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      Chine: du totalitarisme au cannibalisme

    Dimanche 20 Mai 2012  
     
    Journaliste à Marianne chargé de l'animation de la communauté des Mariannautes

    « Ce jour-là, l’école secondaire de Tongling était en pleine effervescence culinaire : dans les cuisines, on cuisait de la chair humaine ; dans les dortoirs des professeurs, on cuisait de la chair humaine ; dans l’internat des filles, on cuisait de la chair humaine ; sous les auvents devant les salles de classe, on grillait de la chair humaine ; dans la cour de l’école, on grillait de la chair humaine. » Voici un extrait de l’enquête mené par l’écrivain Zheng Yi dans laquelle il affirme qu'en Chine, pendant la période de la Révolution culturelle, 10. 000 cas de cannibalisme auraient été recensés dans la province de Guangxi.

    « Le cannibalisme politique est devenu une expression admissible de la cruauté révolutionnaire. »

    (AP/SIPA)
    (AP/SIPA)
    La Chine compte cinq régions autonomes, des régions dont une part importante de la population appartient à une minorité ethnique : la Mongolie intérieure, le Guangxi, le Tibet, le Ningxia et le Xinjiang (ou Ouïgour). La Région autonome Zhouang du Guangxi est une région montagneuse, méridionale et pauvre du sud de la Chine, qui jouxte le Vietnam, et dont le peuple a été absorbé par l’Empire du Milieu durant un long processus d’assimilation.

    Le Guangxi est passé sous domination chinoise pour la première fois au IIIème siècle, mais le gouvernement impérial eut toujours des difficultés à contrôler ce territoire, les conflits ethniques étant alors permanents. Les « barbares du Sud », comme ils étaient appelés autrefois par les chinois qui se considéraient en tous points supérieurs, avaient déjà une tradition de rituels cannibales vieille de plusieurs millénaires.

    « Le grand penseur Lu Xun avait déjà lancé un appel en ce sens au début du siècle, car dans cette Chine « au passé cannibale de quatre mille ans », les adultes avaient mangé de l’homme, mais les enfants n’avaient probablement pas encore goûté à la chair humaine. Ce qui n’était que du symbolisme dans son roman était malheureusement devenu réalité dans la grandiose et radieuse société socialiste. A l’appel d’idéaux les plus brillants de l’humanité, les enfants s’étaient mis eux aussi à manger de l’homme ! »

    L’auteur de ces quelques lignes est l’écrivain Zheng Yi (un nom qui se traduit par « justice »), qui fut le premier de sa profession à dénoncer ouvertement les méfaits de la Révolution culturelle dans un essai intitulé L’Érable. Ayant eu vent de rumeurs macabres alors qu’il était un jeune garde rouge en faction à Guilin, au nord-est de la province du Guangxi, il décida d’y retourner en mai 1986 pour y mener son enquête, dont le résultat sera publié dans l’ouvrage : « Stèles Rouge, du totalitarisme au cannibalisme » (publié en France aux éditions Bleu de Chine.)

    Bénéficiant d’un accès aux archives locales du Parti communiste, il va se rendre sur les lieux qui furent le théâtre, entre mai et juin 1968, d’un nombre incroyable de cas de meurtres et de cannibalisme. Des étudiants qui dévorent leurs professeurs, des scènes de « pidou » (séance d’accusation publique durant laquelle le « coupable » est frappé et ridiculisé) qui dégénèrent en dépeçages, parfois alors que la victime est toujours consciente, les témoignages sont nombreux et abjects, rapportés avec une froideur clinique qui contraste avec la débauche de violence confinant à l’irréel.

    « L’hystérie collective et la conscience individuelle peuvent aller de pair, sans aucun inconvénient »

    Au cours de son investigation, Zheng va recueillir de nombreux témoignages, parfois de participants eux-même qui décrivent avec force détails les exactions auxquels ils se sont livrés. Bien que finalement condamnées par le Parti, les personnes ayant commis des actes de cannibalisme durant cette période n'ont pas été sévèrement punies par les autorités. Pire encore, certains participants étaient devenus d'importants représentants locaux du Parti au moment au Zheng enquêtait sur cette page embarrassante de l'histoire chinoise. « Beaucoup des personnes impliquées sont encore au pouvoir à Guangxi », écrit Zheng. « Certains d'entre eux m'ont dit de faire attention, où je pourrais bien trouver la mort. » Malgré des liens tendus avec les hautes instances locales, une santé qui se dégrade et les portes des archives se fermant le unes après les autres, l'écrivain poursuit vaille que vaille sa quête de la vérité : « Il n'y a pas beaucoup de lutte acharnées dans la vie, maintenant c'est le moment de lutter ! »

    Cette plongée dans l'horreur telle que relatée dans son ouvrage, nous la suivons aux côtés de Zheng, « caméra embarquée ». La collecte de faits permet petit à petit de replacer l'abjection dans un certain contexte historique, politique et anthropologique.

    L'explosion de violence n’est pas spontanée, et a une origine bien identifiable : les autorités politiques et militaires, alors dépendantes du Parti Communiste, légitimaient (via un Avis datant du 3 juillet 1968 émis conjointement par le Comité central du PC, le Conseil des affaires d’Etat, la Commission militaire centrale et le Groupe chargé de la Révolution Culturelle dépendant du Comité central) que l’on verse le sang des vieux « ennemis de classe » traditionnels (propriétaires fonciers, paysans riches, et toutes les personnes qualifiées de contre-révolutionnaires, de droitiers, etc.)

    « Au moment du « règlement des problèmes laissés par la Révolution culturelle », le responsable adjoint Wuxan fut exclu du Parti pour cannibalisme, mais il affirma encore avec assurance : « Cette chair humaine, c’était de la chair d’espion qu’on a mangée ! » » (extrait de Stèles Rouge, du totalitarisme au cannibalisme, par Zheng Yi)

    Au nom de la pureté des idéaux, l'un des plus grands tabous de l'humanité à sauté. Le processus, de l'avis de Zheng, a été le suivant : une phase de lancement avec des exécutions furtives menées dans un climat d'épouvante, puis une phase de « fête » avec des banquets communautaires, et enfin une phase de « folie collective » durant laquelle le mouvement prend une ampleur démesurée alors que l'on cherche à supprimer les « ennemis des classes ».

    L'auteur précise que ce n'est pas une attitude propre à une certaine province de la Chine mais bien un phénomène à corréler avec la notion de totalitarisme.

    Il souhaite qu'un monument commémoratif soit érigé au Guangxi, d'abord en mémoire des victimes, et enfin pour que le monde puisse se rappeler des raisons qui ont mené à ce pic de violence : « Nous souhaitons que cette histoire soit connue dans le futur. Nous espérons que tout comme à Auschwitz, Buchenwald et Nanjing, un mémorial - une stèle rouge – sera un jour érigé à Guangxi. »

    Le Guangxi, qui reste encore aujourd’hui une des régions les plus pauvres de Chine, semble toutefois être sur le bon chemin pour sortir de cet état d’isolement et de pauvreté qui est le sien depuis des siècles. Les conflits ethniques à répétition, qui ont par le passé contribué à son retard économique, sont aujourd’hui terminés, à l'instar comme les épisodiques affrontements avec son voisin Vietnamien.

    Zheng Yi, quant à lui, vit exilé aux Etats-Unis suite à ses prises de position explicites contre le pouvoir durant les évènements de Tien-An-Men.

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