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     Faux avis : comment des agences pros dupent les internautes

    Gwénola Lebrun  Rue 89  27/10/2012

     

    Si les faux commentaires visant à tromper l’internaute sont illégaux, ils sont pourtant très répandus. Et souvent suscités par de véritables entreprises : nous avons testé.


    Un Pinocchio en bois (Michiel Jelijs/Flickr/CC)

    Choisir un hôtel ou un restaurant grâce aux commentaires rédigés sur Internet. C’est une pratique courante, mais beaucoup ignorent que ces avis sont parfois complètement bidons. De nombreux sites comparateurs de voyages ou de lieux touristiques rédigent eux-mêmes les commentaires, ou utilisent les services d’agences de réputation en ligne.

    Une forme de publicité déguisée qui trompe le consommateur. Car 77% des internautes prennent en compte les avis et les notes laissés par d’autres sur des sites d’achats, selon une étude Médiamétrie publiée en juin.

    Pour vérifier cette arnaque, nous avons contacté une dizaine d’agences d’e-réputation, en nous faisant passer pour un client. Nous leur avons envoyé une demande de devis pour rédiger des commentaires factices. Cela pour le compte d’un site sur le point d’être créé qui compare de bonnes adresses d’hôtels, etc.

    Agences d’e-réputation mais aussi agences de presse

    Certaines agences se sont offusquées, en citant le code de la consommation. Ce dernier stipule qu’une pratique commerciale est trompeuse « lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale ». Une pratique illégale donc. Mais d’autres se sont montrées beaucoup moins regardantes.

    Trois agences ont répondu favorablement à la demande. Pour ne pas les citer : le cabinet parisien Protection Reputation, et les deux sociétés basées à Madagascar Softibox et IIS Madagascar.

    Avec des tarifs compris entre 2 000 et 2 500 euros selon les prestataires, pour 1 000 commentaires. A ce prix-là, la qualité devrait être au rendez-vous. « Les gens qui rédigent les faux avis sont les mêmes que ceux qui écrivent les communiqués de presse », dévoile un responsable de Protection Reputation.

    Ces agences proposent donc des prestations complètement illégales, en connaissance de cause. Un responsable d’IIS Madagascar indique par e-mail :

    « Les commentaires “faux avis” sont passibles de poursuites en France par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. »

    Il joint pourtant une grille avec ses tarifs pour se charger de cette rédaction illicite. Ces pratiques sont loin d’être minoritaires. Et elles sont même parfois réalisées… par des agences de presse. C’est le cas de l’agence de presse Relaxnews, qui a pignon sur rue. Elle a même lancé, en partenariat avec l’AFP, un fil d’informations spécialisé dans les loisirs.

    10 000 faux avis pour le lancement d’un site

    Mais derrière cette image si lisse, elle demande à ses journalistes de publier des commentaires positifs sur des hôtels qu’ils n’ont jamais visités. Comme en témoigne cet e-mail confidentiel, envoyé aux journalistes en question :

    « Un de nos clients crée un nouveau service en ligne, dont la vocation est de présenter des adresses d’hôtels, restaurants et bars. Une fois le service actif, ces adresses seront librement commentées par les internautes.

    Avant d’ouvrir son site au public, notre client souhaite que bon nombre d’adresses soient commentées, dans un style “ haut de gamme ”, sur un mode participatif. Il nous demande ainsi d’“ amorcer ” le site, en rédigeant des commentaires positifs et dans un style soutenu sur 10 000 adresses de lieux (bars, restaurants, hôtels…).

    Ces commentaires ont pour vocation de donner le ton du site. Nous vous proposons, si vous le souhaitez, de participer à cette mission de rédaction des commentaires, en dehors des heures de travail. »

    720 euros pour 455 commentaires

    Chaque journaliste peut donc créer jusqu’à 455 commentaires, contre une rémunération de 720 euros. Pour cela, il reçoit une note explicative, ainsi qu’une liste de comptes de messagerie et de pseudos à utiliser. Julie [tous les prénoms ont été modifiés, Ndlr], qui a elle-même accepté l’offre, confie :

    « Tous les journalistes de la rédaction ont choisi de rédiger ces faux avis, soit une dizaine de personnes. On utilise différentes messageries et pseudos pour ne pas se faire attraper. Et pour chaque pseudo, on adopte un style différent, plutôt oral ou au contraire très écrit. Mais à chaque fois en respectant l’orthographe. »

    Pas de commentaires en style SMS, exigence du client oblige.

