•   Le rêve des dérivés

     L'or des fous  de Gillian TETT    Le Jardin des Livres (mai 2011 ) 

      C'est sur environ 800 mètres d'une plage privée immaculée le long de la Côte d'Or en Floride que s'étend le Boca Raton. De cou­leur rose bonbon, l'hôtel a été conçu dans un élégant style méditerra­néen par l'architecte de Palm Beach, Addison Mizner. Depuis son ouverture en 1926, l'hôtel s'est positionné dans l'exclusivité haut de gamme. Il possède des statues de style italien et ses palmiers sont soigneusement entretenus. Sa marina éblouissante peut abriter jusqu'à trente-deux yachts. Il propose aussi un tennis club professionnel, un spa dernier cri, un parcours de golf conçu par un designer et une plage privée. Les célébrités et l'argent ont régulièrement fréquenté le palace réputé pour être une enclave privée de luxe, elles peuvent s'y détendre en toute tranquillité, loin des regards indiscrets.

    Lors d'un week-end de juin 1994, c'est une clientèle bien diffé­rente qui est arrivée à l'hôtel. Il s'agissait de plusieurs douzaines de jeunes banquiers des bureaux de JP Morgan à New York, Londres et Tokyo. Ils étaient venus assister à une réunion pour débattre de la fa­çon dont la banque pourrait développer ses produits dérivés l'année suivante. Dans la chaleur humide de l'été, au milieu des palmiers et des arcades, le groupe émit l'hypothèse d'un nouveau genre de pro­duits dérivés qui transformerait le monde de la finance du XXIesiècle et jouerait un rôle décisif dans la crise économique la plus sombre que le monde ait connu depuis la grande dépression. C'est à Boca que nous avons commencé à parler sérieusement des dérivés de crédit, se souvient Peter Hancock, le patron anglais du groupe.C'est vraiment à ce moment-là que l'idée a réellement décollé et que nous avons compris la taille que cela pourrait prendre.

    Comme dans la plupart des avancées capitales, l'origine exacte du concept de dérivés de crédit est difficile à pointer. D'après Hancock, qui aime en tant qu'intellectuel représenter l'histoire comme étant une évolution ordonnée des idées, le pas s'est produit à Boca Raton. Pourtant, certains membres de son équipe ne gardent que quelques vagues souvenirs confus de ce week-end. Les jeunes banquiers étaient arrivés en Floride bien déterminés à s'amuser le plus possible, pleins d'une joyeuse exubérance et du sens de la fête.

    Ils travaillaient pour le département des « swaps », un domaine bien spécifique dans l'univers des produits dérivés qui était l'un des secteurs de la finance qui se développait le plus vite. Au début des années 80, JP Morgan ainsi que plusieurs autres banques vénérables avaient sauté sur ces produits dérivés ultra modernes et l'activité dans ce domaine obscur avait explosé. En 1994, la valeur totale théorique des contrats de produits dérivés dans les livres de JP Morgan était de 1,7 billions de dollars et l'activité des produits dérivés générait la moitié du revenu de la banque1. En 1992, une année où JP Morgan rendit le chiffre public, le total était de 512 millions de dollars.

    Au-delà de ces chiffres, ce qui était surprenant, c'est que la plu­part des gens du milieu bancaire et des investissements n'avaient pas la moindre idée de la façon dont les produits dérivés généraient de telles sommes, encore moins ce que ces soit disant groupes de swaps faisaient réellement. Ceux qui travaillaient dans ce secteur avaient tendance à s'amuser de son côté mystérieux.

    Au moment où a eu lieu cette réunion à Boca, la majorité du groupe JP Morgan avait moins de trente ans. Certains venaient même tout juste de terminer leurs études. Mais tous étaient convain­cus, avec cette arrogance propre à la jeunesse, qu'ils détenaient le se­cret pour transformer le monde de la finance et augmenter de façon spectaculaire la courbe des bénéfices. Beaucoup sont arrivés à Boca en supposant qu'il s'agissait d'un week-end offert par la direction pour les remercier de leur bon travail.

    Le vendredi après-midi, tout le monde se salua dans la bonne hu­meur puis on se dirigea vers les bars. Beaucoup arrivaient de New York, quelques-uns de Tokyo et une grande partie des participants venaient de Londres. Très vite, les verres se remplirent. Lorsque la nuit avança, certains réquisitionnèrent un mini bus pour se rendre au night club voisin. D'autres récupérèrent des voiturettes de golf et se précipitèrent sur les cours. Un groupe s'installa autour de la piscine principale de Boca Raton, chacun essayant de pousser l'autre dans l'eau.

    Les festivités allaient bon train autour du bassin. Peter Voicke, un Allemand coincé qui portait le titre de responsable des marchés mon­diaux âgé pourtant de moins de cinquante ans était le plus âgé des dirigeants présents à cet instant précis. Il s'appliqua à calmer tout le monde. Voicke avait donné son accord pour Boca Raton dans l'espoir que cela allait établir un bon esprit de camaraderie. C'est important de développer un esprit de corps sain ! se plaisait-il à dire avec un accent monotone. Mais la camaraderie dérapait. Sans vouloir tenir compte de ses avertissements, plusieurs jeunes gens poussèrent Voicke dans l'eau. Mes chaussures, mes chaussures ! se mit-il à crier tandis qu'elles lui échappaient des pieds.

    Le groupe qui avait déjà bien bu se dirigea ensuite vers Bill Win­ters, un Américain jovial qui, à trente et un ans, était le second res­ponsable le plus âgé à participer à la réunion. Sans grande conviction, il tenta d'esquiver le groupe mais alors qu'il se baissait, son visage se cogna contre un coude et le sang se mit à couler. Vous m'avez cassé le nez ! se mit-il à crier et il tomba lui aus­si dans la piscine. Pendant un instant, le silence fut total. Voicke était évidemment furieux. Et maintenant, Winters était blessé lui aussi. Mais Winters se mit soudain à rire et sortit de la piscine. Il remit son nez en place et le jeu reprit.

    Dans certaines banques, faire tomber le patron dans l'eau aurait constitué un motif de renvoi. Mais JP Morgan était fier de sa culture d'entreprise très unie, voire fraternelle. Vu de l'extérieur, on pouvait penser que les gens de JP Morgan étaient élitistes et arrogants, com­plètement séduits par la banque qui se targuait d'occuper une place prépondérante dans l'histoire de la finance anglo-saxonne. Ceux qui en faisaient partie considéraient souvent la banque comme leur fa­mille. Le groupe des produits dérivés était l'un des plus indisciplinés mais l'une des équipes les plus unies. Nous nous amusions vraiment, il y avait un bel esprit dans le groupe à cette époque, se souvient Winters avec un sourire nostalgique.

    Lorsque lui et son équipe se souviennent de ces années complètement folles, beaucoup reconnaissent que ce furent les plus beaux jours de leur vie. L'une des raisons qui expliquent cet enthousiasme, c'est tout simple­ment Peter Hancock qui était à la tête de l'équipe. A 35 ans, il était à peine plus âgé que la majorité du groupe mais il était leur père spi­rituel. De grande taille, les cheveux clairsemés et plutôt maladroit de sa personne, il émanait de lui quelque chose de réconfortant, tel un médecin de famille ou un professeur d'université. A la différence de beaucoup de ceux qui venaient pour dominer le monde complexe de la finance, Hancock n'exhibait aucun diplôme supérieur en mathé­matique ou en sciences. Comme la majorité du personnel de JP Mor­gan, il avait rejoint la banque à sa sortie de l'université mais, malgré cela, il était très intellectuel, très attaché à la théorie et aux pratiques financières sous toutes leurs formes. Il considérait le monde autour de lui comme un gigantesque puzzle intellectuel à décoder et il aimait tout particulièrement développer des théories élaborées sur la ma­nière dont il était possible de faire travailler l'argent partout de façon plus efficace. En ce qui concernait ses salariés, il était obsédé par l'idée de trouver un moyen de les rendre encore plus performants. Et enfin, plus que tout, il adorait le brassage et les échanges d'idées.

