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    Certains paysans français sont attirés par les mirages agricoles de l'Est de l'Europe.France 5 | mardi 10 janvier 2012A l'Est, main basse sur les terres► 10/01/2012  sur France 5
    ► Ensuite, le vidéo intégrale sera disponible jusqu’au mardi 17 janvier 2012 sur le site de France 5

    Durée : 55min. ( 21H40 - 22H35 )
    Cryptage : En clair
    Genre : Docu-info - Découverte
    Année de réalisation : 2010
    Télétexte : Sourds et malentendants
    Réalisation : Agniezska Ziarek

    RÉSUMÉ

    La demande en terres agricoles disponibles augmente sans cesse. Elle active un marché dont s'est emparé le monde de la spéculation, avec des priorités de rendement souvent bien éloignées des préoccupations liées à la sécurité alimentaire. Le phénomène touche essentiellement les pays du Sud, d'Asie, d'Afrique ou d'Amérique du Sud.

    Mais le mécanisme concerne également l'Europe. En Ukraine, des fonds spéculatifs investissent en masse dans d'immenses surfaces qui sont parmi les plus fertiles de la planète.

    En Roumanie, entrée dans l'Union européenne il a y un peu plus de trois ans, des fermes de plusieurs milliers d'hectares sont achetées par des investisseurs, souvent agriculteurs eux-même. Certains paysans français sont désormais attirés par les mirages agricoles de l'Est de l'Europe.

    "A l'Est, qui sème le blé, récolte le pactole". Les terres deviennents sources de revenus et de bénéfices pour l'industrie de la finance. La déréglementation, la globalisation des échanges affectent tous les secteurs de l'économie mondiale et l'agriculture n'échappe pas à la délocalisation. Ce documentaire propose d'analyser les aspects économiques, sociaux et humains des bouleversements à venir.

    En suivant le parcours d'un agriculteur alsacien qui veut tenter sa chance dans les terres noires de Roumanie et des fonds d'investissement qui opèrent en Ukraine, l'enquête permet une réflexion sur la fin annoncée du monde paysan tel qu'il existe aujourd'hui, en Europe de l'Est mais aussi en France.

    Programme sous-titré par télétexte pour les sourds et les malentendants.

    Article de France 5

    Crise oblige, la globalisation des échanges touche désormais tous les secteurs de l'économie, matières premières alimentaires comprises. En suivant des investisseurs tentés par l'eldorado des pays de l'Est, ce documentaire propose une réflexion sur la fin annoncée du monde paysan tel qu'il existe aujourd'hui en Europe.

    Jean-Paul Schnoebelen ne se plaint pas de son sort. A 62 ans, il est à la tête d'une ferme de plus de deux cents hectares au coeur de la plaine alsacienne : "Ici, on a une bonne terre, riche et profonde, qu'on n'a pas besoin d'irriguer."

    Comme la plupart des grands céréaliers, il a les moyens d'investir dans du matériel et de nouveaux terrains. Des moyens qui tiennent à la taille de son exploitation, mais surtout aux subventions européennes. Ces dernières représentent en effet presque 40 % de son chiffre d'affaires.

    Sans les aides de la PAC, difficile de s'en sortir. Jean-Paul Schnoebelen dispose de pas mal de terres mais elles sont éparpillées, ce qui l'empêche de réduire les coûts et d'augmenter le rendement. Dans sa région, les surfaces disponibles sont devenues rares et onéreuses. Alors, à l'instar de bien d'autres agriculteurs, italiens, allemands, néerlandais ou français, il a décidé de se tourner vers l'est de l'Europe.

    Dans sa ligne de mire, la Roumanie, un pays où les terres bon marché et de grande qualité abondent. Selon l'économiste Marcel Mazoyer, spécialiste du monde paysan : "On est en plein dans une phase de délocalisation des formes d'agriculture les plus modernes et les plus productives, qui se sont développées au cours des cinquante dernières années aux Etats-Unis et en Europe de l'Ouest, vers des pays où il y a de la très bonne terre pas chère..."

    Un appétit grandissant

    Cette délocalisation intéresse également un autre type d'investisseurs bien éloignés du monde agricole. Jean Ziegler, ancien membre de la Commission du droit à l'alimentation des Nations unies, explique : "Durant la crise financière, les grands spéculateurs et les banques ont perdu des milliards de dollars dans les marchés financiers. Ils ont migré ensuite sur les Bourses des matières premières agricoles ; et, là, les mêmes font des fortunes astronomiques en spéculant sur le blé, le riz, le colza. Conséquence, le prix des aliments de base a explosé de manière tout à fait effrayante dans les deux dernières années."

    Agriculteurs des pays riches, fonds de placement, banques... tous sont en quête des moindres surfaces disponibles à rentabiliser rapidement. Après l'effondrement du bloc soviétique, les paysans de Roumanie ou d'Ukraine - le grenier à blé de l'Europe de l'Est - récupèrent une bonne partie des immenses fermes d'Etat, mais ils sont incapables de les exploiter faute de moyens financiers.

    Cette situation les pousse à céder leurs terres en fermage, le plus souvent à des étrangers. Le fossé entre agriculteurs venus d'ailleurs, capables d'investir, et autochtones contraints d'abandonner leurs petites propriétés ne cesse de s'accentuer au coeur même de l'UE. Une Europe à deux vitesses se met progressivement en place...

    Les multinationales de l'agroalimentaire ont d'ores et déjà jeté leur dévolu sur l'Ukraine, où elles sont reçues à bras ouverts par le gouvernement et où les terres sont encore moins chères et de meilleure qualité qu'en Roumanie.

    Des sociétés françaises, anglaises ou russes y louent des milliers d'hectares avec pour seul but de réaliser le maximum de profit. Mais comment faire pour éviter qu'elles ne finissent par affamer la moitié de la planète ?
     
    Pour Jean Ziegler, cela va de soi : "Il faut interdire radicalement la spéculation boursière sur les aliments de base. Le droit à l'alimentation est un droit de l'homme qui doit être respecté et protégé par chaque Etat membre des Nations unies."

    Beatriz Loiseau

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  • Le Forum Mondial de l’Eau : quelle place pour une alternative ? (11/01/12)

       En mars prochain, la Fondation France Libertés se mobilise pour le droit à l’eau dans le cadre du Forum Alternatif Mondial de l’Eau. Vous pourrez suivre nos actions à travers les newsletters des mois de janvier, février et mars. Mais d’abord, retour sur ce qu’est le Forum Mondial de l’Eau et son alternative le Forum Alternatif Mondial de l’Eau.

    Le Conseil Mondial de l’Eau a été créé en 1996. Composé d’ONG, d’instances publiques, d’entreprises privées, d’universités et d’instances financières telles que la Banque Mondiale, il regroupe aujourd’hui plus de 350 membres.

    L’un des temps fort du Conseil Mondial de l’Eau est le Forum Mondial de l’Eau organisé tous les trois ans depuis 1997. Le sixième Forum Mondial de l’Eau aura lieu du 12 au 17 mars 2012 à Marseille.

    A travers ces forums, le Conseil Mondial de l’Eau a pour objectifs de "mettre les problèmes de l’eau plus en avant sur la scène politique", de "formuler des propositions concrètes et souligner leur importance sur la scène internationale", et de "susciter un engagement politique" (site internet du CME).

    Ces objectifs sont louables. Pourtant un certain nombre de limites sont mises en avant par les militants à commencer par la place dominante des intérêts du secteur privé de l'eau dans les activités du CME.

    S’il se présente souvent comme une instance internationale reconnue, le statut du CME ne lui confère pourtant en aucun cas une telle légitimité. En effet, il est dénué de tout espace de débat avec la société civile et de négociation politique.

    Lles Forums Mondiaux pourraient donc plutôt être vus comme des "foires commerciales" pilotées par les fédérations d’entreprises privées qui y présentent leurs solutions pour favoriser l’accès à l’eau, tout en concidérant celle-ci comme une marchandise comme une autre, une ressource qui se vend, s'achète et avec laquelle il faut faire des bénéfices... Ces "solutions", qui seront au cœur du sixième FME, ne sont donc ni les solutions de tous, ni les solutions pour tous.

    Depuis le forum de La Haye en 2000, la société civile internationale organise des contre-forums afin de porter d'autres valeurs, de proposer d'autres solutions, de défendre le droit à l’eau et de refuser la privatisation de ce bien commun. En 2006, le Forum de Mexico a été marqué par une très forte mobilisation de la société civile : plus de 30 000 personnes étaient réunies pour proposer une alternative crédible au FME.

    Leader du marché de l’eau avec les multinationales Veolia et Suez Environnement, la France accueille cette année le Forum Mondial de l’Eau à Marseille en mars.

    Trois mois avant le Sommet de la Terre à Rio, pour montrer qu'il existe d'autres solutions à la marchandisation de ce bien commun de l'humanité, la société civile se mobilise et organise un Forum Alternatif Mondial de l'Eau (FAME) à Marseille du 9 au 17 mars.

    France Libertés s’y associe en organisant deux journées de coordination de la société civile sur la thématique "Eau, Planète et Peuples : pour une citoyenneté mondiale", les 9 et 10 mars au siège du Conseil régional Provence-Alpes-Côte-d’Azur.

    Coorganisées avec le CRID, la Coalition Eau et l’Effet Papillon, ces deux journées seront l’occasion d’engager un vrai débat entre les acteurs de la société civile internationale, afin de porter ensemble un message humaniste fort avant l’ouverture du FME. Retrouvez tous les détails sur notre site et dans notre prochaine newsletter dès le mois de février. 


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  • Les ONG maintiennent Haïti dans le sous-développement"

     
    Echanges sans tabous avec de jeunes Haïtiens autour de la reconstruction, près de deux ans après le séisme.

    Comment les Haïtiens vivent-ils la présence massive des ONG dans leur pays? Si la question n’est que rarement posée en ces termes, elle est pourtant présente dans tous les esprits.

    Nous avons eu l’occasion d’en discuter lors d’une "Causerie" (discussion organisée) avec des membres du Groupe haïtien pour l’innovation et le développement (GHID), à savoir des étudiants et des jeunes actifs qui, face à la crise dans laquelle est plongé le pays, ont décidé de mettre en place un cercle de réflexion regroupant des jeunes de différentes universités et disciplines.

    Rendez-vous est pris à Delmas 65, au sud-est de Port-au-Prince, dans la maison de l’un d’eux, fin décembre. Etudiants, journalistes, comptable, médecin… Une dizaine de jeunes sont présents, pour la plupart diplômés. Eux ne vivent pas dans les bidonvilles: ils représentent l’avenir du pays, l’élite intellectuelle, mais ne font pas vraiment tout à fait partie de l’élite économique du pays, majoritairement mulâtre.

    En effet, à Haïti, classe sociale et couleur de la peau sont, historiquement et aujourd’hui encore, liées. Tandis que les blancs et les mulâtres concentrent les richesses, l’immense majorité de la population, noire, vit dans la pauvreté. Le sujet, tabou, est explosif dans le pays.

