• ONG en Russie

     

    Russie : un statut de quasi espionnes pour les ONG

     
     
     

    Les ONG russes dénoncent des lois de plus en plus nombreuses et floues, visant à renforcer leur surveillance. Dirigeants et militants pourraient être contrôlés et poursuivis à tout moment, selon la rigueur de l'application à venir de ces textes. L'un des plus controversés obligera certaines d'entre elles à s'enregistrer comme « agent de l'étranger ».

    En Russie, à partir du 21 novembre, certaines ONG deviendront officiellement « agents de l’étranger ». Si elles reçoivent des fonds de l’étranger et ont des activités politiques, elles devront s’enregistrer comme tels selon une nouvelle loi¹, sous peine de sanction pénale. Chaque document publié par l’ONG mentionnera la source « organisme agissant comme agent de l’étranger ». Or, ce terme attise la méfiance, particulièrement en Russie. « L’une de nos secrétaires a démissionné sous la pression de sa mère, par crainte pour sa carrière », affirme Anton Pominov, directeur de recherche pour Transparency International-Russie. Entièrement financé par des fonds locaux, le bureau moscovite ne sera pas concerné par cet aspect. Mais ONG rime de plus en plus avec espion ou, pour le moins, responsable d’activités subversives. Dans l’espoir d’inverser cette tendance, TI a publié le 2 novembre un document détaillant les principes constitutionnels violés par la loi. Elle compte présenter ses arguments devant les tribunaux nationaux et internationaux, dès que l’occasion se présentera.

    Des ONG coupées de leurs vivres

    Au quotidien, ce nouveau texte veut aussi dire une lourdeur administrative de plus pour les ONG qui n’en avaient pas besoin. A titre d’exemple, la branche locale de Greenpeace Russie consacre déjà 3,5 emplois permanents aux obligations administratives. Son nouveau statut nécessitera désormais d’envoyer plusieurs fois par an différents rapports au ministère de la Justice, de subir un audit annuel -sans compter les contrôles inopinés en cas de « raison valable », non définie-, et de préciser la nature des activités considérées comme politiques. Résultat, selon Ivan Blokov, son directeur de campagne, des ONG risquent de se désagréger, faute de moyens.

    Car il n’est pas facile pour les ONG désireuses de minimiser leurs tâches administratives de remplacer les fonds étrangers par des dons locaux. La tâche s’annonce même particulièrement ardue en région. Dans l’extrême orient russe à Khabarovsk, Sergueï Plechakov, directeur de l’association à vocation sociale Zeleny Dom (la Maison Verte), s’inquiète : « Nous n’avons pas décroché de subvention présidentielle³ et il n’existe pas de programmes locaux ici pour soutenir les ONG. Nous n’avons aucune perspective. » Ces dernières années, plus de 90 % de son budget provenait de l’agence américaine pour le développement international USAID. Celle-ci a été expulsée du pays en octobre pour « ingérence dans les affaires politiques internes ». L’un de ses autres principaux mécènes, la Fondation Ford, était déjà parti en 2009.

    Ce ne sont pas des cas isolés. Le nombre de programmes de subventions étrangers aurait été divisé par dix depuis le début des années 2000, passant de 200 à 20, d’après Alexeï Iablokov, un environnementaliste qui dirige la fraction « verte » du parti d’opposition Iabloko. Concrètement, la loi sur les « agents étrangers » n’aurait donc qu’un impact limité puisque de nombreuses ONG - environnementales du moins- auraient déjà été obligées de cesser leurs activités ou de survivre dans l’illégalité. Les hommes d’affaires russes s’aventurent rarement à soutenir des activités dans des domaines risquant de froisser les autorités. Comme d’autres dirigeants d’associations, Alexeï Iablokov pense que cette loi n’est qu’un prétexte pour renforcer leur surveillance, précisant que « les lois restreignant les droits des ONG ont commencé à apparaître dès 2002 – 2003 ». Ivan Blokov, pour qui le mandat de Medvedev n’aura été qu’un répit de courte durée, enchérit : « Dans les années 1990, on pouvait influencer les politiques publiques. Depuis la première présidence de Poutine, on se bat principalement pour les conserver et les faire appliquer ! »

    Multiplication des lois contre les ONG

    Depuis six mois, le rythme d’adoption de textes aux contours flous, créant une zone d’incertitude juridique, semble même s’accélérer. Ce changement stratégique fait suite aux manifestations de 2011, juge Rachel Denber, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch : « ce fut une expérience humiliante pour le pouvoir, qui craint – sans raison, à mon avis – une répétition des révolutions de couleur en Russie. » En juin, les amendes en cas d’infraction des règles des rassemblements publics ont été multipliées par 150 pour les individus, jusqu’à 300 000 roubles (7500 €), et par 300 pour les organisations, jusqu’à 1M de roubles (250 000 €). « Ces montants sont les plus élevés du code administratif et sont même supérieurs à ceux appliqués pour certains crimes, note Ivan Blokov. Les militants n’auraient pas les moyens de payer pour leur participation aux activités de Greenpeace ».

    Par ailleurs, la diffamation est redevenue une infraction pénale. La critique publique de dirigeants par des ONG peut coûter aux médias qui les diffusent une amende dissuasive de 2M de roubles. La notion de « trahison » a aussi été élargie et l’obtention d’informations constituant un « secret d’Etat », dont la définition reste imprécise, peut valoir jusqu’à quatre ans de réclusion. Pour le FSB (ex-KGB) cela se justifie par une utilisation active des organisations, gouvernementales ou des ONG, par les services secrets étrangers.

    « Nous assistons à une tentative globale de créer un système dans lequel chacun peut être poursuivi et condamné pour quelque chose, des chauffeurs aux activistes des ONG », s’insurge Anton Pominov. Malgré ce couperet qui croît à vue d’œil au-dessus de leur tête, les ONG gardent espoir, tout en appelant la communauté internationale à réagir. Car « à l’ère d’Internet, il n’est plus possible de cacher le militantisme sous le tapis », rappelle Alexeï Iablokov.

    (1)Loi introduisant des amendements à certains actes législatifs de la Fédération de Russie concernant la régulation des activités des organisations non-commerciales agissant comme agents de l’étranger.

    (2 )Ces subventions fédérales sont accordées à des ONG sur concours chaque année depuis 2005, sur un fonds total de 1 à 1,5 Mds de roubles (25M à 37,5 M d’euros). « Attribuées par des organisations désignées par le Kremlin, fidèles au pouvoir, elles sont allouées à 70 % à des associations moscovites, qui plus est sur des projets de soutien qui n’en sont pas vraiment, à savoir une seule conférence, la publication d’un livre, une fête religieuse, etc. », estime Sergueï Plechakov.

    *manifestants marchant sur la boulevard Rojdestvensky, au centre de Moscou, lors de la Marche des Millions du 12 juin dernier, suite à des perquisitions chez des leaders de l'opposition.

    Jeanne Cavelier, à Moscou
    © 2012 Novethic - Tous droits réservés  21/11/2012

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :