de cancer de la thyroïde augmentait légèrement avec la dose d’irradiation reçue suite aux essais nucléaires. En juillet 2012, après des analyses sur 15 dossiers individuels dans le cadre de l'enquête ouverte à la suite de la plainte déposée fin 2003 par l'Association des victimes des essais nucléaires (Aven), le même chercheur déclarait pouvoir établir pour 6 d’entre eux un lien « vraisemblable » entre les retombées radioactives et les cancers de militaires exposés. D’ici la fin de l’année, une nouvelle étude épidémiologique, réalisée par un laboratoire du Morbihan, Sepia-santé, devrait également être publiée. « Il s’agit d’une étude de morbidité sur l’incidence des affections de longue durée sur les survivants de ces essais qui disposaient à l’époque d’un dosimètre », explique Claire Ségala, médecin épidémiologiste en charge de l’étude. Celle-ci, dont les résultats attendent d’être validés par un comité scientifique, pourrait notamment permettre d’inscrire de nouvelles pathologies à la liste des pathologies radio-induites.

    Une loi à modifier

    Par ailleurs, l’un des principaux freins à la reconnaissance, pour l’ANVVEN et d’autres associations de victimes, est l’article 4 de la Loi Morin relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, votée le 12 janvier 2010. « A l’époque, les députés – de droite- ont trahit l’esprit de la loi qui voulait renverser la charge de la preuve en demandant à l’administration de prouver que les essais n’étaient pas en cause », estime Pierre Marhic. Une phrase -« l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable »- rend cela impossible. Le 21 juin, le tribunal administratif de Papeete a d’ailleurs annulé les décisions de rejet des indemnisations à cause de son article 4. « Nous espérons que cette décision fasse jurisprudence pour les autres affaires en cours, une dizaine environ », veut croire Pierre Marhic. En attendant, l’ANVVEN demande à ses adhérents (une centaine de victimes) de ne plus envoyer de demandes d’indemnisation au CIVEN tant que l’article 4 ne sera pas amendé et d’envoyer une lettre au nouveau ministre de la Défense, Jean Yves Le Drian. « L’impact sanitaire est volontairement minimisé, renchérit le réseau sortir du nucléaire. La France a enfin reconnu que ses essais nucléaires avaient fait des victimes, mais celles-ci voient toujours leurs droits déniés. La « loi Morin » de 2010 a confié au ministère de la Défense le pouvoir de reconnaître et d’indemniser les victimes. Cette loi, même modifiée par un récent décret de mai 2012, impose des conditions très restrictives pour la reconnaissance des droits des victimes », explique le réseau dans un communiqué. « La gauche nous a toujours soutenu jusqu’à présent, si elle ne fait rien c’est à désespérer », conclut Pierre Marhic.

    Ailleurs dans le monde, de nombreuses associations luttent également pour faire reconnaître leur prise en charge. En août 2011, plusieurs d’entre elles ont lancé un appel aux Nations Unies, à qui elles demandent une réelle prise en charge des victimes d’essais nucléaires dans le monde et la programmation d’une décennie (2012-2021) pour le nettoyage, la réhabilitation et le développement soutenable des régions contaminées (http://appelinternationalessaisnucleaires.org).

    Béatrice Héraud
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