    Parmi les jeunes qui nous accueillent, beaucoup peuvent vivre convenablement grâce à l’argent de la diaspora: un Haïtien sur 5 vit en effet hors de l’île, et les devises en provenance des Etats-Unis et du Canada permettent aux personnes restées au pays de survivre.

    Pauvreté extrême, perfusion humanitaire, pouvoir politique absent ou fantasque… Dépités par l’état de leur pays, ces jeunes n’en sont pas moins déterminés à "s’engager" pour construire un avenir meilleur.

    Les ONG, leurs salaires, leurs 4x4

    S’ils invitent des journalistes à cette "Causerie", c’est pour échanger, de manière informelle, sur la situation en Haïti. Rapidement, la discussion dérive sur leur vision des ONG: leurs 4x4 rutilants (les routes sont impraticables en Haïti, les embouteillages, un enfer dans la capitale, et les transports en commun, une galère au quotidien), leurs conditions de vie (bien souvent, les expatriés disposent d’un chauffeur et d’une aide ménagère) et surtout, leur rémunération, jugée trop élevée.

    "Les médecins haïtiens sont beaucoup moins bien payés que les étrangers, et travaillent plus. Est-ce que vous trouvez ça normal?!", s’exclame, lunettes sur le nez, celui que ses camarades ont surnommé "Doc’".

    "En Haïti, tout étranger se fait expert, estime Ralph, animateur de la session. Mais la seule différence, c’est qu’ils bénéficient de ressources technologiques que nous n’avons pas dans le pays. Pourquoi les ONG n’envoient-elles pas des professeurs former des promotions entières d’étudiants haïtiens au lieu de faire venir leurs "experts" et de nous allouer quelques bourses d’études? Le pays n’est soit disant pas assez sécurisé pour eux, mais certains humanitaires sont là depuis plus de 10 ans!"

    Si les ONG sur place emploient des "locaux", ces derniers interviennent rarement au niveau de la prise de décision stratégique, mais plutôt dans l’opérationnel. "Les experts internationaux pensent calquer chez nous un schéma qui marche à l’international... sans succès", soupire Ralph.

    Cercle vicieux

    Pour ce jeune journaliste, "Haïti est l’exemple même qui prouve que l’humanitaire maintient le sous-développement". C’est un cercle vicieux, renchérit-on autour de lui: "les ONG et la Minustah sont là car l’Etat est faible, mais en restant elles l’affaiblissent davantage". Un point de vue confirmé par d'autres Haïtiens... qui travaillent pour des ONG.

    Ainsi, bon nombre de postes qualifiés (dans les hôpitaux, dans les médias par exemple) sont désertés: travailler pour une organisation d'aide internationale est toujours plus intéressant en terme de rémunération. Double coup dur pour l’économie haïtienne, qui subit déjà la fuite des cerveaux à l’étranger.

    Faut-il pour autant bouter les ONG hors du pays? Moue dubitative dans la pièce. Car bien sûr, oui, les ONG jouent un rôle, ont sauvé des vies après le séisme. Le fait qu’elles puissent entrer et venir dans le pays sans avoir de comptes à rendre pose aussi la question de l’absence de l’Etat… et de l’attitude des Haïtiens eux-mêmes. "Ils attendent, pensent que les choses vont changer, même s’il ne se passe rien et qu’ils vivent encore dans les camps", juge Peniel, installé avec sa copine sur le canapé.

    "Les religions pèsent beaucoup sur les mentalités", renchérit Malensky (en tee-shirt orange sur la photo), 31 ans. Le pays est très pieu en effet; dans les camps, les sinistrés s’en remettent souvent à Dieu. Les camionnettes (transports en commun) sont souvent bariolées d’inscriptions rendant hommage à Jésus. Et la messe dominicale reste la seule distraction de nombreux Haïtiens.

    "Esclavage"

    "Sans l’aide humanitaire, les Haïtiens se seraient depuis longtemps motivés pour interpeller les politiques, s’indigner contre la vie chère, les prix qui flambent, et l’exploitation qui frôle le retour à l’esclavage", poursuit-on autour de Malensky.

    Faut-il une révolution en Haïti? Pour ces jeunes professionnels, la crise systémique que vit le pays ne peut être résolue à coups de réformes. Oui, il faudrait une révolution, mais impossible dans ce contexte. "Et puis, nous l’avons déjà faite, en mettant un terme à 30 ans de dictature", rappelle Michel Pierre, alias le Doc.

    Ces jeunes ne croient donc pas à leur "Printemps arabe", notamment à cause, selon eux, du faible degré de conscientisation politique de la population, peu éduquée, et qui parle très majoritairement le créole, lorsque la plupart des journaux et des radios diffusent en français, "la langue de l’élite".

    "C’est choquant, conclut un participant, mais la solution contre la pauvreté n’est pas pour demain en Haïti".

    Elodie Vialle, à Port-au-Prince. 

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  • Pérou : révolte contre l’or

    Depuis le 23.01.2012 791 personnes ont signé la pétition: allez sur le site "Sauvons la forêt" pour signer la pétition.

    Exploitation à ciel ouvert dans la mine Yanacocha   Exploitation à ciel ouvert dans la mine Yanacocha

    Depuis le début du mois de décembre 2011, la province andine de Cajamarca au Pérou est le théâtre d’une révolte paysanne contre le projet Conga, une mine d’or qui menace de s’implanter dans la région. Jour après jour, plus de 20 000 manifestants, soutenus par les représentants politiques locaux, se rassemblent sur la Plaza de Armas pour protester avec le slogan « Conga no va » (non au Conga !). Importante région agricole du pays, Cajamarca est directement dépendante de ses ressources naturelles. Avec 70% de la population vivant de l’agriculture, l’accès à de l’eau propre et en quantité suffisante est primordial. Le projet d’exploitation minière représente une menace directe pour les moyens de subsistance des paysans andins puisque ce type de mine à ciel ouvert a un besoin considérable en eau et en énergie en plus des déversements de produits toxiques dans les cours d’eau naturels.

    La ferme opposition de la population au projet Conga se fonde sur les conséquences désastreuses de la mine Yanacocha : à l’origine de graves pollutions environnementales et d’une pénurie d’eau, cette exploitation n’a en outre apporté ni prospérité ni développement aux communautés locales depuis sa création il y a 18 ans. Les mêmes retombées sont à craindre à Cajamarca puisque le projet Conga est en réalité une extension de Yanacocha par la même compagnie minière.

    Après un premier échec des négociations, Ollanta Humala, le président du Pérou, avait décrété l’état d’urgence le 4 décembre 2011, plaçant la région de Cajamarca sous contrôle militaire et policier afin de faire taire les revendications. Plusieurs personnes ont été blessées pendant des interventions violentes. Les policiers et les militaires ont été dotés de pouvoirs exceptionnels afin de faire cesser les protestations. Les meneurs des manifestations ont été arrêtés. A cause de la situation très tendue, les écoles et hôpitaux de la région ont été fermés. La population de Cajamarca espérait pourtant un soutien de la part du nouveau président, qui avait promis pendant sa campagne électorale de veiller à la protection des sources d’eau dans cette région afin de garantir la sécurité alimentaire.

    Suite aux nombreuses protestations nationales et internationales, l’état d’urgence fut levé le 6 décembre 2011. Le 10, le président du conseil des ministres, Salómon Lerner, a démissionné de ses fonctions. Dix autres ministres lui ont emboité le pas, parmi lesquels les ministres de l’agriculture, de l’énergie, de l’exploitation minière et de l’environnement.

    Le nouveau premier ministre Óscar Valdés Dancuart a promis une expertise environnementale indépendante menée par des spécialistes internationaux. Celle-ci devrait servir de base à la prochaine décision sur la continuation du projet Conga. Mais le conflit est loin d’être résolu. Les entreprises minières et le gouvernement essayent de diviser les mouvements de protestations et les communautés villageoises qui se soulèvent contre le projet.

    Les habitants de la région vont débuter le 1er février une « marche pour l'eau » vers la capitale Lima pour demander au gouvernement de respecter leur droit à vivre en harmonie avec la nature. La préservation des ressources naturelles devrait être plus importante que les profits à court terme de l'industrie minière. Aidons-les à faire rejeter le projet minier de Conga !


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  • L'avis du Comité Scientifique du HCB sur la coexistence rendu public malgré l'obligation de confidentialité

    par Christophe NOISETTE

    Inf'OGM  a été surpris de découvrir, le 3 janvier 2012, sur le blog de Marcel Kuntz [1], l'avis du Comité scientifique (CS) du Haut conseil sur les biotechnologies (HCB) à propos de la coexistence des filières de plantes génétiquement modifiées (PGM) et non GM. En effet, cet avis était censé être confidentiel, jusqu'à la conférence de presse prévue pour le 17 janvier par le HCB pour présenter son avis global sur la coexistence, avis composé d'un avis du CS et d'une recommandation du Comité éthique, économique et social (CEES). Interrogé par Inf'OGM, Marcel Kuntz nous a précisé qu'il pensait que « c'était la version finale de l'avis », mais est resté discret quant à l'origine de cette fuite...
    Autre surprise : cet avis nous interroge quant à sa teneur. De nombreux points sont des prises de position qui vont bien au-delà des prérogatives des membres du CS.

    Premièrement, selon cet avis, pour que la coexistence des filières de maïs et de betterave GM et non GM soit possible, il faut certes imposer des conditions draconiennes, mais le CS estime aussi qu'il faut accepter « une présence fortuite », ce qui signifie en langage clair, des contaminations des champs non GM par des PGM : « Le CS du HCB reconnaît que la coexistence implique per se l'idée de la présence fortuite d'OGM en fonction des conditions locales (paysage, météorologie, climat) » (cf. page 16) . La question en suspens est donc de savoir qui payera pour ces contaminations. Ce n'est pas au CS de se prononcer sur cet aspect là, et nous attendons donc de connaître la recommandation du CEES. Cependant, le CS évoque le cas de « conditions météorologiques exceptionnelles, coup de vent ou tempêtes, qui perturberont les prévisions [qui] pourraient ainsi faire l'objet de clauses particulières », et dans ce cas, pour le CS, « il sera donc du ressort de l'État de mettre en œuvre des mesures d'encadrement adaptées ». Or si l'État est responsable, c'est à l'État de payer. Ainsi, ce sont les contribuables qui seront amenés à payer pour compenser des contaminations liées à la présence de PGM alors qu'ils ont majoritairement dit à plusieurs reprises qu'ils ne souhaitaient pas de PGM, « ni dans les champs, ni dans les assiettes ».