    Il lui arrivait parfois de le faire au cours de réunions tout à fait for­melles comme par exemple à Boca. Mais des idées pouvaient jaillir soudain lorsqu'il traversait son bureau. Son équipe avait surnommé ses éclairs de créativité de « Bienvenue sur la planète Pluton » parce que beaucoup des notions qu'il suggérait semblaient plus tenir de la science fiction que du monde de la finance. Mais ils adoraient sa force et ils lui étaient totalement dévoués parce qu'ils savaient pertinem­ment qu'il était complètement déterminé à protéger et à récompen­ser généreusement sa tribu. Ils étaient aussi liés par le sentiment d'être de véritables pionniers.

    L'équipe des produits dérivés chez JP Morgan était engagée dans l'équivalent pour la finance d'un voyage dans l'espace. La puissance de calcul et les mathématiques évoluées dépassaient largement le ca­dre traditionnel du monde des affaires et ce petit groupe d'esprits brillants dressait les limites extérieures de la cyber finance. Tels les scientifiques qui essayaient de décortiquer le code ADN ou de sépa­rer l'atome, l'équipe des swaps chez JP Morgan croyait que leurs ex­périences, qualifiées d'innovation par les banquiers – il s'agissait de l'invention de nouveaux moyens audacieux qui rapportent résolvaient les énigmes les plus fondamentales de leur discipline. On avait vraiment ce sentiment profond d'avoir découvert cette technologie fantastique à laquelle nous croyions et nous voulions l'implanter partout sur le marché se souvient Win­ters. Nous avions le sentiment d'être investis d'une mission.

    Cela venait en partie du fait que Hancock était très engagé dans ses rapports avec les autres. Il était presque aussi fasciné par la ma­nière de gérer les gens pour qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes que par les flux financiers. Lorsqu'il fut nommé à la tête du groupe des produits dérivés, Hancock avait commencé à travailler sur les échanges avec son personnel. L'une de ses premières missions avait été de revoir comment son équipe des ventes et les traders communi­quaient entre eux. A l'inverse de ce qui se faisait habituellement, il décida de donner à sa force de vente toute l'autorité nécessaire pour définir les prix dans les affaires difficiles au lieu de passer le relais aux traders. En agissant ainsi, il pensait que les vendeurs seraient beau­coup plus motivés et cela eut effectivement un impact très positif au niveau des résultats. Il entreprit ensuite de trouver de nouveaux sys­tèmes de rémunérations de façon à décourager la prise de risques ex­cessifs ou à élaborer des projets brillants considérés comme acquis. Il voulait encourager la collaboration et la réflexion sur le long terme plutôt que la recherche individuelle de gains sur le court terme. Le système de valeurs de l'équipe était déjà bien mis en place, surtout si on le compare à celui de la plupart des banques de Wall Street mais Hancock était convaincu que JP Morgan avait besoin d'aller encore plus loin.

    Dans les années qui ont suivi, il engagea un anthropologue social qu'il chargea d'étudier les dynamiques de l'entreprise au sein de la banque. Il mit en place des sondages pour déterminer quels employés communiquaient le mieux avec ceux des autres départements. Il uti­lisa ensuite ces données comme repère pour calculer les indemnités des employés et tracer des schémas informatiques complexes. Il était convaincu que les départements devaient étroitement collaborer les uns avec les autres de façon à pouvoir échanger des idées et contrôler les risques des autres. Le découpage des départements, affirmait-il, était fatal. A un moment donné, en plaisantant à moitié, il lança l'idée de traquer les emails des employés pour mesurer de façon scientifique l'interaction entre les départements. La suggestion n'alla pas plus loin. Le département des ressources humaines a pensé que je deve­nais fou ! se souvient-il. Mais si vous voulez mettre en place les conditions requises pour innover, tout le monde doit se sentir libre de proposer des idées. C'est impossible d'y parvenir si tout le monde se bagarre tout le temps !

    L'une des expériences les plus audacieuses que Hancock ait menées fut de se concentrer sur le groupe clé à l'intérieur de l'équipe des swaps, connu sous le nom « d'investisseur en marketing des produits dérivés » ( soit IDM en anglais ). Les banquiers qui faisaient partie de cette équipe se sont assis autour d'un grand bureau au 3e étage du siège de JP Morgan et le rôle du groupe est un peu sorti de ce qui se faisait habituellement. Même si le marketing de produits existait déjà, il agissait davantage comme un incubateur d'idées qui n'avait pas d'existence interne propre. Il gérait un ensemble de produits comprenant des schémas financiers structurés liés au monde de l'as­surance ainsi que des contrats permettant de réduire les taxes.

    Quelques mois avant la réunion au Boca Raton, Hancock avait contacté Bill Demchak, un jeune banquier ambitieux à l'excellente réputation dans le milieu bancaire, pour prendre la direction de l'IDM. Bien déterminé à conduire l'innovation, Hancock lui avait dit : Il faudra que vous réalisiez au moins la moitié de vos revenus annuels avec un produit qui n'existe pas à ce jour !

    Selon les codes de Wall Street, c'était une mission surprenante. En général, un groupe qui découvrait une brillante idée pour générer de l'argent en réclamait l'exclusivité et l'exploitait à fond aussi long­temps que possible. Hancock voulait qu'IDM invente des produits et les transmette tout de suite de façon à pouvoir avancer sur de nouvel­les inventions. Demchak accepta volontiers cette mission pour le moins découra­geante. Le défi l'intéressait et, d'une certaine façon, il semblait être l'homme idéal pour servir de faire-valoir aux ambitions créatives de Hancock. Il venait d'un milieu modeste et il n'avait pas oublié ses ra­cines. Il avait grandi dans une famille bourgeoise de Pittsburgh et avait fait des études supérieures dans les affaires à Allegheny en Pennsylvanie. Il avait obtenu un MBA à l'Université du Michigan et rejoint JP Morgan au milieu des années 80. Généralement, il était jo­vial mais si quelqu'un le contrariait ou faisait l'idiot, il pouvait exploser. C'était un bourreau de travail mais il aimait aussi faire la fête. Si vous le rencontriez, vous ne pouviez pas deviner qu'il ve­nait de Wall Street, déclarait un de ses collègues de Pitts­burgh. L'esprit aiguisé de Demchak détectait le moindre problème en quelques secondes. Il savait très bien aussi faire le lien entre plusieurs idées et faire fonctionner ensemble des domaines très différents du système bancaire. Il avait également l'âme d'un leader et il savait in­culquer l'esprit de loyauté à ses employés. Ses collègues plaisantaient souvent en disant que sans le Demchak « pratique », Hancock « serait resté sur Pluton ». C'était l'homme qu'il fallait pour mettre en place les schémas de son patron.

    Hancock embaucha aussi un autre banquier ambitieux dans les bureaux de l'équipe à Londres. Bill Winters, qui avait accepté son nez cassé avec une telle bonne grâce, venait lui aussi d'un milieu rela­tivement modeste comparé à une bonne partie de l'élite du monde financier. Il avait fait ses études à l'Université Colgate dans l'état de New York et rejoint la banque dans le milieu des années 80. Il avait tout pour lui : ses collègues femmes pensaient qu'il ressem­blait un peu à George Clooney mais il préférait rester éloigné des projecteurs. Alors que Demchak explosait lorsqu'il rencontrait une résistance, Winters, lui, faisait preuve de plus de flexibilité et avait ten­dance à tourner autour des problèmes, obtenant ce qu'il voulait avec tact. Il ne comptait pas ses heures de travail.

