• Opacité de l'institution olympique

     



    C'est reparti ! A partir du 29 août, les installations olympiques de Londres reprennent du service pendant 15 jours pour les Jeux paralympiques. Pour Patrick Clastres, chercheur rattaché au Centre d'histoire de Sciences Po et spécialiste des JO*, ces jeux marquent cependant une nouvelle étape dans la prise de pouvoir du Comité international olympique. Il revient sur le mode de fonctionnement de cette institution singulière et opaque.

       28/08/2012 

    Corruption, dopages, tricheries, silences sur les manquements aux droits de l’homme des pays hôtes… le comité international olympique fait l’objet de nombreuses critiques. Comment fonctionne le CIO ?

    Patrick Clastres. Il y a une véritable opacité de l’institution olympique, que l’on retrouverait dans le cas de firmes transnationales. Par exemple, pour les chercheurs, les archives ne sont pas accessibles pour les 30 dernières années, et pour plus longtemps encore pour les membres en activité. C’est même le CIO qui finance l’essentiel de la recherche en sciences humaines, économie et droit dans le domaine du sport et de l’olympisme…ce qui en limite son indépendance. Il n’y a pas non plus - ou très peu - de tradition de journalisme d’investigation dans le sport ; c’est un des secteurs de l’information qui connaît la plus grande connivence. Le CIO verrouille d’ailleurs juridiquement toutes les informations qui peuvent le concerner. Depuis 1981, le CIO est une « organisation internationale non gouvernementale à but non lucratif à forme d’association dotée de la personnalité juridique dont le siège est à Lausanne » (une exception mondiale qui a ensuite été accordée à la FIFA). Cela donne aux dirigeants du CIO un statut protecteur qui les met en quelque sorte dans une position d’extra-territorialité puisque, en dehors de la Suisse, ils sont irresponsables pénalement pour tous les actes qu’ils commettent dans le cadre de leurs fonctions ! Cela a été vérifié lors du scandale de corruption pour les jeux de Salt Lake City (2002)**: Juan Antonio Samaranch, le président du CIO avait demandé à la justice américaine d’être auditionné en tant que simple témoin, ce qui lui a été accordé, et à bénéficier d’un sauf-conduit ! Résultat : l’enquête n’a pu remonter l’ensemble de la filière…

    Qui contrôle le CIO ?

    Personne. C’est un organisme qui vit et fonctionne sans aucun contrôle si ce n’est les rapports que la commission exécutive du CIO fait à l’assemblée générale du CIO dont les membres ont été cooptés ou, pour certains, élus à l’intérieur du monde sportif. Sous la présidence de Jacques Rogge, un audit financier a pour la première fois été conduit par une société privée mais seulement une partie extrêmement réduite de celui-ci a été publiée, ce qui ne nous permet pas de comprendre comment circule l’argent au sein du CIO. Les comités nationaux olympiques et les fédérations internationales sportives ne publient pas non plus les sommes qu’ils perçoivent du CIO, alors que celui-ci affirme que 90% des recettes de ses contrats leur sont reversés. Et les sommes sont considérables (exemple pour les JO de Londres : 1,6 milliard d'euros de sponsoring, et environ 4 milliards de droits de retransmission, ndlr). Par ailleurs, le CIO n’est soumis à aucun directoire politique dans le monde, alors même qu’il dispose dorénavant d’un statut d’observateur à l’ONU. En revanche, il finance un certain nombre d’actions humanitaires de nature sportive auprès d’agences onusiennes (PNUD, FAO, HCR). Des liens ont également été tissés avec le Conseil de l’Europe. L’argument de vente du CIO, ce sont les valeurs olympiques et l’idée que le sport est naturellement porteur de valeurs éducatives.