    Deuxièmement, la loi française sur les OGM affirme, dans son article 2, que « les organismes génétiquement modifiés ne peuvent être cultivés, commercialisés ou utilisés que dans le respect de l'environnement et de la santé publique, des structures agricoles, des écosystèmes locaux et des filières de production et commerciales qualifiées de 'sans organismes génétiquement modifiés' ». La loi précise même : « La liberté de consommer et de produire avec ou sans organismes génétiquement modifiés, sans que cela nuise à l'intégrité de l'environnement et à la spécificité des cultures traditionnelles et de qualité, est garantie dans le respect des principes de précaution, de prévention, d'information, de participation et de responsabilité inscrits dans la Charte de l'environnement de 2004 et dans le respect des dispositions communautaires ». Or, l'avis du CS donne son interprétation très partiale de cette exigence de la loi en soulignant que « Le CS du HCB propose en conséquence de s'appuyer sur la loi, qui met en avant la liberté de produire et consommer avec ou sans OGM » (p. 16). La loi n'est certes pas totalement limpide sur cet aspect, mais la simplification proposée par le CS est une interprétation, qui ne s'impose pas et qui, une fois de plus, ne découle pas des données scientifiques. En tout cas, cette position prise par le CS est significative d'un certain parti pris.

    Troisièmement, le CS du HCB demande rien de moins que de changer d'unité de mesure dans le cadre de la coexistence des filières OGM et non OGM. Actuellement, la présence d'OGM est évaluée en « mesure ADN », c'est-à-dire en pourcentage de transgènes par rapport au nombre de gènes de référence de l'espèce. Le CS du HCB propose de passer à une « mesure grain/racine/tubercule ». En effet, les OGM à empilement de gènes (comme par exemple ceux autorisés à la veille de Noël [2]) gênent les partisans de la coexistence. Avec comme unité de mesure, celle de l'ADN, les OGM à empilement font que le seuil de 0,9% devient quasiment impossible à tenir. Pour que la coexistence reste éventuellement possible, il suffirait donc d'utiliser des unités qui ne tiennent pas compte des empilements. Il fallait y penser. On peut donc lire : « le CS du HCB propose d'utiliser une mesure de la présence relative de grains/racines/tubercules GM dans d'autres productions, calculée en utilisant l'unité de mesure en vigueur affectée d'un facteur de correction qui prendrait en compte l'identité des OGM cultivés dans le voisinage de la parcelle testée ». Le CS précise sa vision des choses : « la nature de leur modification génétique (notamment le nombre d'inserts transgéniques) ne les rendra pas plus ou moins GM » (page 10). Ce dernier point n'est rien d'autre qu'un jugement de valeur dont le CS aurait pu se garder. Ce n'est pas à lui de juger qu'une PGM à plusieurs transgènes a la même valeur pour la société qu'une PGM à un seul transgène. Ce jugement ne découle en tout cas d'aucune donnée scientifique et c'est donc à la société de se prononcer sur cet aspect. Une fois de plus, la prise de position politique du CS est significative.

    Quatrièmement, le CS demande à « considérer la parcelle agricole comme unité de lot ». Cette demande nous renseigne sur le cadre pris en compte pour la rédaction de cet avis : les grandes productions agricoles conventionnelles. Concrètement, les éventuels dommages provoqués par la coexistence ne concernent pas la culture, mais la commercialisation des produits de cette culture. Ils concernent donc les lots commercialisés et non la parcelle. Dans les cas de commercialisation de la récolte en vrac à destination du silo, le taux moyens de présence fortuite dans la parcelle est une bonne unité de mesure. Mais dans les cas de commercialisation à l'unité (maïs doux vendu par épis) ou par petits lots (pomme de terres, betterave ou blettes - pouvant être contaminées par des betteraves GM - en vente directe, maïs doux conservé en épis avant la mise en boîte - chaque boîte ne contenant que deux ou trois épis -), le taux moyen dans la parcelle doit être beaucoup plus bas que le taux moyen garanti dans chaque lot commercialisé. Les « précautions » (distances....) doivent donc être supérieures. Les producteurs de maïs doux en Alsace l'ont compris : la filière maïs doux de consommation humaine alsacienne a en effet imposé en 2006 et 2007 une concertation aboutissant à une région entière sans culture de maïs OGM pour ne pas prendre le risque de retrouver des contaminations fortuites dans ses produits. Par contre, les filières maïs grain conventionnel du Sud-ouest se sont contentées du protocole de « coexistence » d'Arvalis/AGPM « garantissant » le 0,9% au niveau de la parcelle (bordures + quelques mètres de distances entre les parcelles).

    Cinquièmement, comment se fait-il qu'en plein débat européen sur le miel contaminé par du pollen de plantes transgéniques, la question de la présence de ruches ou d'autres butineurs sauvages ou non entre deux champs n'ait pas été abordée par le CS ?

    Enfin, nous tenons à souligner que cet avis est censé éclairer le gouvernement. Or, il comporte de nombreuses phrases absconses, qui laissent perplexe un lecteur même attentif... Voici une de ces perles sibyllines : « ne pas prendre en compte les incertitudes de mesure liées aux opérations de contrôle, car elles dépendent de choix méthodologiques et de l'interprétation des tests qui ne sont pas directement liés aux facteurs affectant directement la présence fortuite ». Nous souhaitons bien du courage aux responsables politiques qui devront décrypter cet avis.

    Ces « surprises » ne sont en fait pas si surprenantes que cela : on connaît la position du Président du CS du HCB, Jean-Christophe Pagès, ainsi que celle du Vice Président, Jean-Jacques Leguay, depuis la publication dans Les Échos (19 décembre 2012) d'un article intitulé : « OGM, un sigle, des réalités » [3]. Cet article appelle notamment les pouvoirs publics à ne pas trop en faire en matière d'évaluation des risques : « la pierre angulaire de l'évaluation des risques doit rester la proportionnalité des mesures qui cadrent les autorisations. Ayant écarté les dossiers qui comportaient des risques objectifs, deux pièges doivent être évités. Une surévaluation des risques, en se basant sur des hypothèses scientifiques avant tout théoriques, bloquerait une production utile. La multiplication des exigences de certitudes comme préalable à toute utilisation stériliserait les initiatives de recherche avant même leur développement ».

    La neutralité du CS apparaît de plus en plus relative... Comme la neutralité affichée de Marcel Kuntz sur son blog. Il affirme en effet que « Ce site n'est pas militant, car il ne dit pas si les OGM c'est bien ou mal, s'il faut en manger ou pas. Ce site présente de manière simple les faits et études scientifiques ». Or, dans ce même blog, Marcel Kuntz écrit : « je ne prétends aucunement à l'objectivité entre les arguments pour ou contre les OGM. Je n'éprouve pas le besoin d'être ‘politiquement correct' en exposant les positions des uns et des autres ». C'est quand même plus clair comme ça.

     [1] Marcel Kuntz est biologiste, directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire de Physiologie Cellulaire Végétale et enseignant à l'Université Joseph Fourier, Grenoble. Son blog : http://www.marcel-kuntz-ogm.fr/ 

     [2]   UNION EUROPEENNE – Quatre autorisations d'OGM données la veille de Noël 

     [3]   http://www.lesechos.fr/opinions


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  •  La démondialisation en marche au Brésil et en Argentine

    Laurent Pinsolle -(Marianne2 )

    La crise apparue en 2008 et qui se poursuit actuellement semble pousser les nations à s'affranchir peu à peu du marché mondial. Le Brésil et l'Argentine ouvrent la voie à la démondialisation... pour leur plus grand bien, selon Laurent Pinsolle

    ( Dessin Louison )

    Les opposants à toute remise en cause ont vite fait d’évoquer le spectre de l’Albanie ou de la Corée du Nord pour refroidir toute velléité de remettre en cause la mondialisation. Mais dans la réalité, de nombreux pays prennent des libertés avec les dogmes libre-échangistes, pour leur plus grand bien.
     

    Quand le Brésil devient protectionniste

       Voici un pays confronté à une monnaie largement surévaluée. En effet, selon l’indice Big Mac de The Economist, le real serait la monnaie la plus chère du monde, surévaluée de 52% par rapport au dollar si on compare le prix du sandwich de Mac Donald’s. Et étant donné le niveau de développement du pays, l’hebdomadaire britannique estime qu’elle est même surévaluée de 149% ! Cela signifie que les produits brésiliens sont mécaniquement trois fois plus chers que les produits chinois.
        Comme le souligne The Economist, le Brésil a vu sa monnaie s’apprécier depuis deux ans et demi, après un plus bas à 2,4 real par dollar : elle a atteint 1,57 real par dollar. En cause, la forte croissance du pays, qui attire les capitaux mais aussi des taux d’intérêts à 12.5% pour lutter contre une inflation qui a atteint 6.7% en juin. Mais cette cherté de la monnaie nationale fait souffrir l’industrie du pays, dont la production a reculé de 1.6% sur le mois de juin, avec une baisse de l’emploi industriel.

    Le Brésil a donc décidé de taxer toute entrée de capital dans le pays ainsi que tous les contrats qui parient sur une hausse du real. Le pays veut privilégier les produits locaux dans les appels d’offre (qui pourront être jusqu’à 25% plus chers que les importations) et se lance dans une expérimentation proche de la TVA sociale (remplacement des cotisations patronales par une taxe sur le chiffre d’affaire) sur quatre marchés : vêtements, chaussures, meubles et logiciels.

    Le précédent argentin

    Je profite de l’occasion pour revenir sur un très bon article de Yann du blog Le bon dosage, où il détaillait la politique suivie par l’Argentine. Le cas de ce pays est un peu atypique depuis 2002 puisque le défaut de Buenos Aires l’a coupé des marchés financiers internationaux, imposant au pays un équilibre de son commerce extérieur pour rester indépendant et éviter d’avoir à vendre des actifs ou utiliser ses réserves pour équilibrer ses comptes avec l’étranger.

    Le gouvernement argentin veut en effet mettre fin à la dépendance excessive à l’égard de l’extérieur dans certains domaines, notamment le jouet, le textile et l’électroménager. Dans le premier secteur, la production locale est passée de 5% de la consommation en 2003 à 30% aujourd’hui. Et le gouvernement souhaite encore diminuer les importations de 45%. Outre une taxation des importations, le gouvernement a décidé d’interdire les poupées Barbie produites en Chine.

    Outre les aspects positifs pour l’environnement, la relocalisation des activités productives est une nécessité absolue qui sert un triple objectif : l’emploi, l’indépendance et la lutte contre les monopoles. En effet, les délocalisations massives d’activités productives ont bien un impact très négatif sur l’emploi, comme nous le voyons en France. Mais en plus, la concentration massive de la production en Chine est extrêmement malsaine du fait de la dépendance qu’elle crée.

    D’ailleurs, les pays asiatiques l’ont bien compris, eux qui ont également adopté des politiques protectionnistes pour développer leur industrie. L’Europe sera-t-elle le dernier continent à comprendre l’intérêt de protéger son industrie ? 

