• Caricature et religion

     

    Caricature et religion : un cocktail explosif qui ne date pas d'hier

    Créé le 21-09-2012
    Audrey Salor    Par   Nouvel Observateur
     
     

    En 1904, "la France est au bord de la guerre civile", rappelle Jean Baubérot, historien et sociologue de la laïcité. Interview.

    La Une de "Charlie Hebdo". (THOMAS COEX / AFP)

    La Une de "Charlie Hebdo". (THOMAS COEX / AFP)
     

    En France, le catholicisme a-t-il été tourné en dérision de la même manière que l'est l'islam aujourd'hui ?

    - A la fin du XIXe et au début du XXe siècle fleurissent des caricatures visant les catholiques, sous l'effet de la loi sur la liberté de la presse de 1881. Elles émanent la plupart du temps des milieux libres-penseurs.

    La presse nationaliste, souvent catholique, cible de son côté les juifs et les protestants. Les premiers n’osent protester, alors que les caricatures antisémites se multiplient. Mieux intégrés, les protestants portent plainte. Des journaux comme "La Délivrance" ou "Le Pays" sont condamnés à de telles amendes qu'ils mettent fin à ces pratiques.

    Oui, les catholiques sont donc tournés en dérision. Mais il faut souligner qu'ils sont au moins aussi forts que leurs adversaires, et répliquent en tournant à leur tour en dérision les antis-catholiques. Cléricalisme et anticléricalisme s'équilibrent dans la satire.

    Quelles réactions ces moqueries suscitent-elles ?

    - En 1904, ce climat conduit la France au bord de la guerre civile. Certaines minorités actives, qui parviennent à s'attirer des sympathisants, souhaitent en découdre. Le Français moyen de l'époque, catholique ou libre-penseur, était sensible à ces caricatures. La loi de 1905, qui instaure la séparation des Eglises et de l'Etat, contribue à apaiser les tensions.

    Pourquoi la satire du catholicisme génère-t-elle moins de tensions aujourd'hui ?

    - Beaucoup de catholiques se sont sécularisés, certains musulmans moins. Par ailleurs, dans la société française, nombre de catholiques sont intégrés dans les sphères du pouvoir. Ce qui ne les empêche pas de souffrir en silence lorsque leur religion est moquée. Aujourd'hui, le climat est tel que catholiques, protestants, musulmans, juifs, athées... Tout le monde se sent victime.

    Critiquer la religion et en particulier l'islam est-il en passe de devenir tabou ?

    - Mais l'islam est critiqué dans la presse française ! Lorsque cela est fait via des articles argumentés, cela contribue à un débat productif. Ce qui n'est pas le cas avec les caricatures de "Charlie Hebdo", qui véhiculent des stéréotypes haineux et blessent des musulmans modérés, qui pourraient ainsi être précipités dans les bras des extrémistes. La caricature est positive lorsqu’elle contribue, par le rire, à faire avancer le débat.

    Dans une démocratie, chaque citoyen doit être libre et responsable. Ce n'est pas l'attitude adoptée par "Charlie Hebdo" : ce journal est intégriste à sa manière, puisque sa cause, la liberté d'expression, est sacralisée de façon gratuite. Outre le fait qu'il n'a là aucun talent et aucune inventivité, sa démarche vise essentiellement le profit, le buzz. Plus grave : ces caricatures dégradent les conditions du débat public car la manière dont "Charlie Hebdo" défend la liberté d'expression nuit à la liberté de penser.

     

    Interview de Jean Baubérot, historien et sociologue de la laïcité, auteur de "Laïcités sans frontières", Le Seuil, 2011, par Audrey Salor - Le Nouvel Observateur

    (Le 20 septembre 2012)


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