    Mais ces valeurs semblent de plus en plus céder le pas à une logique mercantile…

    Quand le CIO promeut les valeurs de la santé par le sport et qu’il contractualise avec Coca-Cola et Mc Donald’s on peut s’interroger sur la cohérence du projet olympique. Même chose concernant l’environnement et Dow Chemical…
    Par ailleurs, l’un des nouveaux chevaux de bataille du CIO est de diffuser gratuitement des manuels d’éducation sportive dans les écoles des pays hôtes des JO mais aussi des pays pauvres ou ultra-libéraux (à télécharger ici). On y trouve une version totalement idyllique du sport - notamment olympique - vu comme vecteur de prouesse, d’épanouissement, d’esprit d’équipe. Qu’une version positive de l’humanité soit diffusée en direction de la jeunesse ne peut déplaire. Mais on ne saurait en rester là. Il n’y est pas question de dopage, ni de corruption, ni de paris sportifs, ni de manipulations génétiques réalisées sur les athlètes, ni de profits colossaux, ni des discriminations dans le sport dont le CIO porte historiquement la responsabilité. Il y a encore moins de recul critique sur les institutions sportives elles-mêmes. Ce manuel a été diffusé en Grèce (mais avec une forte opposition des enseignants), il a très bien fonctionné en Chine, et sera sans doute distribué en Angleterre. Désormais, il est aussi diffusé dans les pays africains. En France, des tentatives sont esquissées qui se heurtent, pour l’heure, au concept de laïcité et au monde enseignant jaloux de son indépendance intellectuelle. Ce manuel (qui date de 2007) est financé, à hauteur d’un million d’euros, par une société de jeux vidéo qui se trouve par ailleurs être le sponsor des Jeux olympiques de la Jeunesse, initiés à Singapour en 2010.
    Il faut aussi savoir que de certains membres du CIO sont également des businessmen, de même que de nombreux managers employés par le CIO ont fait carrière dans des multinationales sous contrat avec le même CIO…

    C’est donc cette institution très opaque qui dicte sa loi aux pays qui accueillent les Jeux olympiques, comme on le voit cette année à Londres…

    C’est effectivement l’une des évolutions les plus récentes, qui date de cette dernière décennie. Mais un pas important a été franchi à Londres cette année. Désormais le CIO impose des contrats extrêmement sévères pour sécuriser l’engagement partenarial des grands sponsors. C’est pour cela que je dis que le CIO a désormais besoin d’une dictature ou d’un pays ultra libéral pour attribuer les jeux. Ce fut le cas de la Chine mais aussi de Londres où le Parlement a pris une loi d’exception qui donne au CIO toute autorité pendant la période des jeux, sur le territoire londonien, pour faire intervenir ses propres agents de sécurité. Ils pouvaient s’introduire dans les commerces, les entreprises et même chez les particuliers pour faire respecter les contrats de sponsoring ! Cela construit un droit très singulier, extérieur aux Etats, qui donne à une institution qui n’est contrôlée par personne, une capacité à agir sur le plan policier. De fait, je serai très agacé en tant que citoyen, si la France devait se porter candidate en abandonnant une partie de son pouvoir régalien. D’ailleurs, le fait que les lois françaises imposent au mouvement sportif un certain nombre de comportements éthiques constitue sans doute la principale explication à l’échec de la candidature de Paris pour les JO de 2012.

    Les JO de Londres se sont affichés comme les plus verts de l’histoire et la dimension environnementale fait aujourd’hui partie intégrante de l’Olympisme. Mais les JO de Sotchi en 2014 sont justement très décriés sur cette question là. Là encore faut-il y voir un manque de cohérence ?

    C’est de la communication avec une dose de culpabilité. Ce sont les JO de Sydney en 2000 qui se sont pour la première fois affichés comme « verts ». La contribution du sport au développement durable constitue désormais le troisième pilier de l’olympisme au même titre que les valeurs du sport et l’action caritative par le sport. Mais on peut dans ce cas s’étonner que les JO aient été accordés à Pékin ou Athènes, deux capitales qui ne sont pas des exemples en matière de pollution…L’argument du CIO est que les transports publics ont été améliorés, ce qui est vrai. Mais est-ce suffisant ? Quant à Sotchi, le cas est catastrophique car le site naturel protégé sur lequel les installations sont construites va être détruit (voir article lié). Il ne faut pas se leurrer, les JO de Sotchi sont les JO de Gazprom. En y ajoutant les mesures prises contre les libertés des populations du Caucase, Sotchi va fonctionner comme un mauvais signal en direction de tous ceux qui croient encore aux valeurs de l’olympisme.

    Pour contrer ces dérives, vous prônez l’intégration de la Déclaration universelle des droits de l’homme dans la Charte de l’Olympisme ou encore la création d’une agence mondiale anti-corruption dans le sport, à l’image de ce qui se pratique dans le dopage. Cela vous semble-t-il réalisable ?