    Retrouvez Laurent Pinsolle sur son blog

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  • Les rizières de Camargue pourraient utiliser des canards pour une recette 100% bio  06 janvier 2012

    riz_bio_canards_CamargueBertrand Poujol, installé sur son exploitation depuis 2006, teste différents itinéraires techniques agroécologiques pour le désherbage de ses cultures de riz. L'infestation des rizières par les mauvaises herbes est le premier facteur qui impacte les rendements de riz tant en culture biologique qu'en culture conventionnelle.
    © Sylvie Curty pour Jardin Bio

    Les canards, friands de jeunes pousses de mauvaises herbes, pourraient être une solution alternative à la lutte chimique dans les rizières de Camargue !

    La panisse (Echinochloa crus galli) et le triangle (Cypéracées) sont deux bêtes noires des riziculteurs camarguais. Ces mauvaises herbes infestent les rizières, rendant très difficile la culture de riz bio deux années successives : elles peuvent faire chuter jusqu'à 80% les rendements. Jean-Claude Mouret, chercheur à l'UMR Innovation de Montpellier précise : « pour être rentable, une production de riz biologique doit atteindre un rendement minimum qui se situe, compte tenu du prix actuel, autour de 4 tonnes/ha soit 8 t/ha sur deux années consécutives. Mais cet objectif est difficile à atteindre la deuxième année du fait d'une trop forte infestation par les adventices. Malgré la rotation, le stock de graines de mauvaises herbes peut compromettre durablement la production de riz. ».

    S'inspirant de pratiques observées en Asie et expérimentées au Japon, l'UMR Innovation a testé sur une exploitation rizicole biologique, l'association de canards à la culture du riz. Consommant les graines et les jeunes pousses d'adventices, les canards pourraient contrôler l'infestation des mauvaises herbes dans les rizières. 

    L'expérimentation a démarré en 2011 avec l'appui de FranceAgriMer dans le cadre du plan d'adaptation de la filière rizicole.

       Ça cancane en Camargue

    Sur sept hectares de riz de « deuxième année », le riziculteur Bernard Poujol a fait pâturer 300 canettes mulardes pendant un mois et demi, de mi-juin à fin juillet, lors du tallage du riz : « les canards ont été achetés à l'âge de trois jours et élevés dans une serre aménagée avant leur introduction dans les rizières. J'ai apprivoisé les canards et les ai habitués à pénétrer dans les rizières, à se familiariser avec les clôtures électriques... ». L'agriculteur a réalisé un semis enfoui en lignes en remplacement d'un semis à la volée, pour permettre aux canards de se frayer un passage plus facilement. « Je les accompagne dans la rizière et les change de parcelles quand il le faut. Ce sont des bêtes très faciles à manoeuvrer, des partenaires très intelligents,
    c'est un plaisir ! Les canards font peu de dégâts sur le riz, circulent et nettoient l'inter-ligne : ils fouillent la terre et étêtent panisses, triangles et autres herbes, leur faisant ainsi perdre l'effet de concurrence sur le riz. Ils ont une réelle efficacité de désherbage ».

    Un herbicide qui a déjà ses palmes

    Les premiers résultats, collectés suite à la récolte d'octobre 2011, sont concluants : en consommant les jeunes plantules de mauvaises herbes, les canards ont réduit la biomasse des adventices de l'ordre de 20 % et permis une augmentation du rendement de 26 % par rapport à une parcelle sans désherbage. Le riziculteur est très satisfait et compte renouveler l'expérience : « Grâce au broutage des canards, il est possible de cultiver du riz deux années de suite en atteignant une moyenne annuelle de 5 t/ha ! Cela sécurise les revenus de l'exploitation. D'autant plus que les coûts du désherbage sont absorbés par la vente des canards : j'ai prévu de vendre 75 % des canards, le reste servant à l'éducation des jeunes : c'est un désherbant qui me permettra au final de gagner de l'argent ! ». L'expérimentation sera poursuivie en 2012, pour affiner l'itinérairet echnique.

    Des flamants roses en adjuvant

    Déjà, dans les rizières, les canards s'affairent. Ils assainissent la rizière des graines d'adventices et leurs déjections fertilisent le sol avant les prochains semis. L'agriculteur les a réintroduits une fois la récolte finie, s'inspirant de l'activité des flamants roses qu'il avait observée un an auparavant. Pendant leur séjour de quelques semaines sur l'une de ses parcelles en eau, les oiseaux avaient consommé des graines d'adventices et aéré la terre par leurs piétinements et coups de becs. Les mesures de l'UMR Innovation semblent confirmer ces observations : les stocks de graines d'adventices du sol sont plus faibles sur les deux parcelles mises en eau pendant l'interculture que sur les autres.

    L'Unité étudie d'autres techniques alternatives pour lutter contre l'apparition de mauvaises herbes dans les rizières de Camargue. Tester des techniques de « faux semis », augmenter la densité de semis, introduire des légumineuses dans la rotation, étudier l'influence du surpâturage des brebis dans les parcelles en rotation avec le riz... Jean-Claude Mouret a d'ores et déjà discuté du protocole pour réaliser un nouveau prototype avec l'ensemble des riziculteurs biologiques intéressés par la démarche en 2012.

      Situation de la riziculture française en 2010/2011

       La France produit un quart de sa consommation annuelle de riz. Principalement située en Camargue, la production annuelle française s'élève à 120 000 tonnes de riz paddy, le riz « brut » enveloppé de sa coque. Blanchi, le riz est ensuite commercialisé sous le label IGP « riz de Camargue » créé en 2000. La culture de riz permet dans ce delta du Rhône de valoriser les sols exposés aux remontées de sel de la nappe phréatique et autorise ainsi l'introduction d'autres cultures dans la rotation.

    En 2010, deux cents riziculteurs cultivaient sur ce territoire 21 204 ha de riz. Une trentaine de riziculteurs se sont récemment convertis à l'agriculture biologique. Aujourd'hui 5 % des surfaces sont cultivées en agriculture biologique. Les rendements moyens obtenus en riziculture conventionnelle s'élèvent à 5,7 t/ha oscillant entre 2 et 10 t/ha. En mode de conduite biologique, la moyenne des rendements en riz paddy s'établit à 4 t/ha avec une variabilité de 0,5 t à 8 t/ha.

    Auteur   Cécile Poulain / INRA

    Source   INRA MAGAZINE • N°19 • DÉCEMBRE 2011

    Référence

    Jean-Claude Mouret, Roy Hammond, Gatien Falconnier et al. Conception et évaluation participatives d'itinéraires techniques alternatifs à la lutte chimique pour contrôler les mauvaises herbes dans les rizières de Camargue. Compte rendu d'étude scientifique : convention Inra/FranceAgriMer (à paraître).

    Auteur   Institut National de la Recherche Agronomique


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  • Fuite de pétrole à Ikarama, Etat de Bayelsa au Nigeria  

    Les activités de la compagnie pétrolière Shell ont des répercussions désastreuses sur les droits humains de la population du delta du Niger, au Nigeria, a déclaré Amnesty International alors que l’ONU vient de rendre public un rapport sur l’impact de la pollution par hydrocarbures dans le pays ogoni, dans la région du delta.

    S’appuyant sur deux années de recherche scientifique approfondie, le rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) est sans précédent au Nigeria. Il conclut que la contamination par hydrocarbures est grave et généralisée, et que les habitants du delta du Niger y sont exposés depuis des décennies.

    Adressez un message au président de la république du Nigéria Signez 

    « Ce rapport prouve que les activités de Shell ont eu des répercussions désastreuses au Nigeria, mais que l’entreprise s’en est sortie en niant cet état de fait pendant des dizaines d’années, prétendant travailler dans le respect des normes internationales les plus élevées », a déclaré Audrey Gaughran, en charge des questions relatives aux enjeux internationaux à Amnesty International, qui a fait des recherches sur les conséquences de la pollution du delta en termes de droits humains.

    Établi à la demande du gouvernement nigérian et financé par Shell, ce rapport fournit la preuve irréfutable que la pollution par hydrocarbures a des effets dévastateurs sur la vie des habitants du delta du Niger, l’une des régions d’Afrique les plus riches en termes de biodiversité. Il passe en revue les dommages causés à l’agriculture et à la pêche, qui se traduisent par la destruction des moyens de subsistance et des sources de nourriture. L’un des faits les plus graves qu’il met en lumière concerne l’ampleur de la contamination de l’eau potable, qui expose la population à de graves risques sanitaires. Dans l’un des cas étudiés, l’eau contenait une substance cancérigène reconnue à des taux 900 fois supérieurs à la limite préconisée par l’Organisation mondiale de la santé. Le PNUE recommande la mise en œuvre de mesures d'urgence pour alerter la population du danger.

    En outre, le rapport dénonce l’absence de volonté dont Shell fait preuve pour réparer les fuites de pétrole signalées depuis de nombreuses années. Le PNUE explique que ses experts ont détecté des pollutions sur des sites que Shell avait pourtant affirmé avoir nettoyés.

    « Shell ne doit pas se défiler, mais faire face à la réalité et gérer les dommages qu’elle a occasionnés. Tenter de se dédouaner en montrant du doigt les agissements d’autrui, alors que Shell est l’acteur principal dans cette affaire, ne dupera personne, a indiqué Audrey Gaughran. Aucune solution ne pourra être trouvée à la pollution du delta du Niger tant que Shell cherchera avant tout à protéger son image aux dépens de la vérité, et aux dépens de la justice. »

     Par ailleurs, le rapport du PNUE dénonce l’incapacité criante du gouvernement nigérian à réguler et contrôler des entreprises telles que Shell. Il met le doigt sur la faiblesse des organismes de surveillance au Nigeria et déplore que l’organisme chargé d’enquêter sur les fuites dépende trop souvent des compagnies pétrolières pour accomplir sa mission.

     Le gouvernement nigérian, les compagnies pétrolières et les gouvernements des pays où se trouvent leurs sièges, tels que le Royaume-Uni et les Pays-bas, ont tous tiré profit de l’extraction pétrolière dans le delta du Niger et doivent désormais financer un processus de restauration environnementale et sociale, a affirmé Amnesty International.
     « Ce rapport doit aussi alerter les investisseurs institutionnels. Par le passé, ils ont laissé Shell les duper à grand renfort d’opérations de relations publiques, mais ils attendront désormais de l’entreprise qu’elle assainisse ses activités dans le delta du Niger – aussi doivent-ils soumettre Shell à de fortes pressions afin qu’elle en finisse avec les déversements d’hydrocarbures, publie des informations plus précises sur leurs répercussions et indemnise les personnes déjà touchées », a estimé Audrey Gaughran.

    Dans son rapport, le PNUE note qu’il existe dans le pays ogoni d’autres sources de pollution, relativement nouvelles, telles que le raffinage clandestin. Cependant, il ne fait aucun doute que les pratiques douteuses mises en œuvre par Shell depuis des dizaines d’années constituent un facteur majeur de contamination de la région.

    Le 3 août, les médias ont largement relayé l’information selon laquelle Shell avait endossé la responsabilité de deux marées noires importantes dans le pays ogoni en 2008. Près de trois ans plus tard, les fuites qui ont eu lieu à Bodo – et ont gravement nui aux moyens de subsistance de la communauté – n’ont toujours pas été nettoyées.

    Complément d’information 
    L’industrie pétrolière dans le delta du Niger a démarré une production commerciale en 1958, lorsque la Shell British Petroleum (devenue la Royal Dutch Shell) a découvert du pétrole brut à Oloibiri. Aujourd’hui, l’industrie pétrolière est très visible dans le delta et a la mainmise sur une grande partie des terres. Shell exploite à elle seule plus de 31 000 kilomètres carrés.

    Le secteur du pétrole et du gaz représente 97 % des revenus en devises du Nigeria et contribue à hauteur de 79,5 % aux recettes du gouvernement. Selon certaines estimations, le pétrole a rapporté 600 milliards de dollars (environ 430 milliards d’euro) depuis les années 1960.

    L’industrie pétrolière dans le delta du Niger regroupe à la fois l’État nigérian, des filiales de multinationales telles que Shell, Eni, Chevron, Total et ExxonMobil, et quelques sociétés nigérianes. 

    D’après le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), plus de 60 % des habitants de la région dépendent de leur milieu naturel pour vivre.

    Le PNUD ajoute que plus de 6 800 déversements ont été signalés entre 1976 et 2001, ce qui représente une perte d’environ trois millions de barils de pétrole. De nombreux experts estiment qu’en raison du faible taux de signalement, ces chiffres seraient bien en deçà de la réalité.

    Aux termes de la réglementation nigériane, les compagnies pétrolières doivent nettoyer tous les déversements d’hydrocarbures. Force est de constater qu’elle n’est guère appliquée.

    Nigeriaacteurs économiques

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  •   Le rêve des dérivés

     L'or des fous  de Gillian TETT    Le Jardin des Livres (mai 2011 ) 

      C'est sur environ 800 mètres d'une plage privée immaculée le long de la Côte d'Or en Floride que s'étend le Boca Raton. De cou­leur rose bonbon, l'hôtel a été conçu dans un élégant style méditerra­néen par l'architecte de Palm Beach, Addison Mizner. Depuis son ouverture en 1926, l'hôtel s'est positionné dans l'exclusivité haut de gamme. Il possède des statues de style italien et ses palmiers sont soigneusement entretenus. Sa marina éblouissante peut abriter jusqu'à trente-deux yachts. Il propose aussi un tennis club professionnel, un spa dernier cri, un parcours de golf conçu par un designer et une plage privée. Les célébrités et l'argent ont régulièrement fréquenté le palace réputé pour être une enclave privée de luxe, elles peuvent s'y détendre en toute tranquillité, loin des regards indiscrets.

    Lors d'un week-end de juin 1994, c'est une clientèle bien diffé­rente qui est arrivée à l'hôtel. Il s'agissait de plusieurs douzaines de jeunes banquiers des bureaux de JP Morgan à New York, Londres et Tokyo. Ils étaient venus assister à une réunion pour débattre de la fa­çon dont la banque pourrait développer ses produits dérivés l'année suivante. Dans la chaleur humide de l'été, au milieu des palmiers et des arcades, le groupe émit l'hypothèse d'un nouveau genre de pro­duits dérivés qui transformerait le monde de la finance du XXIesiècle et jouerait un rôle décisif dans la crise économique la plus sombre que le monde ait connu depuis la grande dépression. C'est à Boca que nous avons commencé à parler sérieusement des dérivés de crédit, se souvient Peter Hancock, le patron anglais du groupe.C'est vraiment à ce moment-là que l'idée a réellement décollé et que nous avons compris la taille que cela pourrait prendre.

    Comme dans la plupart des avancées capitales, l'origine exacte du concept de dérivés de crédit est difficile à pointer. D'après Hancock, qui aime en tant qu'intellectuel représenter l'histoire comme étant une évolution ordonnée des idées, le pas s'est produit à Boca Raton. Pourtant, certains membres de son équipe ne gardent que quelques vagues souvenirs confus de ce week-end. Les jeunes banquiers étaient arrivés en Floride bien déterminés à s'amuser le plus possible, pleins d'une joyeuse exubérance et du sens de la fête.

    Ils travaillaient pour le département des « swaps », un domaine bien spécifique dans l'univers des produits dérivés qui était l'un des secteurs de la finance qui se développait le plus vite. Au début des années 80, JP Morgan ainsi que plusieurs autres banques vénérables avaient sauté sur ces produits dérivés ultra modernes et l'activité dans ce domaine obscur avait explosé. En 1994, la valeur totale théorique des contrats de produits dérivés dans les livres de JP Morgan était de 1,7 billions de dollars et l'activité des produits dérivés générait la moitié du revenu de la banque1. En 1992, une année où JP Morgan rendit le chiffre public, le total était de 512 millions de dollars.

    Au-delà de ces chiffres, ce qui était surprenant, c'est que la plu­part des gens du milieu bancaire et des investissements n'avaient pas la moindre idée de la façon dont les produits dérivés généraient de telles sommes, encore moins ce que ces soit disant groupes de swaps faisaient réellement. Ceux qui travaillaient dans ce secteur avaient tendance à s'amuser de son côté mystérieux.

    Au moment où a eu lieu cette réunion à Boca, la majorité du groupe JP Morgan avait moins de trente ans. Certains venaient même tout juste de terminer leurs études. Mais tous étaient convain­cus, avec cette arrogance propre à la jeunesse, qu'ils détenaient le se­cret pour transformer le monde de la finance et augmenter de façon spectaculaire la courbe des bénéfices. Beaucoup sont arrivés à Boca en supposant qu'il s'agissait d'un week-end offert par la direction pour les remercier de leur bon travail.

    Le vendredi après-midi, tout le monde se salua dans la bonne hu­meur puis on se dirigea vers les bars. Beaucoup arrivaient de New York, quelques-uns de Tokyo et une grande partie des participants venaient de Londres. Très vite, les verres se remplirent. Lorsque la nuit avança, certains réquisitionnèrent un mini bus pour se rendre au night club voisin. D'autres récupérèrent des voiturettes de golf et se précipitèrent sur les cours. Un groupe s'installa autour de la piscine principale de Boca Raton, chacun essayant de pousser l'autre dans l'eau.

    Les festivités allaient bon train autour du bassin. Peter Voicke, un Allemand coincé qui portait le titre de responsable des marchés mon­diaux âgé pourtant de moins de cinquante ans était le plus âgé des dirigeants présents à cet instant précis. Il s'appliqua à calmer tout le monde. Voicke avait donné son accord pour Boca Raton dans l'espoir que cela allait établir un bon esprit de camaraderie. C'est important de développer un esprit de corps sain ! se plaisait-il à dire avec un accent monotone. Mais la camaraderie dérapait. Sans vouloir tenir compte de ses avertissements, plusieurs jeunes gens poussèrent Voicke dans l'eau. Mes chaussures, mes chaussures ! se mit-il à crier tandis qu'elles lui échappaient des pieds.

    Le groupe qui avait déjà bien bu se dirigea ensuite vers Bill Win­ters, un Américain jovial qui, à trente et un ans, était le second res­ponsable le plus âgé à participer à la réunion. Sans grande conviction, il tenta d'esquiver le groupe mais alors qu'il se baissait, son visage se cogna contre un coude et le sang se mit à couler. Vous m'avez cassé le nez ! se mit-il à crier et il tomba lui aus­si dans la piscine. Pendant un instant, le silence fut total. Voicke était évidemment furieux. Et maintenant, Winters était blessé lui aussi. Mais Winters se mit soudain à rire et sortit de la piscine. Il remit son nez en place et le jeu reprit.

    Dans certaines banques, faire tomber le patron dans l'eau aurait constitué un motif de renvoi. Mais JP Morgan était fier de sa culture d'entreprise très unie, voire fraternelle. Vu de l'extérieur, on pouvait penser que les gens de JP Morgan étaient élitistes et arrogants, com­plètement séduits par la banque qui se targuait d'occuper une place prépondérante dans l'histoire de la finance anglo-saxonne. Ceux qui en faisaient partie considéraient souvent la banque comme leur fa­mille. Le groupe des produits dérivés était l'un des plus indisciplinés mais l'une des équipes les plus unies. Nous nous amusions vraiment, il y avait un bel esprit dans le groupe à cette époque, se souvient Winters avec un sourire nostalgique.

    Lorsque lui et son équipe se souviennent de ces années complètement folles, beaucoup reconnaissent que ce furent les plus beaux jours de leur vie. L'une des raisons qui expliquent cet enthousiasme, c'est tout simple­ment Peter Hancock qui était à la tête de l'équipe. A 35 ans, il était à peine plus âgé que la majorité du groupe mais il était leur père spi­rituel. De grande taille, les cheveux clairsemés et plutôt maladroit de sa personne, il émanait de lui quelque chose de réconfortant, tel un médecin de famille ou un professeur d'université. A la différence de beaucoup de ceux qui venaient pour dominer le monde complexe de la finance, Hancock n'exhibait aucun diplôme supérieur en mathé­matique ou en sciences. Comme la majorité du personnel de JP Mor­gan, il avait rejoint la banque à sa sortie de l'université mais, malgré cela, il était très intellectuel, très attaché à la théorie et aux pratiques financières sous toutes leurs formes. Il considérait le monde autour de lui comme un gigantesque puzzle intellectuel à décoder et il aimait tout particulièrement développer des théories élaborées sur la ma­nière dont il était possible de faire travailler l'argent partout de façon plus efficace. En ce qui concernait ses salariés, il était obsédé par l'idée de trouver un moyen de les rendre encore plus performants. Et enfin, plus que tout, il adorait le brassage et les échanges d'idées.

    Il lui arrivait parfois de le faire au cours de réunions tout à fait for­melles comme par exemple à Boca. Mais des idées pouvaient jaillir soudain lorsqu'il traversait son bureau. Son équipe avait surnommé ses éclairs de créativité de « Bienvenue sur la planète Pluton » parce que beaucoup des notions qu'il suggérait semblaient plus tenir de la science fiction que du monde de la finance. Mais ils adoraient sa force et ils lui étaient totalement dévoués parce qu'ils savaient pertinem­ment qu'il était complètement déterminé à protéger et à récompen­ser généreusement sa tribu. Ils étaient aussi liés par le sentiment d'être de véritables pionniers.

    L'équipe des produits dérivés chez JP Morgan était engagée dans l'équivalent pour la finance d'un voyage dans l'espace. La puissance de calcul et les mathématiques évoluées dépassaient largement le ca­dre traditionnel du monde des affaires et ce petit groupe d'esprits brillants dressait les limites extérieures de la cyber finance. Tels les scientifiques qui essayaient de décortiquer le code ADN ou de sépa­rer l'atome, l'équipe des swaps chez JP Morgan croyait que leurs ex­périences, qualifiées d'innovation par les banquiers – il s'agissait de l'invention de nouveaux moyens audacieux qui rapportent résolvaient les énigmes les plus fondamentales de leur discipline. On avait vraiment ce sentiment profond d'avoir découvert cette technologie fantastique à laquelle nous croyions et nous voulions l'implanter partout sur le marché se souvient Win­ters. Nous avions le sentiment d'être investis d'une mission.