    C'est à la fin des années 80 que Hancock remarqua Winters pour la première fois, alors qu'il travaillait dans le domaine des produits dérivés des marchandises. Nous l'avons envoyé au Mexique et j'ignore comment il a fait, mais il a persuadé le gouvernement de couvrir le risque avec nous sur la moitié de sa production de pétrole et son taux d'intérêt se souvient Hancock. Il n'y a eu aucune discussion, il l'a fait. C'est son style. Hancock le recruta pour s'occuper de la branche européenne de l'équipe des produits dérivés pour que les « deux Bill », comme les surnommaient leurs collègues, travaillent ensemble main dans la main pour favoriser les échanges d'idées innovantes des deux côtés de l'Atlantique.

    En dehors de la recherche d'échanges de l'équipe, il fallait mainte­nant conduire les nouvelles variétés de produits financiers, que l'on appelait « produits dérivés », sur un nouveau terrain.

    Lorsque les banquiers parlent de produits dérivés, ils prennent plaisir à noyer le concept dans un jargon complexe. Cette complexité opacifie le monde des produits dérivés et rend ainsi service aux inté­rêts des banquiers. La surveillance s'en trouve ainsi réduite et confère du pouvoir aux quelques personnes qui peuvent en percer le mystère. Toutefois, bien que les produits dérivés soient devenus horriblement compliqués, ils sont aussi anciens que l'idée de finance elle-même. Comme le sous-entend le nom, un produit dérivé n'est, de façon très simple, rien de plus qu'un contrat dont la valeur provient d'un autre atout : une obligation, un titre ou encore une quantité d'or. L'essentiel pour les produits dérivés, est que ceux qui les achètent et les vendent font tous un pari sur la valeur future de cet atout. Les produits dérivés offrent aux investisseurs soit un moyen de se proté­ger ( par exemple contre une éventuelle évolution négative des prix ) soit de faire des paris avec des enjeux énormes ( sur évolution des prix qui peuvent représenter d'énormes remboursements ). Au cœur de cette tractation, on joue sur le facteur temps.   

       Imaginons par exemple qu'un jour, le taux de change de la livre en dollar soit le suivant : 1 livre anglaise vaut 1,5 dollar. La personne qui va faire un voyage de Grande-Bretagne vers les Etats-Unis dans les six mois qui suivent, et qui pense que le taux de change risque d'être moins intéressant, peut décider d'établir un con­trat pour s'assurer que, juste avant de partir, elle pourra bien acheter des dollars à ce taux. Elle peut très bien signer un accord pour échan­ger 1 000 livres avec une banque dans un délai de six mois au taux de 1,50 dollar, quel que soit le taux actuel de change. On peut déci­der d'accepter que cet accord doit réellement se faire, et dans ce cas le taux de change du moment importe peu  contrat à terme standardisé. Mais le voyageur peut aussi accepter de payer des frais, disons 25 dollars, pour avoir « l'option » de changer au taux de 1,50 dollars qu'il peut annuler si le taux devient plus favorable.

    Les options de commerce en produits dérivés existent depuis des siècles. Des exemples rudimentaires de contrat à terme standardisé et de contrats d'options ont été découverts sur des plaques d'argile de Mésopotamie datant de 1750 avant JC. Aux XIIe et XIIIesiècles, les monastères anglais faisaient du commerce avec des contrats à terme standardisés avec les marchands qui venaient de l'étranger pour ven­dre de la laine jusqu'à vingt ans d'anticipation, et il est connu aussi qu'au XVIIe siècle aux Pays-Bas, lorsque le prix des tulipes commençait à grimper, les achats et les ventes effrénés des marchands des contrats à terme standardisé de tulipes conduisirent à un engouement tel que cela finît dans une faillite spectaculaire.

    L'époque moderne du commerce des produits dérivés a commencé lorsque la Chambre de Commerce de Chicago a été créée en 1849 et a permis l'achat et la vente de contrats à terme standardisé et d'options sur les denrées agricoles. Les cultivateurs de blé pouvaient acheter des contrats à terme standardisé avant la récolte sur le prix que leur blé pouvait rapporter en espérant se couvrir contre des prix bas dans l'éventualité d'une récolte exceptionnelle. Les spéculateurs accep­taient le risque des pertes redoutées par les fermiers, dans l'espoir de récupérer de gains importants qui tournaient trop souvent mal2.

    A la fin des années 70, une nouvelle époque audacieuse d'innova­tion en produits dérivés a vu le jour sous le coup de percées technolo­giques et de la volatilité croissante sur les marchés financiers. Des produits dérivés arrivèrent du secteur des marchandises vers le do­maine de la finance. Le système de crédit et de contrôles des échanges instauré à Bretton Woods après la seconde guerre mondiale qui avait maintenu une certaine stabilité sur les marchés mondiaux s'effondra et les valeurs de la monnaie étrangère qui avaient été déterminées par rapport au dollar devinrent libres.

    Cela entraîna des fluctua­tions imprévisibles dans les taux de change. Les chocs pétroliers ont généré un mélange pernicieux de récession et d'inflation aux Etats-Unis avec une inflation qui a finalement atteint les 13,2% en 1981. Les investisseurs secoués se précipitèrent pour trouver des moyens de se protéger contre l'impact dévastateur des taux d'intérêt élevés – le taux préférentiel atteignit 20% aux Etats-Unis en juin 1981 – et des mouvements continuels des cours dans les taux de change.

    Historiquement, la meilleure façon de s'isoler par rapport à cette volatilité extrême consistait à acheter un fonds diversifié d'atouts. Si par exemple une entreprise qui faisait des affaires aux Etats-Unis et en Allemagne était concernée par ces fluctuations de taux de change entre le dollar et le mark, elle pouvait se protéger en possé­dant la même quantité des deux monnaies. Quels que soient les mou­vements des taux, les pertes pouvaient être compensées par des béné­fices identiques. Mais il y avait aussi une nouvelle manière innovante de se protéger contre ces fluctuations : acheter des produits dérivés pour donner aux clients le droit d'acheter des devises étrangères à des taux de change spécifiques dans le futur. Le taux d'intérêt des con­trats à terme standardisé et les options ont fait irruption permettant ainsi aux investisseurs et aux banquiers de parier sur le niveau des taux dans le futur.

    L'autre point fort du secteur des produits dérivés qui a connu une évolution très rapide est le domaine très créatif des « swaps » dans lequel l'équipe de Hancock était spécialisée. Il s'agissait pour les ban­ques d'investissement de trouver deux interlocuteurs avec des besoins complémentaires sur les marchés financiers et de négocier un échange entre eux qui génère des bénéfices mutuels, ce qui valait aux ban­ques de belles commissions.

    Imaginons, par exemple, deux propriétaires qui ont 500 000 dol­lars de crédit immobilier sur 10 ans. L'un bénéficie d'un taux d'inté­rêt flottant tandis que l'autre a un taux fixe à 8%. Si le propriétaire à 8% attend que les taux baissent, et que l'autre attend qu'ils montent, alors, plutôt que de négocier chacun un nou­veau prêt, ils peuvent se mettre d'accord pour que chaque trimestre, pendant la durée de leur prêt, ils « échangent » leurs paiements. Les prêts ne changent pas de mains, ils restent bien dans les banques d'origine. C'est ce que les banquiers appellent un accord « synthéti­que ».

    Salomon Brothers a été l'un des premiers banquiers à exploiter le potentiel des échanges de produits dérivés lorsqu'il a négocié un ac­cord complètement précurseur entre IBM et la World Bank en 19813. En 1979, David Swensen, titulaire d'un doctorat de Yale, nouveau venu au sein du département négociation de Salomon Brothers, avait repéré qu'IBM avait besoin d'augmenter sa réserve de dollars. La société américaine détenait aussi des quantités excessives de Francs suisses et de Marks qui provenaient de la vente d'obligations afin d'augmenter les réserves dans ces deux monnaies. Normalement, IBM devait aller sur le marché des devises pour acheter des dollars. Swensen comprit alors qu'IBM pouvait échanger un peu de ses francs et de ses marks contre des dollars, sans avoir besoin de les vendre : il fallait trouver un partenaire pouvant émettre des obligations en dollars afin qu'elles coïncident avec celles d'IBM en francs et en marks.

    La World Bank était un candidat potentiel : elle avait toujours besoin de cash dans beaucoup de devises. Comme dans l'exem­ple de nos deux propriétaires qui rédigent un contrat pour échanger les termes de leur prêt hypothécaire, IBM et la World Bank pou­vaient échanger les gains de leurs obligations et leurs obligations de porteurs sans qu'aucune obligation ne change de main. En 1981, après deux ans de discussions sur les détails, Salomon Brothers an­nonça qu'il venait de conclure le premier échange de devises du monde, entre IBM et la World Bank, pour une valeur de 210 millions de dollars sur dix ans.

    Cette nouvelle forme de contrat se répandit vite dans Wall Street et la City à Londres pour devenir quelque chose de très complexe. Les banquiers semblèrent alors être investis de pouvoirs faramineux. En utilisant les produits dérivés, ils pouvaient démonter des avantages existants ou des contrats et en rédiger de nouveaux qui les faisaient réapparaître sous des formes complètement nouvelles, leur valant ainsi des rémunérations énormes.

    Evidemment, pour réaliser ces contrats, il fallait trouver deux par­tenaires qui soient convaincus d'en tirer un bénéfice. Dans la finance synthétique, tout comme dans les vrais marchés, les contrats ne peu­vent se signer que s'il y a un acheteur pour chaque vendeur. Mais étant donné la globalisation du monde bancaire et le nombre des joueurs dans l'économie mondiale qui avaient des besoins complémentaires et des attentes différentes au niveau des conditions du marché, les banquiers avaient un large éventail d'options. Certains joueurs avaient besoin de marks, d'autres voulaient des dollars.

    D'autres encore voulaient se protéger contre des augmentations de taux d'intérêt alors que le reste croyait que les taux avaient des chances de baisser.

    Les joueurs aussi avaient des raisons différentes de vouloir parier sur les prix à venir d'éléments actifs. Certains investisseurs aimaient les produits dérivés parce qu'ils voulaient contrôler le risque comme les cultivateurs de blé qui préféraient clôturer sur un prix rentable. D'autres voulaient les utiliser pour faire des paris à haut risque dans l'espoir de faire des bénéfices. Ce qu'il faut savoir à propos des pro­duits dérivés, c'est qu'ils pouvaient aider les investisseurs à réduire le risque ou à faire une bonne affaire avec davantage de risque. Tout dépendait de la façon dont on les utilisait, des raisons et des compé­tences de ceux qui tiraient les ficelles.

    A l'époque où l'équipe des swaps chez JP Morgan arrivait au Boca Raton en juin 1994, le volume total du taux d'intérêt et des produits dérivés de devises dans le monde était estimé à 12 000 milliards de dollars, soit beaucoup plus que la valeur de l'économie américaine. La vitesse à laquelle le marché s'est développé a vraiment pris tout le monde de court. C'était vraiment remarquable, se souvient Peter Hancock qui avait été un élément essentiel de ce développement.

    A beaucoup d'égards, la carrière de Hancock a fait de lui l'homme idéal pour participer à cette gigantesque vague d'innovation. Il était né en 1958 au sein d'une famille anglaise de la haute société bour­geoise à Hong Kong. Comme beaucoup d'enfants issus de ce milieu et de cette génération, il avait été envoyé dans un pensionnat anglais où il excellait en rugby. Il avait décidé de devenir un grand inven­teur. Après de nombreuses heures passées dans les livres de science, il était parti pour Oxford où il avait étudié la physique. Ses objectifs fu­rent bousculés lorsqu'il se blessa gravement pendant un match de rugby. Cloué au lit pendant un long moment, il ne pouvait pas se dé­placer dans le laboratoire de physique. C'est à ce moment-là qu'il opta pour la philosophie, la politique et l'économie qui étaient des matières plus faciles à étudier en étant allongé. Lorsqu'il obtint son diplôme, il se prit d'intérêt pour le milieu bancaire et les principes de la liberté des marchés. J'ai décidé que devenir inventeur allait devoir attendre, se souvient-il.

    Il avait choisi de faire un métier qui lui rapporterait plus d'argent que ce que pouvait lui apporter le milieu scientifique. C'était le genre de décision que l'on retrouvait fréquemment chez les étudiants brillants de cette époque-là. La City de Londres et Wall Street étaient de plus en plus attirants.

    Fraîchement diplômé, il postula pour des emplois au sein de sociétés internationales en pensant rouler sa bosse un peu partout. Mais, lorsqu'il reçut une proposition de travail pour la succursale à Londres de Morgan Guaranty Trust Company ( c'est-à-dire la banque Morgan ) qui devait s'appeler plus tard JP Morgan, il ne se posa pas de questions et accepta. C'était un choix pour le moins inhabituel pour un diplômé anglais. La City de Londres était dominée par des banques anglaises et, bien que des groupes américains se soient bien implantés dans la City pendant les années 70, les institutions de Wall Street recrutaient massivement des diplômés américains. Mais JP Morgan avait toujours eu une identité multiculturelle4. Bien connue pour être l'une des sociétés les plus importantes de Wall Street, ses racines étaient bien dans la City, là où le banquier améri­cain Junius Spencer Morgan s'était chargé de la société anglaise de courtage George Peabody & Co en 1864 pour la rebaptiser JS Mor­gan & Co. Son fils John Pierpont Morgan avait travaillé dans l'entre­prise pendant quelques années puis on l'avait envoyé à New York où il s'était associé à la riche famille Drexel : Drexel Morgan & Compa­ny était née. A la mort d'Anthony Drexel, l'entreprise prit le nom de JP Morgan. La banque américaine devint rapidement une mine d'idées. John Pierpont Morgan géra lui-même plusieurs gros dossiers et fusionna avec brio un certain nombre d'entreprises sidérurgiques qu'il avait achetées pour former la sidérurgie américaine. Il finança également de grosses affaires dans le chemin de fer, le transport maritime, l'exploitation minière du charbon et autres secteurs clés de l'industrie. A la fin du XIXe siècle, le groupe était devenu tellement omniprésent qu'il sembla exercer autant de pouvoir sur les marchés financiers que le gouvernement américain lui-même.

    Lorsque la crise frappa Wall Street en 1893, Morgan lui-même mit en place un syndicat pour fournir au Trésor américain la somme de 65 milliards de dollars en or, garantissant ainsi sa solvabilité. Dans la panique de 1907, lorsque la Bourse de New York perdit la moitié de sa valeur, Morgan injecta de grosses sommes d'argent venant de sa fortune personnelle et rallia d'autres banquiers de pointe à sa cause. Il étayait ainsi le système bancaire.