    Mais si elle connaît une grande augmentation aujourd’hui, cette pratique n’est pas toute récente. Brigitte a travaillé il y a cinq ans pour une agence de communication, en tant que modératrice de forums.

    « On rédigeait beaucoup de commentaires sur des forums en se faisant passer pour des clients lambda. On devait tenir un tableau Excel pour chaque forum. On y indiquait les pseudos créés, les commentaires, les réponses. Avec un objectif de rédiger 50 messages par jour sur différents forums. »

    Elle affirme que ses clients étaient de grandes marques de jeux vidéo ou de produits de beauté.

    Aucun cas devant la justice

    Alors les faux commentaires sont-ils une façon comme une autre de faire de la publicité ? Pas vraiment… La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a lancé une grande enquête sur ce sujet début 2011.

    Six enquêteurs sont chargés de ce dossier, et ils auraient déjà à ce jour contrôlé quelque 130 sites marchands, en relevant douze contentieux. Aucun n’aurait encore été traité devant la justice. Mais selon le code de la consommation, la peine maximale requise pour pratique commerciale douteuse atteint deux ans d’emprisonnement et 37 500 euros d’amende.

    Or l’Association française de normalisation (Afnor) entend mettre un terme à ces véritables publicités cachées, postées sous de fausses identités. Elle reconnaît que cette pratique est très courante. Et planche sur une norme prévue pour 2013, pour certifier l’authenticité des commentaires.

    Différentes pistes sont évoquées. L’internaute pourrait signer une déclaration sur l’honneur. Autre possibilité, il pourrait être obligé de fournir la preuve qu’il a bien fréquenté l’établissement qu’il commente.

    Impossible de distinguer le vrai du faux

    Car aujourd’hui il est presque impossible de distinguer un véritable commentaire d’un faux. Pour preuve, nous avons demandé à l’agence de réputation en ligne Softibox de nous fournir des faux commentaires. Ces derniers n’ont pas été publiés en ligne, mais rédigés par l’agence pour nous donner un avant-goût de son travail. Impossible de faire la différence avec l’avis d’un véritable internaute :

    « Le temps d’un week-end en amoureux, nous avons réservé une chambre au *** [Les noms de lieux ont été masqués pour ne pas nuire aux établissements, Ndlr]. Notre chambre, claire et spacieuse offrait une vue superbe sur le vieux port de Marseille. Nous avons passé une soirée unique au restaurant de l’hôtel ***.

    Le lendemain nous avons choisi de nous détendre un moment au SPA de l’hôtel, avec au programme massage relaxant et séance de hammam, un pur délice. Ce 5 étoiles est à la hauteur de sa réputation. »

    Un autre avis présente les charmes d’une auberge de jeunesse. Même si la qualité de la prestation proposée n’a rien à voir avec celle de l’hôtel de luxe évoqué dans le précédent commentaire, le texte est globalement très positif.

    « Nous avons passé un séjour agréable au ***. Sa situation est très pratique pour visiter les sites touristiques aux alentours. Nous pouvions facilement rejoindre les arrêts de bus et les stations de métro. Pour une auberge de jeunesse, l’hôtel présente un très bon rapport qualité/prix. Les chambres propres, mais petites sont correctes puisqu’elles disposent de toilettes et d’une douche.

    Nous avons pu nous connecter à internet grâce à la connexion wi-fi du salon. Par ailleurs, le personnel a toujours répondu gentiment à nos questions. La navette gratuite pour l’aéroport est un réel atout pour cette auberge de jeunesse. »

    Des techniques commerciales visant à duper le consommateur, et qui se passent de commentaires.


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