    Cela venait en partie du fait que Hancock était très engagé dans ses rapports avec les autres. Il était presque aussi fasciné par la ma­nière de gérer les gens pour qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes que par les flux financiers. Lorsqu'il fut nommé à la tête du groupe des produits dérivés, Hancock avait commencé à travailler sur les échanges avec son personnel. L'une de ses premières missions avait été de revoir comment son équipe des ventes et les traders communi­quaient entre eux. A l'inverse de ce qui se faisait habituellement, il décida de donner à sa force de vente toute l'autorité nécessaire pour définir les prix dans les affaires difficiles au lieu de passer le relais aux traders. En agissant ainsi, il pensait que les vendeurs seraient beau­coup plus motivés et cela eut effectivement un impact très positif au niveau des résultats. Il entreprit ensuite de trouver de nouveaux sys­tèmes de rémunérations de façon à décourager la prise de risques ex­cessifs ou à élaborer des projets brillants considérés comme acquis. Il voulait encourager la collaboration et la réflexion sur le long terme plutôt que la recherche individuelle de gains sur le court terme. Le système de valeurs de l'équipe était déjà bien mis en place, surtout si on le compare à celui de la plupart des banques de Wall Street mais Hancock était convaincu que JP Morgan avait besoin d'aller encore plus loin.

    Dans les années qui ont suivi, il engagea un anthropologue social qu'il chargea d'étudier les dynamiques de l'entreprise au sein de la banque. Il mit en place des sondages pour déterminer quels employés communiquaient le mieux avec ceux des autres départements. Il uti­lisa ensuite ces données comme repère pour calculer les indemnités des employés et tracer des schémas informatiques complexes. Il était convaincu que les départements devaient étroitement collaborer les uns avec les autres de façon à pouvoir échanger des idées et contrôler les risques des autres. Le découpage des départements, affirmait-il, était fatal. A un moment donné, en plaisantant à moitié, il lança l'idée de traquer les emails des employés pour mesurer de façon scientifique l'interaction entre les départements. La suggestion n'alla pas plus loin. Le département des ressources humaines a pensé que je deve­nais fou ! se souvient-il. Mais si vous voulez mettre en place les conditions requises pour innover, tout le monde doit se sentir libre de proposer des idées. C'est impossible d'y parvenir si tout le monde se bagarre tout le temps !

    L'une des expériences les plus audacieuses que Hancock ait menées fut de se concentrer sur le groupe clé à l'intérieur de l'équipe des swaps, connu sous le nom « d'investisseur en marketing des produits dérivés » ( soit IDM en anglais ). Les banquiers qui faisaient partie de cette équipe se sont assis autour d'un grand bureau au 3e étage du siège de JP Morgan et le rôle du groupe est un peu sorti de ce qui se faisait habituellement. Même si le marketing de produits existait déjà, il agissait davantage comme un incubateur d'idées qui n'avait pas d'existence interne propre. Il gérait un ensemble de produits comprenant des schémas financiers structurés liés au monde de l'as­surance ainsi que des contrats permettant de réduire les taxes.

    Quelques mois avant la réunion au Boca Raton, Hancock avait contacté Bill Demchak, un jeune banquier ambitieux à l'excellente réputation dans le milieu bancaire, pour prendre la direction de l'IDM. Bien déterminé à conduire l'innovation, Hancock lui avait dit : Il faudra que vous réalisiez au moins la moitié de vos revenus annuels avec un produit qui n'existe pas à ce jour !

    Selon les codes de Wall Street, c'était une mission surprenante. En général, un groupe qui découvrait une brillante idée pour générer de l'argent en réclamait l'exclusivité et l'exploitait à fond aussi long­temps que possible. Hancock voulait qu'IDM invente des produits et les transmette tout de suite de façon à pouvoir avancer sur de nouvel­les inventions. Demchak accepta volontiers cette mission pour le moins découra­geante. Le défi l'intéressait et, d'une certaine façon, il semblait être l'homme idéal pour servir de faire-valoir aux ambitions créatives de Hancock. Il venait d'un milieu modeste et il n'avait pas oublié ses ra­cines. Il avait grandi dans une famille bourgeoise de Pittsburgh et avait fait des études supérieures dans les affaires à Allegheny en Pennsylvanie. Il avait obtenu un MBA à l'Université du Michigan et rejoint JP Morgan au milieu des années 80. Généralement, il était jo­vial mais si quelqu'un le contrariait ou faisait l'idiot, il pouvait exploser. C'était un bourreau de travail mais il aimait aussi faire la fête. Si vous le rencontriez, vous ne pouviez pas deviner qu'il ve­nait de Wall Street, déclarait un de ses collègues de Pitts­burgh. L'esprit aiguisé de Demchak détectait le moindre problème en quelques secondes. Il savait très bien aussi faire le lien entre plusieurs idées et faire fonctionner ensemble des domaines très différents du système bancaire. Il avait également l'âme d'un leader et il savait in­culquer l'esprit de loyauté à ses employés. Ses collègues plaisantaient souvent en disant que sans le Demchak « pratique », Hancock « serait resté sur Pluton ». C'était l'homme qu'il fallait pour mettre en place les schémas de son patron.

    Hancock embaucha aussi un autre banquier ambitieux dans les bureaux de l'équipe à Londres. Bill Winters, qui avait accepté son nez cassé avec une telle bonne grâce, venait lui aussi d'un milieu rela­tivement modeste comparé à une bonne partie de l'élite du monde financier. Il avait fait ses études à l'Université Colgate dans l'état de New York et rejoint la banque dans le milieu des années 80. Il avait tout pour lui : ses collègues femmes pensaient qu'il ressem­blait un peu à George Clooney mais il préférait rester éloigné des projecteurs. Alors que Demchak explosait lorsqu'il rencontrait une résistance, Winters, lui, faisait preuve de plus de flexibilité et avait ten­dance à tourner autour des problèmes, obtenant ce qu'il voulait avec tact. Il ne comptait pas ses heures de travail.

    C'est à la fin des années 80 que Hancock remarqua Winters pour la première fois, alors qu'il travaillait dans le domaine des produits dérivés des marchandises. Nous l'avons envoyé au Mexique et j'ignore comment il a fait, mais il a persuadé le gouvernement de couvrir le risque avec nous sur la moitié de sa production de pétrole et son taux d'intérêt se souvient Hancock. Il n'y a eu aucune discussion, il l'a fait. C'est son style. Hancock le recruta pour s'occuper de la branche européenne de l'équipe des produits dérivés pour que les « deux Bill », comme les surnommaient leurs collègues, travaillent ensemble main dans la main pour favoriser les échanges d'idées innovantes des deux côtés de l'Atlantique.

    En dehors de la recherche d'échanges de l'équipe, il fallait mainte­nant conduire les nouvelles variétés de produits financiers, que l'on appelait « produits dérivés », sur un nouveau terrain.

    Lorsque les banquiers parlent de produits dérivés, ils prennent plaisir à noyer le concept dans un jargon complexe. Cette complexité opacifie le monde des produits dérivés et rend ainsi service aux inté­rêts des banquiers. La surveillance s'en trouve ainsi réduite et confère du pouvoir aux quelques personnes qui peuvent en percer le mystère. Toutefois, bien que les produits dérivés soient devenus horriblement compliqués, ils sont aussi anciens que l'idée de finance elle-même. Comme le sous-entend le nom, un produit dérivé n'est, de façon très simple, rien de plus qu'un contrat dont la valeur provient d'un autre atout : une obligation, un titre ou encore une quantité d'or. L'essentiel pour les produits dérivés, est que ceux qui les achètent et les vendent font tous un pari sur la valeur future de cet atout. Les produits dérivés offrent aux investisseurs soit un moyen de se proté­ger ( par exemple contre une éventuelle évolution négative des prix ) soit de faire des paris avec des enjeux énormes ( sur évolution des prix qui peuvent représenter d'énormes remboursements ). Au cœur de cette tractation, on joue sur le facteur temps.   

       Imaginons par exemple qu'un jour, le taux de change de la livre en dollar soit le suivant : 1 livre anglaise vaut 1,5 dollar. La personne qui va faire un voyage de Grande-Bretagne vers les Etats-Unis dans les six mois qui suivent, et qui pense que le taux de change risque d'être moins intéressant, peut décider d'établir un con­trat pour s'assurer que, juste avant de partir, elle pourra bien acheter des dollars à ce taux. Elle peut très bien signer un accord pour échan­ger 1 000 livres avec une banque dans un délai de six mois au taux de 1,50 dollar, quel que soit le taux actuel de change. On peut déci­der d'accepter que cet accord doit réellement se faire, et dans ce cas le taux de change du moment importe peu  contrat à terme standardisé. Mais le voyageur peut aussi accepter de payer des frais, disons 25 dollars, pour avoir « l'option » de changer au taux de 1,50 dollars qu'il peut annuler si le taux devient plus favorable.

    Les options de commerce en produits dérivés existent depuis des siècles. Des exemples rudimentaires de contrat à terme standardisé et de contrats d'options ont été découverts sur des plaques d'argile de Mésopotamie datant de 1750 avant JC. Aux XIIe et XIIIesiècles, les monastères anglais faisaient du commerce avec des contrats à terme standardisés avec les marchands qui venaient de l'étranger pour ven­dre de la laine jusqu'à vingt ans d'anticipation, et il est connu aussi qu'au XVIIe siècle aux Pays-Bas, lorsque le prix des tulipes commençait à grimper, les achats et les ventes effrénés des marchands des contrats à terme standardisé de tulipes conduisirent à un engouement tel que cela finît dans une faillite spectaculaire.

    L'époque moderne du commerce des produits dérivés a commencé lorsque la Chambre de Commerce de Chicago a été créée en 1849 et a permis l'achat et la vente de contrats à terme standardisé et d'options sur les denrées agricoles. Les cultivateurs de blé pouvaient acheter des contrats à terme standardisé avant la récolte sur le prix que leur blé pouvait rapporter en espérant se couvrir contre des prix bas dans l'éventualité d'une récolte exceptionnelle. Les spéculateurs accep­taient le risque des pertes redoutées par les fermiers, dans l'espoir de récupérer de gains importants qui tournaient trop souvent mal2.

    A la fin des années 70, une nouvelle époque audacieuse d'innova­tion en produits dérivés a vu le jour sous le coup de percées technolo­giques et de la volatilité croissante sur les marchés financiers. Des produits dérivés arrivèrent du secteur des marchandises vers le do­maine de la finance. Le système de crédit et de contrôles des échanges instauré à Bretton Woods après la seconde guerre mondiale qui avait maintenu une certaine stabilité sur les marchés mondiaux s'effondra et les valeurs de la monnaie étrangère qui avaient été déterminées par rapport au dollar devinrent libres.