    Au cours des années qui ont suivi la seconde guerre mondiale, la banque perdit une partie de son pouvoir. Après la faillite de 1929, une réaction populiste à l'encontre de Wall Street amena l'introduc­tion du Glass-Steagall Act pour obliger les banques à séparer les opé­rations qu'elles effectuaient sur les marchés de capitaux – la gestion des dettes et des valeurs mobilières – et celles réalisées dans les ban­ques de dépôts. L'empire JP Morgan fut amené à se diviser pour créer plusieurs entités comme Morgan Stanley, le courtage américain, Morgan Grenfell, un courtage anglais et JP Morgan, qui se consacrait à la banque de dépôt. Mais la banque maintint un rapprochement peu habituel avec les deux gouvernements et des clients puissants de premier ordre comme Coca-Cola et AT&T. Le patrimoine internatio­nal de la banque était également préservé à tel point que le personnel de JP Morgan plaisantait parfois en disant que faire partie du groupe, c'était comme entrer dans la diplomatie ou au service de la Grande-Bretagne mais avec un salaire beaucoup plus élevé. Lorsque Peter Hancock rejoignit la banque, il fut envoyé à New York pour suivre une formation d'un an en compagnie d'une cin­quantaine d'autres recrues dont la moitié seulement étaient américai­nes. Ce fut une expérience vraiment extraordinaire. Il y avait des Chinois, des Malaisiens, des Français. Nous logions tous en­semble dans un petit immeuble dans le sud de la Upper East Side à Manhattan, raconte Hancock.

    La formation en elle-même pourtant ne satisfaisait pas beaucoup la passion de Hancock pour tout ce qui était innovant. Le « Programme de gestion de la banque de dépôt » tel qu'il était nommé, se déroulait au siège historique de la banque, c'est-à-dire au numéro 23 de Wall Street, juste en face de la rue de la bourse dans un impressionnant immeuble à colonnes où J. Pierpont Morgan lui-même avait travaillé. La première moitié de la formation avait lieu dans une salle de classe, on apprenait les rudiments fondamentaux de la banque et cela différait peu de ce qui se faisait à l'époque de JP Morgan : évaluer le risque de crédit en lisant le bilan d'une entreprise et en analysant ses résultats. L'objectif de la formation était d'ap­prendre à mesurer le risque qu'une entreprise pouvait prendre sur un prêt, élément clé du système de fonctionnement de la JP Mor­gan. Pour l'autre partie de la formation, les recrues devaient se comporter comme des analystes subalternes dans des transactions concrètes.

    Les stagiaires devaient passer le plus de temps possible à décorti­quer les chiffres de l'entreprise. Quelques années auparavant, ces cal­culs se faisaient encore à la main. Lorsqu'ils avaient besoin de voir le prix d'obligations, ils consultaient un énorme livre de barèmes. Mais, au moment où Peter Hancock assurait la formation, les calculatrices de poche programmées, qui déterminaient le cash flow de l'entreprise et mesuraient le risque, commençaient à faire fureur. Un nouvel éli­tisme technologique faisait la loi et les stagiaires se trouvaient à l'avant-garde d'une nouvelle espèce audacieuse de banquier.

    Chez les stagiaires de la banque Morgan, pourtant, on insistait bien sur le fait que les mathématiques ne représentaient qu'une par­tie des opérations bancaires  comme par exemple les relations avec les clients et la réputation, avait aussi une grande im­portance. Dans les années 30, au moment de la levée de bouclier contre Wall Street, la crédibilité du fils de J. Pierpont Mor­gan – J.P « Jack » Morgan Jr – avait été mise à mal par le Congrès. Il avait expliqué que son objectif, au sein de la banque, était de diriger une entreprise de première classe avec toute la maîtrise due à son rang. Cinquante ans plus tard, ce mantra pour le moins étonnant de Jack Morgan étonnait une bonne partie du monde de la banque. Des années d'innovation audacieuse avaient fait du commerce à haut ris­que et de la transaction offensive le critère rêvé de tous et c'était l'éthique du « tuer ou être tué » qui l'emportait.

    Au 23 de Wall Street, pourtant, les cadres supérieurs parlaient toujours de la banque comme s'il s'agissait d'un art noble où les rela­tions à long terme et la loyauté avaient leur importance, tant au ni­veau des transactions avec les clients qu'à l'intérieur de la banque. Tandis que, dans d'autres banques, on s'attachait à trouver des ac­teurs vedettes auxquels on proposait des bonus énormes et qu'on en­courageait à rivaliser pour être le premier, chez Morgan, on favorisait le travail d'équipe, la loyauté de l'employé et l'engagement à long terme envers la banque.

    Une bonne partie du personnel n'avait travaillé que chez JP Mor­gan et, même si la banque payait moins que la plupart de ses concur­rents, on avait en échange une meilleure sécurité de l'emploi. On prévenait solennellement les jeunes stagiaires pendant la formation que si la banque pouvait tolérer des erreurs de jugement, une erreur de principe était un motif de licenciement. Une banque de première classe, tel que le spécifiait le mantra.

    Hancock réussit la formation haut la main et retourna au bureau de Londres où il demeura pendant quelques années. Il était chargé d'analyser la solvabilité des compagnies pétrolières de la Mer du Nord. C'était un travail en or parce que les industries pétrolières de Norvège et de Grande-Bretagne commençaient à prospérer. Mais Hancock avait envie d'autre chose. A la City, il voyait bien autour de lui que les produits dérivés comme les échanges étaient en pleine mu­tation. Et il voulait en être.

    La banque Morgan était considérée comme trop rigide pour être pionnière dans les domaines de pointe. Les vrais innovateurs, c'était Salomon Brothers et Bankers Trust qui savaient se montrer offensifs et iconoclastes. Peu de temps après que Salomon ait annoncé son échange sur IBM et World Bank, JP Morgan partit en quête des mê­mes objectifs.

    Au départ, tout n'est pas parti de JP Morgan mais de la branche à Londres de la succursale d'une entreprise connue sous le nom de Morgan Guaranty Limited ( MGL ). Le Glass-Steagall interdisait à la principale banque de New York d'intervenir sur les marchés de capi­taux, autorisée en revanche à l'étranger. Les autorités de régulation à Londres adoptèrent une attitude plus souple en per­mettant aux banques de proposer des services plus variés. C'est ainsi que Morgan Guaranty a bâti sa bonne réputation sur les marchés de capitaux. Dans les années 60, le talentueux trader Dennis Wea­therstone était à la tête d'une affaire florissante sur le marché des changes. Dix ans plus tard, elle passa dans le secteur de l'émission de ti­tres de l'entreprise. Le succès fut éclatant, en partie parce que les en­treprises américaines comprirent qu'elles pouvaient payer moins d'impôts à Londres qu'à New York.

    Ce créneau permit à Morgan Guaranty d'entrer dans le secteur des swaps et, dès le début des années 80, la banque Morgan a pu commencer à proposer des affaires à ses clients par l'intermédiaire de sa filiale à Londres. Cela lui permettait de profiter de la magie des swaps. C'est l'exemple parfait d'une innovation géniale qui corres­pondait parfaitement aux besoins du client. Cela a vraiment apporté des solutions, rappelle Jakob Stott, l'un des jeunes banquiers qui faisait partie de l'équipe des swaps.

    Il faut bien avouer que ces contrats relevaient de la performance. Avant qu'un contrat ne puisse être conclu, il fallait trouver deux par­tenaires dont les besoins concordaient. Cela pouvait déjà prendre des semaines. L'un des premiers contrats à avoir été signé concernait un swap entre le gouvernement autrichien et la Commerzbank. Les em­ployés passèrent un après-midi entier à taper les détails sur un telex et à expliquer très clairement les cash flows à venir à leurs clients. Dans les années 80, le rythme s'est amélioré. Les bénéfices aussi.

