• Démantèlement des navires

    TK Bremen : une démolition précipitée et controversée

     17-01-2012

    chantier du TK Bremen
    chantier du TK Bremen
    préfecture maritime

    On connait depuis longtemps les problèmes posés par les chantiers asiatiques de démantèlement des navires, mais qu'en est-il en France ? La démolition du TK Bremen qui s'opère actuellement à marche forcée sur la plage de Kerminhy, à Erdeven dans le Morbihan, montre ses limites sur la gestion du risque environnemental, selon plusieurs associations.

    Près de 12 ans après le naufrage de l’Erika, la nuit du 15 au 16 décembre, la Bretagne a de nouveau été le théâtre d’un échouement de navire. Cette fois, il ne s’agissait certes pas d’un pétrolier mais le cargo maltais TK Bremen, pris dans la tempête Joachim, s’échouait directement sur la plage de Kerminhy, à Erdeven, dans le Morbihan alors qu’il tentait de trouver un mouillage plus abrité. Une manœuvre ratée qui a provoquée le rejet d’une nappe de carburant d’1 kilomètre sur 5 dans la mer. Une « micro-pollution » pour la ministre de l’Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet. Une « pollution significative sur toute la zone classée Natura 2000 », selon Surfrider foundation Europe.

    Un manque de structures françaises de démantèlement

    Le cas TK Bremen ravive aussi le débat sur la création d’une filière française de démantèlement des navires (voir article lié), que plusieurs associations comme FNE ou Robin des bois appellent de leurs vœux. Ainsi c’est une entreprise hollandaise qui s’est vue confiée le chantier de démantèlement car il n’existe aucune structure de ce type en Bretagne. Mais il faut cependant noter que les travaux de dépollution ont, eux, été attribués à des entreprises de la région. Ainsi la dépollution des eaux chargées d’hydrocarbures pompées à bord du cargo a été attribuée à une société de Saint Malo, spécialisée dans le nettoyage industriel et pétrolier et le traitement des eaux polluées par les hydrocarbures, l’une des seules en France et la seule en Bretagne à pouvoir se charger de l’opération. Une fois transportée en Ille-et-Vilaine, l’eau sera traitée et ressortira propre à 99 ,9% assure le président d’EVTV au quotidien Ouest-France. Par ailleurs, la société morlaisienne Le Floch Dépollution a été  chargée de nettoyer les algues souillées, les rochers, le sable et les autres éléments naturels touchés par le pétrole échappé du navire pour enlever les traces de fioul qui se sont échappées des soutes lorsqu'il s'est échoué.

    Un cas d’école

    Mais surtout, cette pollution visible peut être considérée comme la face émergée de l’iceberg selon l’association Robin des bois. Car le chantier de démantèlement de ce cargo de 109 mètres de long pesant 2 500 tonnes est actuellement mené tambour battant sur le lieu même de l’échouage. Et il est loin de satisfaire à toutes les précautions environnementales dénonce Jacky Bonnemains, le président de Robin des bois : « le TK Bremen est un cas d’école de la difficulté à démanteler les navires en France » et « un spectaculaire exemple de la simplification administrative chère au gouvernement ». Car pour l’association, les conditions d’urgence invoquées (fragilité de la coque) par la préfecture du Morbihan pour précipiter les travaux de démolition, entamés le 6 janvier soit 3 semaines seulement après l’échouement, n’étaient pas réunies : « l’urgence, elle est plutôt à camoufler l’irresponsabilité des élus bretons et des autorités portuaires qui n’ont pas su gérer le trafic des navires et consiste à faire oublier les conséquences de l’accident avant les élections », rétorque Jacky Bonnemains. Selon Robin des bois ainsi que les associations Surfrider foundation Europe et Vigilance citoyenne, il aurait en effet fallu avant toute chose évaluer et cartographier la présence potentielle de polluants. En effet, le cargo est considéré comme un « déchet industriel ». Construit en 1982 en Corée du Sud, il fait partie de la « génération amiante ». Il est aussi fort possible que la peinture extérieure et/ou intérieure contienne des PCB, du plomb, du mercure et de l’étain. Par ailleurs, en tant que transporteur de vrac agroalimentaire, le TK Bremen a subi de multiples fumigations destinées à protéger et à conserver les produits agricoles. Il est donc « probable que des résidus de pesticides se soient concentrées sur les parois et dans les fonds de cales », estime l’association.

    L’arrêté préfectoral pris le 26 décembre 2011 pour décréter et définir les mesures urgentes mais publié seulement le 10 janvier 2012, après l’annonce d’une plainte contre X déposée par Robin des bois pour « pollution par hydrocarbures et mise en danger de la vie d’autrui », exonère cependant l’armateur maltais, Blue Atlantic shipping LTD, de cette cartographie pourtant obligatoire selon le régime des installations classées pour la protection de l’environnement. Certes, les ouvriers qui s’occupent du démantèlement sont bien équipés mais la méconnaissance de la toxicité du métal pourrait conduire à une « pollution différée » prévient Jacky Bonnemains : « comme on ne trie pas les ferrailles à la source, elles risquent de contaminer (par la poussière d’amiante cancérigène) le site d’entreposage de transition prévu dans le Finistère puis l’aciérie qui sera choisie pour le recyclage ».