    Disons que faire ces propositions permet surtout de montrer en

    Les pays hôtes s'engagent à promouvoir les droits de l'homme
    Le 29 août 2012, les représentants des gouvernements des pays hôtes des JO actuels et des prochains (Royaume-Uni, Russie, Brésil, Corée), ont signé un communiqué commun dans lequel ils s’engagent notamment à « promouvoir la sensibilisation, la compréhension et l'application de la Déclaration universelle des droits de l'homme envers ceux qui assistent et participent » aux Jeux olympiques et paralympiques. « Selon, l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, tout le monde a le droit à des conditions équitables et satisfaisantes de travail, de rémunération ainsi qu’à créer et s'affilier à des syndicats. À la lumière du communiqué signé aujourd'hui, nous allons demander aux pays hôtes d'expliquer comment ils ont l'intention de protéger ces droits dans les chaînes d'approvisionnement olympiques », commente ainsi Jyrki Raina, le secrétaire général du syndicat européen IndustriALL.

    creux les insuffisances de la norme olympique. Mais je ne me fais pas d’illusion sur leur mise en œuvre. Sur la question des droits de l’homme, la Charte fait seulement référence à des « principes éthiques universels » qui ne sont absolument pas définis, qui donnent toute latitude au CIO et qui le dispense de prendre ses responsabilités devant d’autres instances internationales. Comme l’a dit Jacques Rogge, le CIO ne se considère pas comme l’ONU - ni d’ailleurs la Croix rouge ou l’Amnesty International - du Sport ! La plasticité de l’idéologie olympique et la posture de neutralité qu’adopte le CIO face à des pays comme la Chine laisse à ces derniers la possibilité de faire la démonstration que les droits de l’homme ne sont pas universels. Cela permet également aux Etats islamistes d’imposer le voile comme on a pu le voir à Londres. Cet universalisme mou est une défaite intellectuelle du CIO qui a des conséquences extrêmement graves sur le combat en faveur des libertés.
    Concernant l’agence mondiale contre la corruption dans le sport, elle se justifierait de part les paris sportifs ou la main mise des mafias sur certains clubs de sport. Il faut absolument que les Etats s’en mêlent. D’ailleurs au ministère des finances français, il existe une cellule dédiée à la corruption dans le secteur. Mais le CIO n’a évidemment pas intérêt à ce que les agences internationales se développent, ce qui affaiblirait son propre pouvoir…

     

    Les Jeux paralympiques qui vont s’ouvrir sont-ils victimes des mêmes dérives que les jeux olympiques « classiques » ?

    Depuis les JO de Pékin, les stades sont remplis pour les jeux paralympiques***. C’est donc devenu pour les partenaires un enjeu intéressant, qui permet aux sponsors d’afficher un partenariat plus éthique. Du côté des performances, on sait aussi qu’il y a du dopage, et que des nations commencent à miser dessus, tandis que des rumeurs font état d’athlètes n’hésitant pas à se mutiler pour pouvoir participer à ces jeux. On est à un moment de décollage médiatique de ces compétitions handisports : je pense que l’on va donc retrouver d’ici peu les mêmes travers…
    En séparant les hommes des femmes, les valides des athlètes handisport, les compétitions olympiques font donc échec à la diversité. C’est pour cela que je propose que l’on puisse organiser des épreuves communes, de relais, entre athlètes valides et non valides, mais aussi avec des seniors (plus de 50 ans), et entre hommes et femmes, pour que l’on ait des compétitions humainement progressistes. Ce qui n’empêchera pas le dopage, mais cette forme de dépassement collectif donnerait au moins une image de confraternité dans la compétition.

    *Patrick Clastres est agrégé d’histoire et docteur en histoire contemporaine. Ses travaux au sein du Centre d’histoire de Sciences Po portent sur l’histoire du sport et des jeux olympiques comme faits culturels et politiques. Il est l’auteur en 2008 de Jeux olympiques, Un siècle de passions (éd. Les quatre chemins, à reparaître prochainement sous format électronique), et les Mémoires de jeunesse de Pierre de Coubertin (Nouveau Monde éditions, 2008).

    ** En 1998, un scandale de corruption éclate concernant l’attribution des Jeux d’hiver de 2002 à Salt Lake city. Six membres du CIO seront exclus, quatre de leurs collègues démissionneront et dix autres recevront blâmes et avertissements.

    *** Le CIO a passé contrat avec le Comité international paralympique (CIP), l’organisme international qui gère le handisport depuis 1989. Le CIO soutient les Jeux paralympiques adossés aux JO mais en dehors d’eux.

    Propos recueillis par Béatrice Héraud
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