    Les jeunes traders du groupe étaient complètement excités par leur pouvoir grandissant et la liberté dont ils disposaient. Dans la banque, en dehors de l'équipe des swaps, rares étaient ceux à savoir comment fonctionnaient les affaires et Connie Volstadtle, leader de l'équipe, connu pour être l'un des esprits les plus brillants dans le monde des produits dérivés, jouissait d'une grande autonomie. Vols­tadt affichait un mépris total envers les cadres supérieurs de la ban­que Morgan et révélait les détails les plus infimes sur les transactions de l'équipe. Les membres de l'équipe adoraient taquiner ceux qui étaient dans les départements les plus fermés. Nous avions le sentiment d'être à part, détachés de tous, d'être une petite équipe très liée, se souvient Stott.

    De temps à autre, les cadres supérieurs de la direc­tion tentaient de couper les ailes de l'équipe des swaps. En 1986, Le­wis Preston, qui était alors le directeur de JP Morgan, était parti pour Londres et avait contesté la façon dont Volstadt appréciait la valeur des transactions. A ce moment-là, JP Morgan, tout comme les autres banques, n'était pas très claire sur la façon dont elle mesurait la valeur des transactions d'échanges car les directives comptables n'étaient pas encore mises au point.

    Vous dites que votre groupe a réalisé un bénéfice de 400 mil­lions de dollars, avait lancé Preston à Volstadt. Mais j'ai plu­tôt l'impression qu'il s'agit d'une perte de 400 millions de dollars. Furieux, Volstadt avait nommé une équipe de jeunes analystes et des stagiaires pour réexaminer chaque justificatif où étaient enregistrés les contrats et lorsqu'il prouva ce qu'il avait affirmé, Preston céda. Cet épisode était révélateur de la façon dont la direction considérait les traders des swaps. Pour elle, il s'agissait d'un groupe d'adolescents brillants mais difficiles.

    Tandis que Hancock observait les bonnes affaires réalisées par le groupe des swaps depuis sa cage dorée dans l'équipe de la banque de dépôt de JP Morgan, il était fasciné et impatient de se joindre à eux. Alors, en 1984, il rejoignit le groupe de liaison à Londres et en 1986, il se débrouilla pour aller à New York où la banque dévelop­pait son opération de produits dérivés. Les dirigeants de JP Morgan avaient compris, pour leur plus grand bonheur, qu'il n'y avait pas de clause explicite dans le Glass-Steagall allant à l'encontre de l'exploi­tation des produits dérivés.

    Au départ, le rôle de Hancock au sein de l'équipe était plutôt mo­deste. Il s'occupait d'une petite équipe de finances qui utilisait les swaps pour le bilan des actifs et des passifs de la banque. Mais Han­cock était quelqu'un de structuré et d'opportuniste et il trouva rapi­dement des moyens de se rendre visible. Après l'effondrement de la bourse en 1987, les taux d'intérêt avaient chuté et la banque dut faire face à des pertes inexpliquées assez importantes au niveau de ses produits dérivés. Hancock dut s'expliquer à propos de ce qui s'était passé devant la direction de la banque et il se retrouva à gérer un pe­tit bureau au siège qui s'occupait de produits connus sous le nom de « plancher » et de « casquette ».

    Lorsque la banque devint JP Mor­gan en 1988, Hancock, en navigateur avisé, mit en place une équipe qui se déplaçait dans Manhattan avec un gros logo JP Morgan. Cela attira l'attention, surtout depuis que l'équipe de Hancock avait battu de peu le navire Goldman Sachs. Il apprit tout ce qu'il pouvait à pro­pos du fonctionnement des produits dérivés. Il fit impression aussi sur Dennis Weatherstone, le directeur de la banque. Weatherstone était un personnage légendaire. Il venait de la classe ouvrière anglaise et c'est d'abord à l'âge de seize ans qu'il rejoignit la banque en tant que coursier à Londres. Il devint ensuite un trader brillant au niveau des devises étrangères puis il finit par monter tout en haut de la hiérarchie.

    En 1988, une occasion se présenta pour Hancock. Connie Vols­tadt partit chez Merrill Lynch, emmenant avec lui une demi-douzaine de ses collaborateurs. Cela généra un problème. Dans les autres banques, la manière évidente de combler l'impor­tant manque à gagner laissé par le départ de Volstadt aurait été d'embaucher un nouveau gourou et de construire une nouvelle équipe venue des banques concurrentes. Mais JP Morgan embauchait rarement des étrangers à des postes de cadre supérieur. La grande majorité de ses cadres avaient grimpé les échelons assurant ainsi à la banque sa culture d'entreprise. Les cadres supérieurs nommaient à l'origine certains des salariés de la jeune équipe de Volstadt pour prendre la suite.

    Il devint bientôt évident qu'ils ne pouvaient pas le remplacer et Hancock saisit sa chance.

    En 1990, il avait trente deux ans et on le trouvait trop jeune pour diriger un département. Mais il savait comment s'y prendre et son nom commença à circuler. Un an après le départ de Volstadt, Wea­therstone annonça que Hancock allait prendre la direction de l'équipe des swaps. Parfois dans la vie, vous avez une chance soudaine qui se pré­sente à vous alors il faut la saisir ! se souvient Hancock. Le soi-disant inventeur avait l'opportunité de laisser libre cours à ses envies.

    Pendant les quatre années qui suivirent, Hancock surfa sur la va­gue des produits dérivés. Lorsque les swaps avaient décollé, JP Mor­gan n'était pas du tout considéré comme innovateur. En 1994, ses compétences étaient aussi bonnes que celles de ses concurrents. Et même, la banque possédait quelques avantages que les autres n'avaient pas. Respecté en tant que prêteur commercial, Morgan avait accès à une grande variété de sociétés de premier ordre et....


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  •   

    2010       283 p.      21 €

       La banane est le premier fruit consommé dans le monde. Il y a dix ans environ, elle cristallisait les enjeux : désastre toxique, économie inéquitable, Alistair Smith démontre qu'il était absolument nécessaire d'agir. Dans cet ouvrage, il retrace l'initiative internationale qui a permis de relier les petits producteurs, les travailleurs des plantations et les consommateurs des pays du Nord, et de faire naître la banane équitable. C'est le début d'une longue saga, dont les grandes compagnies bananières et les organismes internationaux de régulation deviendront progressivement des acteurs essentiels, et qui mènera à la construction d'une filière aussi durable que possible. Alistair Smith nous présente les perspectives qui s'ouvrent aujourd'hui et démontre que ce modèle de filière pourrait permettre d'améliorer bien d'autres filières en termes de justice sociale, de répartition des richesses et de protection de l'environnement.

     
    Alistair Smith est le fondateur de Banana Link, association qui a promu le commerce équitable et durable dans la filière banane.

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  • Une centrale nucléaire américaine cernée par les eaux (21/06/2011)

        Fort Calhoun, une crue du Missouri a provoqué une inondation début juin (Nati Harnik/AP)

     

    Si d'énormes quantités d'eau sont indispensables au bon fonctionnement des centrales nucléaires, l'actualité récente a montré que ces mêmes centrales étaient très vulnérables à l'eau avoisinante. Il y a Fukushima, bien sûr. Ses systèmes de refroidissement ont été noyés par le tsunami qui a frappé les côtes japonaises, conduisant à une catastrophe hors normes.

     

    Mais il y a aussi la centrale de Fort Calhoun, aux Etats-Unis, qui a souffert d'une crue du Missouri. Un incident survenu le 7 juin et qui, curieusement, n'a que peu été relayé.