    Cela entraîna des fluctua­tions imprévisibles dans les taux de change. Les chocs pétroliers ont généré un mélange pernicieux de récession et d'inflation aux Etats-Unis avec une inflation qui a finalement atteint les 13,2% en 1981. Les investisseurs secoués se précipitèrent pour trouver des moyens de se protéger contre l'impact dévastateur des taux d'intérêt élevés – le taux préférentiel atteignit 20% aux Etats-Unis en juin 1981 – et des mouvements continuels des cours dans les taux de change.

    Historiquement, la meilleure façon de s'isoler par rapport à cette volatilité extrême consistait à acheter un fonds diversifié d'atouts. Si par exemple une entreprise qui faisait des affaires aux Etats-Unis et en Allemagne était concernée par ces fluctuations de taux de change entre le dollar et le mark, elle pouvait se protéger en possé­dant la même quantité des deux monnaies. Quels que soient les mou­vements des taux, les pertes pouvaient être compensées par des béné­fices identiques. Mais il y avait aussi une nouvelle manière innovante de se protéger contre ces fluctuations : acheter des produits dérivés pour donner aux clients le droit d'acheter des devises étrangères à des taux de change spécifiques dans le futur. Le taux d'intérêt des con­trats à terme standardisé et les options ont fait irruption permettant ainsi aux investisseurs et aux banquiers de parier sur le niveau des taux dans le futur.

    L'autre point fort du secteur des produits dérivés qui a connu une évolution très rapide est le domaine très créatif des « swaps » dans lequel l'équipe de Hancock était spécialisée. Il s'agissait pour les ban­ques d'investissement de trouver deux interlocuteurs avec des besoins complémentaires sur les marchés financiers et de négocier un échange entre eux qui génère des bénéfices mutuels, ce qui valait aux ban­ques de belles commissions.

    Imaginons, par exemple, deux propriétaires qui ont 500 000 dol­lars de crédit immobilier sur 10 ans. L'un bénéficie d'un taux d'inté­rêt flottant tandis que l'autre a un taux fixe à 8%. Si le propriétaire à 8% attend que les taux baissent, et que l'autre attend qu'ils montent, alors, plutôt que de négocier chacun un nou­veau prêt, ils peuvent se mettre d'accord pour que chaque trimestre, pendant la durée de leur prêt, ils « échangent » leurs paiements. Les prêts ne changent pas de mains, ils restent bien dans les banques d'origine. C'est ce que les banquiers appellent un accord « synthéti­que ».

    Salomon Brothers a été l'un des premiers banquiers à exploiter le potentiel des échanges de produits dérivés lorsqu'il a négocié un ac­cord complètement précurseur entre IBM et la World Bank en 19813. En 1979, David Swensen, titulaire d'un doctorat de Yale, nouveau venu au sein du département négociation de Salomon Brothers, avait repéré qu'IBM avait besoin d'augmenter sa réserve de dollars. La société américaine détenait aussi des quantités excessives de Francs suisses et de Marks qui provenaient de la vente d'obligations afin d'augmenter les réserves dans ces deux monnaies. Normalement, IBM devait aller sur le marché des devises pour acheter des dollars. Swensen comprit alors qu'IBM pouvait échanger un peu de ses francs et de ses marks contre des dollars, sans avoir besoin de les vendre : il fallait trouver un partenaire pouvant émettre des obligations en dollars afin qu'elles coïncident avec celles d'IBM en francs et en marks.

    La World Bank était un candidat potentiel : elle avait toujours besoin de cash dans beaucoup de devises. Comme dans l'exem­ple de nos deux propriétaires qui rédigent un contrat pour échanger les termes de leur prêt hypothécaire, IBM et la World Bank pou­vaient échanger les gains de leurs obligations et leurs obligations de porteurs sans qu'aucune obligation ne change de main. En 1981, après deux ans de discussions sur les détails, Salomon Brothers an­nonça qu'il venait de conclure le premier échange de devises du monde, entre IBM et la World Bank, pour une valeur de 210 millions de dollars sur dix ans.

    Cette nouvelle forme de contrat se répandit vite dans Wall Street et la City à Londres pour devenir quelque chose de très complexe. Les banquiers semblèrent alors être investis de pouvoirs faramineux. En utilisant les produits dérivés, ils pouvaient démonter des avantages existants ou des contrats et en rédiger de nouveaux qui les faisaient réapparaître sous des formes complètement nouvelles, leur valant ainsi des rémunérations énormes.

    Evidemment, pour réaliser ces contrats, il fallait trouver deux par­tenaires qui soient convaincus d'en tirer un bénéfice. Dans la finance synthétique, tout comme dans les vrais marchés, les contrats ne peu­vent se signer que s'il y a un acheteur pour chaque vendeur. Mais étant donné la globalisation du monde bancaire et le nombre des joueurs dans l'économie mondiale qui avaient des besoins complémentaires et des attentes différentes au niveau des conditions du marché, les banquiers avaient un large éventail d'options. Certains joueurs avaient besoin de marks, d'autres voulaient des dollars.

    D'autres encore voulaient se protéger contre des augmentations de taux d'intérêt alors que le reste croyait que les taux avaient des chances de baisser.

    Les joueurs aussi avaient des raisons différentes de vouloir parier sur les prix à venir d'éléments actifs. Certains investisseurs aimaient les produits dérivés parce qu'ils voulaient contrôler le risque comme les cultivateurs de blé qui préféraient clôturer sur un prix rentable. D'autres voulaient les utiliser pour faire des paris à haut risque dans l'espoir de faire des bénéfices. Ce qu'il faut savoir à propos des pro­duits dérivés, c'est qu'ils pouvaient aider les investisseurs à réduire le risque ou à faire une bonne affaire avec davantage de risque. Tout dépendait de la façon dont on les utilisait, des raisons et des compé­tences de ceux qui tiraient les ficelles.

    A l'époque où l'équipe des swaps chez JP Morgan arrivait au Boca Raton en juin 1994, le volume total du taux d'intérêt et des produits dérivés de devises dans le monde était estimé à 12 000 milliards de dollars, soit beaucoup plus que la valeur de l'économie américaine. La vitesse à laquelle le marché s'est développé a vraiment pris tout le monde de court. C'était vraiment remarquable, se souvient Peter Hancock qui avait été un élément essentiel de ce développement.

    A beaucoup d'égards, la carrière de Hancock a fait de lui l'homme idéal pour participer à cette gigantesque vague d'innovation. Il était né en 1958 au sein d'une famille anglaise de la haute société bour­geoise à Hong Kong. Comme beaucoup d'enfants issus de ce milieu et de cette génération, il avait été envoyé dans un pensionnat anglais où il excellait en rugby. Il avait décidé de devenir un grand inven­teur. Après de nombreuses heures passées dans les livres de science, il était parti pour Oxford où il avait étudié la physique. Ses objectifs fu­rent bousculés lorsqu'il se blessa gravement pendant un match de rugby. Cloué au lit pendant un long moment, il ne pouvait pas se dé­placer dans le laboratoire de physique. C'est à ce moment-là qu'il opta pour la philosophie, la politique et l'économie qui étaient des matières plus faciles à étudier en étant allongé. Lorsqu'il obtint son diplôme, il se prit d'intérêt pour le milieu bancaire et les principes de la liberté des marchés. J'ai décidé que devenir inventeur allait devoir attendre, se souvient-il.

    Il avait choisi de faire un métier qui lui rapporterait plus d'argent que ce que pouvait lui apporter le milieu scientifique. C'était le genre de décision que l'on retrouvait fréquemment chez les étudiants brillants de cette époque-là. La City de Londres et Wall Street étaient de plus en plus attirants.

    Fraîchement diplômé, il postula pour des emplois au sein de sociétés internationales en pensant rouler sa bosse un peu partout. Mais, lorsqu'il reçut une proposition de travail pour la succursale à Londres de Morgan Guaranty Trust Company ( c'est-à-dire la banque Morgan ) qui devait s'appeler plus tard JP Morgan, il ne se posa pas de questions et accepta. C'était un choix pour le moins inhabituel pour un diplômé anglais. La City de Londres était dominée par des banques anglaises et, bien que des groupes américains se soient bien implantés dans la City pendant les années 70, les institutions de Wall Street recrutaient massivement des diplômés américains. Mais JP Morgan avait toujours eu une identité multiculturelle4. Bien connue pour être l'une des sociétés les plus importantes de Wall Street, ses racines étaient bien dans la City, là où le banquier améri­cain Junius Spencer Morgan s'était chargé de la société anglaise de courtage George Peabody & Co en 1864 pour la rebaptiser JS Mor­gan & Co. Son fils John Pierpont Morgan avait travaillé dans l'entre­prise pendant quelques années puis on l'avait envoyé à New York où il s'était associé à la riche famille Drexel : Drexel Morgan & Compa­ny était née. A la mort d'Anthony Drexel, l'entreprise prit le nom de JP Morgan. La banque américaine devint rapidement une mine d'idées. John Pierpont Morgan géra lui-même plusieurs gros dossiers et fusionna avec brio un certain nombre d'entreprises sidérurgiques qu'il avait achetées pour former la sidérurgie américaine. Il finança également de grosses affaires dans le chemin de fer, le transport maritime, l'exploitation minière du charbon et autres secteurs clés de l'industrie. A la fin du XIXe siècle, le groupe était devenu tellement omniprésent qu'il sembla exercer autant de pouvoir sur les marchés financiers que le gouvernement américain lui-même.

    Lorsque la crise frappa Wall Street en 1893, Morgan lui-même mit en place un syndicat pour fournir au Trésor américain la somme de 65 milliards de dollars en or, garantissant ainsi sa solvabilité. Dans la panique de 1907, lorsque la Bourse de New York perdit la moitié de sa valeur, Morgan injecta de grosses sommes d'argent venant de sa fortune personnelle et rallia d'autres banquiers de pointe à sa cause. Il étayait ainsi le système bancaire.

    Au cours des années qui ont suivi la seconde guerre mondiale, la banque perdit une partie de son pouvoir. Après la faillite de 1929, une réaction populiste à l'encontre de Wall Street amena l'introduc­tion du Glass-Steagall Act pour obliger les banques à séparer les opé­rations qu'elles effectuaient sur les marchés de capitaux – la gestion des dettes et des valeurs mobilières – et celles réalisées dans les ban­ques de dépôts. L'empire JP Morgan fut amené à se diviser pour créer plusieurs entités comme Morgan Stanley, le courtage américain, Morgan Grenfell, un courtage anglais et JP Morgan, qui se consacrait à la banque de dépôt. Mais la banque maintint un rapprochement peu habituel avec les deux gouvernements et des clients puissants de premier ordre comme Coca-Cola et AT&T. Le patrimoine internatio­nal de la banque était également préservé à tel point que le personnel de JP Morgan plaisantait parfois en disant que faire partie du groupe, c'était comme entrer dans la diplomatie ou au service de la Grande-Bretagne mais avec un salaire beaucoup plus élevé. Lorsque Peter Hancock rejoignit la banque, il fut envoyé à New York pour suivre une formation d'un an en compagnie d'une cin­quantaine d'autres recrues dont la moitié seulement étaient américai­nes. Ce fut une expérience vraiment extraordinaire. Il y avait des Chinois, des Malaisiens, des Français. Nous logions tous en­semble dans un petit immeuble dans le sud de la Upper East Side à Manhattan, raconte Hancock.