    Un manque de transparence

    Par ailleurs, il ne faut pas oublier que « le cumul des impacts potentiels d’un tel chantier est très important, précise surfrider foundation Europe et le comité Vigilance citoyenne du TK Bremen créé suite à l’accident, dans une lettre ouverte commune datée du 12 janvier. Il concerne les travaux préparatoires au passage des engins de chantier, en passant par les rejets de découpage (particules de ferraille, peintures toxiques et autres produits chimiques constitutifs de sa construction ou de son armement). …) Il en va de même concernant les destructions et/ou perturbations des espaces présentes au sein de la zone Natura 2000 sur laquelle a lieu le chantier et de leurs habitats. » L’association craint notamment la pollution de l’eau par les métaux lourds et les micro-polluants car toutes les 6 heures, à marée haute, l’épave est baignée 1 heure et demi sous la mer. « Les vagues viennent s’éclater contre le cargo et nous voyons des morceaux de ferraille qui partent avec la marée. Il faudrait mettre en place des batardeaux qui feraient barrage entre la mer et le navire », relate en direct de la plage d’Erdeven, Marie Amélie Néollier de Surfrider. Déjà des irisations, synonymes de pollution, sont apparues au bord de l’épave, suite à un incident le 10 janvier. « Cela s’appelle tout simplement une pollution chimique de l’estran et une atteinte au milieu naturel, ne décolère pas Jacky Bonnemains. Cela va forcément affecter les parcs à huîtres situées à 800 mètres et c’est aussi un encouragement envoyés aux ferrailleurs pour qu’ils rincent tranquillement leur ferraille dans la mer ! » L’association affirme d’ailleurs ne pas exclure la possibilité de porter plainte une nouvelle fois contre le Préfet, l’exploitant et l’entreprise de démantèlement: cette fois-ci concernant le démantèlement du bateau. Tout comme Surfrider.

    Du côté de la Préfecture du Morbihan, on renvoie cependant à l’arrêté du 26 décembre qui détaille sur 16 pages les mesures relatives à la protection de l’environnement et des travailleurs du chantier et aux informations publiées sur le site internet. « Suite aux irisations (hydrocarbure léger et présence de quelques « boulettes ») constatées [le 10 janvier], la préfecture maritime a mis immédiatement en place des moyens d’intervention en mer pour traiter la pollution et demeure en alerte avec un dispositif renforcé » et un moyen nautique de dépollution a été prévu dès le lendemain par la société de démolition, peut-on y lire. Parallèlement « des moyens terrestres et aériens sont également mobilisés pour assurer une surveillance de proximité » et la « sécurité du site continue d’être assurée par le barriérage, la présence de la gendarmerie et une société de surveillance tandis qu’une interdiction de naviguer dans un rayon de 300 m autour du navire », assure la préfecture. Qui précise que plusieurs visites d’inspections sont effectuées chaque semaine pour contrôler le tout. Mais pour Surfrider, les informations diffusées par les services de l’Etat sont loin d’être suffisantes que ce soit sur les mesures de protection de l’environnement (étude d’impact notamment), le contrôle de la pollution des eaux et les mesures compensatoires d’après chantier.

    Selon l’arrêté, l’exploitant devra « procéder à la remise en état du site de déconstruction et de ses accès dans un délai de 3 mois ». Avant le début de la saison touristique. En attendant, la fin du démantèlement confié à l’entreprise hollandaise de Euro Demolition (voir encadré) est annoncée pour la fin de la semaine par le comité de suivi*. Si c’est bien le cas, le chantier aura été encore plus rapide que prévu : deux semaines seulement au lieu des 3 prévues initialement, grâce à des conditions météo favorables mais aussi sans doute au travail de jour comme de nuit des 40 ouvriers mobilisés.

    Selon le Monde, si l’on prend en compte l’ensemble des dépenses engagées pour le chantier, la location de matériel, la mobilisation des services de l’Etat et les préjudices moraux et économiques qui ne manqueront pas d’être invoqués devant les tribunaux, l’échouage du TK Bremen pourrait avoisiner les « 8 à 10 millions d’euros ».

    * Le Comité de suivi des opérations de déconstruction du TK Bremen, rassemble les services de l’Etat, la maire d’Erdeven, le syndicat mixte du grand site dunaire, le CEDRE ainsi que les représentants de l’armateur et les entreprises de déconstruction. 

      Béatrice Héraud     © 2012 Novethic - Tous droits réservés


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