     

    Que s'est-il passé à Fort Calhoun ? Au début du mois de juin, des pluies diluviennes ont frappé le Nebraska au moment où fondaient les neiges des Rocheuses. Cette crue a contraint les autorités à relâcher l'eau d'un barrage en amont de la centrale.

     

    Pour que fonctionnent les circuits de refroidissement, les centrales sont toujours construites près de l'eau – du Missouri pour Fort Calhoun, de l'océan pour Fukushima ou d'un canal de dérivation du Rhône pour la centrale du Tricastin, en France.

     

    Quand le niveau du Missouri a brusquement monté, le 6 juin, certaines parties de la centrale ont été inondées, comme le montre la photo ci-dessus. La situation a conduit les responsables de la centrale à diffuser un premier bulletin rapportant un "unusual event" – un "événement inhabituel", le premier degré dans la classification des incidents par le régulateur américain.

     

    Le 7 juin, un deuxième bulletin est émis. Il fait état de dégagement de fumée dans les installations. Et cette fois-ci, il s'agissait d'une "alerte", le niveau au-dessus de l'événement inhabituel.

     

    Rapidement, le Nuclear Regulatory Commission (NRC) a rassuré la population, expliquant qu'il y avait eu un dégagement de fumée que les services d'incendie ont pu stopper en moins de cinquante minutes. Cependant, la centrale "a brièvement perdu sa capacité à refroidir les piscines où est stocké le combustible usagé".

     

    En prévision de ces intempéries, rappelle le New York Times, la centrale avait été arrêtée en avril. Mais on ne stoppe pas l'activité du combustible en appuyant sur un bouton. Des semaines et des semaines sont nécessaires à son refroidissement complet. Et c'était justement dans les piscines que refroidissait le combustible...

        Rumeurs. Bien que le NRC ait toujours affirmé que la situation était sous contrôle et que les systèmes de sécurité ont parfaitement fonctionné, de nombreuses rumeurs ont circulé ça et là. Au point que l'opérateur de la centrale, rapporte le blog Sciences², a dû lister ces rumeurs pour mieux les démentir.

     

    Ainsi, l'Omaha public power district assure qu'aucune fuite radioactive n'a eu lieu, qu'il n'y aura pas de coupure massive de courant, que les piscines n'ont jamais été sur le point d'entrer en ébullition ou encore que le niveau d'alerte maximal n'a pas été atteint.

     

    A chaque événement ses rumeurs plus ou moins farfelues, certes. Mais peut-on vraiment blâmer l'inquiétude des Américains quant au risque d'accident nucléaire ? De Tchernobyl à Fukushima, l'industrie et les Etats n'ont pas vraiment fait montre d'une transparence à toute épreuve.

     

    Une installation sûre ? Que ces incidents aient inquiété la population vient aussi du fait que le NRC avait, l'an dernier, mis en garde les gestionnaires de la centrale contre les risques que présentait une inondation importante.

       "Après  inspection des installations entre janvier et juin 2010, le NRC estime que la centrale de Fort Calhoun n'a pas les installations adéquates pour se protéger contre des inondations. (...) Et ce en opposition avec les spécifications techniques établies par l'organe régulateur."

    Selon le porte-parole du NRC, cité par le New York Times, tout a depuis été mis en œuvre par l'opérateur pour pouvoir faire face à une inondation...

     

    ****

     

    A lire dans Télérama du 15 juin une excellente interview de Bernard Laponche : "Il y a une forte probabilité d'un accident nucléaire majeur en Europe"

      sciences.blog.lemonde.fr/.../inondation-autour-une-centrale...

      Sources : (sur www.lepost.fr )

    http://www.nirs.org/reactorwatch/accidents/fortcalhoun.htm
    http://groupes.sortirdunucleaire.org/Serie-noire-a-la-centrale?var_mode=calcul
    http://bellaciao.org/fr/spip.php?article118310
    http://www.dazibaoueb.fr/article.php?art=23651#entete


       PS : En avez vous entendu parler dans les médias? Non. 
    Ou est la liberté d'expression? Officiellement elle existe. 

        Savez vous que notre pays est classé 44 éme par Reporter Sans Frontière, derrière le Ghana, le Mali, la Namibie, le Surinam, le Costa-Rica, la Papouasie-Nouvelle Guinée et juste avant Chypre et l'Italie qui est 49 éme dans son classement relatif à la liberté de la presse?

    Depuis 2002 et l'arrivée aux affaires de notre très cher président notre nation a perdue 33 places, rien de moins...
     

    Publié par   Prismo Esse

    post non vérifié par la rédaction

    Une nouvelle centrale nucléaire inondée aux Etats-Unis.

     

     La centrale nucléaire de Fort Calhoun constituée d'un réacteur de 500 MW à eau pressurisée, dans l'état du Nebraska est belle et bien envahie par les eaux de la crue du Missouri depuis le 6 Juin. D'après le réseau sortir du nucléaire, Les déchets contenants du Césium 137 entreposés sur le site depuis 1992 détiendraient un risque de contamination plus conséquent que la quantité relâchée par les quatre réacteurs de Fukushima. Un risque non négligeable existe en dehors de celui de la submersion des piscines qui contiennent 670 tonnes de combustible usagé pour une radioactivité de 100 millions de curies, la crue peut endommager le système électrique de refroidissement et d'alimentation de la centrale. Seule une digue en sac de sable aurait été construite en urgence pour assurer un semblant de sécurité. Fort Calhoum est actuellement en alerte maximale...


    D'après un réseau non gouvernemental (http://www.nirs.org/reactorwatch/accidents/fortcalhoun.htm), un rejet d'eau potentiellement irradiée c'est produit le 13 Juin à raison d'environ 400 litres par minutes et ce pendant une durée indéterminée. Le 17 Juin, l'Omaha Public Power District qui gère la centrale a signalé l'existence d'un "trou" dans le sol qui aurait pu affecter la sécurité du site lié à l'inondation. Ce trou aurait été comblé le jour même.


    Cette centrale était à l'arrêt pour rechargement d'un tiers de son combustible depuis le 9 Avril quand la crue s'est produite. Le 7 Juin, après le début de l'inondation, un incendie s'est déclaré dans une armoire électrique provoquant une coupure pendant plus de 90 minutes

    , stoppant entre autres le refroidissement des piscines. Les aires de stockage de Fort Calhoum sont à l'heure qu'il est totalement envahies par les eaux !


    Le débordement du Missouri qui a commencé le 21 Mai menace maintenant la centrale de Cooper. Une nouvelle alerte pour cette centrale a été lancée. Si l'eau monte encore de 30 cm, cette centrale sera elle aussi arrêtée.

    Sources :
    http://www.nirs.org/reactorwatch/accidents/fortcalhoun.htm
    http://groupes.sortirdunucleaire.org/Serie-noire-a-la-centrale?var_mode=calcul
    http://bellaciao.org/fr/spip.php?article118310
    http://www.dazibaoueb.fr/article.php?art=23651#entete

    PS : En avez vous entendu parler dans les médias? Non. 
    Ou est la liberté d'expression? Officiellement elle existe. 
    Savez vous que notre pays est classé 44 éme par Reporter Sans Frontière, derrière le Ghana, le Mali, la Namibie, le Surinam, le Costa-Rica, la Papouasie-Nouvelle Guinée et juste avant Chypre et l'Italie qui est 49 éme dans son classement relatif à la liberté de la presse?
    Depuis 2002 et l'arrivée aux affaires de notre très cher président notre nation a perdue 33 places, rien de moins...


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  •     Comment Wal-Mart a épuisé les Etats-Unis

    On nous dit que la deuxième partie de la crise serait financière. Mais quid de la demande. L'Etat est exsangue, personne ne parle du pouvoir d'achat des classes populaires et moyennes, et pourtant. 

      Wal-Mart va mal. Le Monde qui se trompe rarement le dit : «Wal-Mart lutte pour maintenir ses profits». Ce n’est pas bon du tout pour l’économie américaine. Le leader mondial de la distribution avait pourtant très bien résisté à la première phase de la crise. En 2008 le cours de son action avait même gagné quelques points quand tous les autres dévissaient. 

      L’enseigne est faite pour prospérer par temps de crise. Un concept génial !  « Everyday low price » , l’idée de Sam Walton. Dans ses magasins les prix sont bas toute l’année. Finies les promotions, ces attrapes gogos. En une génération le distributeur est devenu le leader mondial de son marché.

      En 2008, grâce à ce concept chaque foyer américain a économisé 2 300 dollars par an. Pas mal, au moment où ils ont du mal à finir leur fin de mois. Du bel ouvrage. Un vrai avantage pour le consommateur.

      Tout pour réussir, sauf qu'avec son idée notre distributeur a tué la demande aux EU.

      Pour tenir ses objectifs les salariés n’ont le droit qu'au minimum vital. Rien que le salaire de subsistance de Marx. Aucun syndicat c'est l'objectif donné aux managers. Au Québec des salariés avaient réussi à ouvrir une section syndicale, sur le champ le distributeur avait fermé le magasin. C’est le coût social du « every day, low price ». Une très sérieuse étude publiée en 2009 constate que dès qu’un magasin Wal-Mart s’installe quelque part les salaires baissent dans le district de 5,4 % ! Ce n’est pas tout, la plupart de ses salariés ne bénéficient d’aucune couverture sociale… Et pourtant ceux-là n’ont pas à se plaindre, ils ont du travail.
       Car du côté des fournisseurs c’est encore moins la fête du slip. D’après deux journalistes français spécialistes de l’enseigne c’est grâce à notre Mammouth que plus aucun Lewis n'est fabriqué aux States. Un exemple parmi d’autres, beaucoup d’autres, Wal-Mart est responsable d’un très grand nombre de délocalisations aux EU. En exigeant de ses fournisseurs 10 % de baisse de prix chaque année la centrale d’achat a mis beaucoup d’Américains au chômage. Merci qui ? Aujourd’hui 80 % des produits vendus par les magasins de l’enseigne sont fabriqués en Chine. Quand on sait que le chiffre d’affaires de Wal-Mart est supérieur au PNB de la Suède, ça fait beaucoup.  


      Il arrive ce qui devait arriver. Le temps des allocations chômages, les gens consommaient encore un peu. Puis ils n'ont même plus les moyens d’acheter les produits chinois de chez Wal-Mart. Ou comme le dit le PDG de Wal-Mart : « Il est évident que les clients sont encore en difficulté. Ils achètent moins pour s'ajuster à leur budget ». Quel doux euphémisme, ils n’ont même plus un cent dans leurs portes-monnaie. Wal-Mart les a tous fait licencier. Ils n’ont plus de travail, donc plus d’argent. 

       Ce n’est pourtant pas compliqué l’économie. La société de consommation n’existe pas sans revenu et donc sans travail.    

       Un livre de référence sur le sujet : Travailler plus pour gagner moins. La menace Wall-Mart. G Blassette et LJ Baudu, Buchet Chastel 2008.

     
    Lundi 22 Août 2011    Bertrand Rothé
     B. Rothé, certifié en cuisine, a des aptitudes professionnelles en économie, puis que la faculté l’a Agrégé. Il enseigne à l’Université de Cergy-Pontoise. 
    Il vient de publier au Seuil avec Gérard Mordillat "Il n'y a pas d'alternative ; Trente ans de propagande économique" au Seuil. Son précédent ouvrage, "Lebrac, trois mois de prison" (Seuil, 2009) a reçu le prix Jean-Baptiste Botul. 
    Son projet : 
    Plus j’essaie de comprendre comment fonctionne la science économique, plus j'ai le sentiment que cette science est le moyen d’imposer le point de vue d’une minorité sous le couvert de rationalité. Cette science se développe pour contourner la démocratie. Elle permet d’imposer à tous, la volonté d'un petit groupe d'individus. "il n’y a pas d’alternative" est devenue le leitmotiv conclusif de très nombreux économistes. On essaie de vous faire croire, de nous faire croire que tout est économique, et que la rationalité économique – la Raison, autrement dit, seule, unique et indiscutable – impose d'elle-même les décisions. 
    C’est souvent faux. Il y a des alternatives. 
    Avec ce blog, je veux montrer et démontrer que de très nombreuses analyses et décisions économiques dissimulent en fait un point de vue politique, le point de vue d’un groupe qui essaie de se défendre ou de conquérir un peu plus de pouvoir.

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  • Surendettement : rembourser avant de manger

    (Crédit photo : DR)
    Exclusif - Un décret vient de modifier le calcul des saisis sur salaire des surendettés. Des travailleurs pauvres devront vivre avec moins pour rembourser plus vite leur dû.

    Quelques mots retirés par décret dans le Code du travail vont bouleverser le quotidien de milliers de personnes surendettées. Les parlementaires ont adopté le 14 décembre un décret modifiant le calcul du « reste à vivre » des surendettés.

    De quoi s’agit-il ? La règle en matière de surendettement veut que les personnes salariées peuvent être contraintes par une commission de surendettement de rembourser leurs créances via une saisie automatique sur salaire. Un « reste à vivre » est dans tous les cas préservé pour le salarié, pour qu’il puisse subvenir à ses besoins minimum. Jusqu’à aujourd’hui, ce reste à vivre était proportionnel au nombre de personnes à la charge du salarié. Une personne seule préservait au minimum un montant égal à celui du RSA socle, c’est à dire 466 euros, mais cette somme était croissante en fonction du nombre de membres du foyer (voir le barème par ici).

    La moitié du seuil de pauvreté

    C’est cette variable qui vient d’être supprimée dans le Code du travail. Si bien que le reste à vivre sera le même pour un salarié seul que pour un salarié parent de plusieurs enfants, dès l’entrée en vigueur de la loi, c’est à dire en février 2013. Contacté par Terra eco, Jean-Louis Kiehl, président de l’association d’aide aux surendettés Crésus dénonce une mesure « prise en catimini ». « Ce changement vise à venir en aide aux créanciers qui veulent récupérer plus vite leurs fonds. Mais on s’attaque là aux familles dont les parents sont des travailleurs pauvres, cela sera dévastateur », estime-t-il .

    Difficile de cerner exactement combien de personnes seront frappées par cette modification. En 2011, on estime à près d’un million le nombre de ménages en situation de surendettement en France. Mais exactement 50% des particuliers surendettés sont au chômage, sans profession ou sans activité (invalidité, congé maladie de longue durée ou congé parental) et ne seront donc pas concernés. Par ailleurs, tous les dossiers de surendettement n’aboutissent pas à une saisie sur salaire, bien au contraire. Enfin, la part de salaire « saisissable » dépend du montant des revenus et de la nature des créances contractées. La part du salaire restant à la disposition du salarié est donc souvent supérieure au montant du RSA.

    Toutefois, un rapport de la Banque de France montre que 47% des surendettés ont au moins une personne à charge. Et 13% d’entre eux ont trois personnes ou plus à charge. Une chose est donc sûre : des familles dont le ou les parents travaillent seront contraintes de vivre avec 466 euros par mois seulement, soit deux fois moins que le seuil de pauvreté calculé pour une seule personne, parce qu’elles ont contracté trop de crédits.


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