    La formation en elle-même pourtant ne satisfaisait pas beaucoup la passion de Hancock pour tout ce qui était innovant. Le « Programme de gestion de la banque de dépôt » tel qu'il était nommé, se déroulait au siège historique de la banque, c'est-à-dire au numéro 23 de Wall Street, juste en face de la rue de la bourse dans un impressionnant immeuble à colonnes où J. Pierpont Morgan lui-même avait travaillé. La première moitié de la formation avait lieu dans une salle de classe, on apprenait les rudiments fondamentaux de la banque et cela différait peu de ce qui se faisait à l'époque de JP Morgan : évaluer le risque de crédit en lisant le bilan d'une entreprise et en analysant ses résultats. L'objectif de la formation était d'ap­prendre à mesurer le risque qu'une entreprise pouvait prendre sur un prêt, élément clé du système de fonctionnement de la JP Mor­gan. Pour l'autre partie de la formation, les recrues devaient se comporter comme des analystes subalternes dans des transactions concrètes.

    Les stagiaires devaient passer le plus de temps possible à décorti­quer les chiffres de l'entreprise. Quelques années auparavant, ces cal­culs se faisaient encore à la main. Lorsqu'ils avaient besoin de voir le prix d'obligations, ils consultaient un énorme livre de barèmes. Mais, au moment où Peter Hancock assurait la formation, les calculatrices de poche programmées, qui déterminaient le cash flow de l'entreprise et mesuraient le risque, commençaient à faire fureur. Un nouvel éli­tisme technologique faisait la loi et les stagiaires se trouvaient à l'avant-garde d'une nouvelle espèce audacieuse de banquier.

    Chez les stagiaires de la banque Morgan, pourtant, on insistait bien sur le fait que les mathématiques ne représentaient qu'une par­tie des opérations bancaires  comme par exemple les relations avec les clients et la réputation, avait aussi une grande im­portance. Dans les années 30, au moment de la levée de bouclier contre Wall Street, la crédibilité du fils de J. Pierpont Mor­gan – J.P « Jack » Morgan Jr – avait été mise à mal par le Congrès. Il avait expliqué que son objectif, au sein de la banque, était de diriger une entreprise de première classe avec toute la maîtrise due à son rang. Cinquante ans plus tard, ce mantra pour le moins étonnant de Jack Morgan étonnait une bonne partie du monde de la banque. Des années d'innovation audacieuse avaient fait du commerce à haut ris­que et de la transaction offensive le critère rêvé de tous et c'était l'éthique du « tuer ou être tué » qui l'emportait.

    Au 23 de Wall Street, pourtant, les cadres supérieurs parlaient toujours de la banque comme s'il s'agissait d'un art noble où les rela­tions à long terme et la loyauté avaient leur importance, tant au ni­veau des transactions avec les clients qu'à l'intérieur de la banque. Tandis que, dans d'autres banques, on s'attachait à trouver des ac­teurs vedettes auxquels on proposait des bonus énormes et qu'on en­courageait à rivaliser pour être le premier, chez Morgan, on favorisait le travail d'équipe, la loyauté de l'employé et l'engagement à long terme envers la banque.

    Une bonne partie du personnel n'avait travaillé que chez JP Mor­gan et, même si la banque payait moins que la plupart de ses concur­rents, on avait en échange une meilleure sécurité de l'emploi. On prévenait solennellement les jeunes stagiaires pendant la formation que si la banque pouvait tolérer des erreurs de jugement, une erreur de principe était un motif de licenciement. Une banque de première classe, tel que le spécifiait le mantra.

    Hancock réussit la formation haut la main et retourna au bureau de Londres où il demeura pendant quelques années. Il était chargé d'analyser la solvabilité des compagnies pétrolières de la Mer du Nord. C'était un travail en or parce que les industries pétrolières de Norvège et de Grande-Bretagne commençaient à prospérer. Mais Hancock avait envie d'autre chose. A la City, il voyait bien autour de lui que les produits dérivés comme les échanges étaient en pleine mu­tation. Et il voulait en être.

    La banque Morgan était considérée comme trop rigide pour être pionnière dans les domaines de pointe. Les vrais innovateurs, c'était Salomon Brothers et Bankers Trust qui savaient se montrer offensifs et iconoclastes. Peu de temps après que Salomon ait annoncé son échange sur IBM et World Bank, JP Morgan partit en quête des mê­mes objectifs.

    Au départ, tout n'est pas parti de JP Morgan mais de la branche à Londres de la succursale d'une entreprise connue sous le nom de Morgan Guaranty Limited ( MGL ). Le Glass-Steagall interdisait à la principale banque de New York d'intervenir sur les marchés de capi­taux, autorisée en revanche à l'étranger. Les autorités de régulation à Londres adoptèrent une attitude plus souple en per­mettant aux banques de proposer des services plus variés. C'est ainsi que Morgan Guaranty a bâti sa bonne réputation sur les marchés de capitaux. Dans les années 60, le talentueux trader Dennis Wea­therstone était à la tête d'une affaire florissante sur le marché des changes. Dix ans plus tard, elle passa dans le secteur de l'émission de ti­tres de l'entreprise. Le succès fut éclatant, en partie parce que les en­treprises américaines comprirent qu'elles pouvaient payer moins d'impôts à Londres qu'à New York.

    Ce créneau permit à Morgan Guaranty d'entrer dans le secteur des swaps et, dès le début des années 80, la banque Morgan a pu commencer à proposer des affaires à ses clients par l'intermédiaire de sa filiale à Londres. Cela lui permettait de profiter de la magie des swaps. C'est l'exemple parfait d'une innovation géniale qui corres­pondait parfaitement aux besoins du client. Cela a vraiment apporté des solutions, rappelle Jakob Stott, l'un des jeunes banquiers qui faisait partie de l'équipe des swaps.

    Il faut bien avouer que ces contrats relevaient de la performance. Avant qu'un contrat ne puisse être conclu, il fallait trouver deux par­tenaires dont les besoins concordaient. Cela pouvait déjà prendre des semaines. L'un des premiers contrats à avoir été signé concernait un swap entre le gouvernement autrichien et la Commerzbank. Les em­ployés passèrent un après-midi entier à taper les détails sur un telex et à expliquer très clairement les cash flows à venir à leurs clients. Dans les années 80, le rythme s'est amélioré. Les bénéfices aussi.

    Les jeunes traders du groupe étaient complètement excités par leur pouvoir grandissant et la liberté dont ils disposaient. Dans la banque, en dehors de l'équipe des swaps, rares étaient ceux à savoir comment fonctionnaient les affaires et Connie Volstadtle, leader de l'équipe, connu pour être l'un des esprits les plus brillants dans le monde des produits dérivés, jouissait d'une grande autonomie. Vols­tadt affichait un mépris total envers les cadres supérieurs de la ban­que Morgan et révélait les détails les plus infimes sur les transactions de l'équipe. Les membres de l'équipe adoraient taquiner ceux qui étaient dans les départements les plus fermés. Nous avions le sentiment d'être à part, détachés de tous, d'être une petite équipe très liée, se souvient Stott.

    De temps à autre, les cadres supérieurs de la direc­tion tentaient de couper les ailes de l'équipe des swaps. En 1986, Le­wis Preston, qui était alors le directeur de JP Morgan, était parti pour Londres et avait contesté la façon dont Volstadt appréciait la valeur des transactions. A ce moment-là, JP Morgan, tout comme les autres banques, n'était pas très claire sur la façon dont elle mesurait la valeur des transactions d'échanges car les directives comptables n'étaient pas encore mises au point.

    Vous dites que votre groupe a réalisé un bénéfice de 400 mil­lions de dollars, avait lancé Preston à Volstadt. Mais j'ai plu­tôt l'impression qu'il s'agit d'une perte de 400 millions de dollars. Furieux, Volstadt avait nommé une équipe de jeunes analystes et des stagiaires pour réexaminer chaque justificatif où étaient enregistrés les contrats et lorsqu'il prouva ce qu'il avait affirmé, Preston céda. Cet épisode était révélateur de la façon dont la direction considérait les traders des swaps. Pour elle, il s'agissait d'un groupe d'adolescents brillants mais difficiles.

    Tandis que Hancock observait les bonnes affaires réalisées par le groupe des swaps depuis sa cage dorée dans l'équipe de la banque de dépôt de JP Morgan, il était fasciné et impatient de se joindre à eux. Alors, en 1984, il rejoignit le groupe de liaison à Londres et en 1986, il se débrouilla pour aller à New York où la banque dévelop­pait son opération de produits dérivés. Les dirigeants de JP Morgan avaient compris, pour leur plus grand bonheur, qu'il n'y avait pas de clause explicite dans le Glass-Steagall allant à l'encontre de l'exploi­tation des produits dérivés.

    Au départ, le rôle de Hancock au sein de l'équipe était plutôt mo­deste. Il s'occupait d'une petite équipe de finances qui utilisait les swaps pour le bilan des actifs et des passifs de la banque. Mais Han­cock était quelqu'un de structuré et d'opportuniste et il trouva rapi­dement des moyens de se rendre visible. Après l'effondrement de la bourse en 1987, les taux d'intérêt avaient chuté et la banque dut faire face à des pertes inexpliquées assez importantes au niveau de ses produits dérivés. Hancock dut s'expliquer à propos de ce qui s'était passé devant la direction de la banque et il se retrouva à gérer un pe­tit bureau au siège qui s'occupait de produits connus sous le nom de « plancher » et de « casquette ».

    Lorsque la banque devint JP Mor­gan en 1988, Hancock, en navigateur avisé, mit en place une équipe qui se déplaçait dans Manhattan avec un gros logo JP Morgan. Cela attira l'attention, surtout depuis que l'équipe de Hancock avait battu de peu le navire Goldman Sachs. Il apprit tout ce qu'il pouvait à pro­pos du fonctionnement des produits dérivés. Il fit impression aussi sur Dennis Weatherstone, le directeur de la banque. Weatherstone était un personnage légendaire. Il venait de la classe ouvrière anglaise et c'est d'abord à l'âge de seize ans qu'il rejoignit la banque en tant que coursier à Londres. Il devint ensuite un trader brillant au niveau des devises étrangères puis il finit par monter tout en haut de la hiérarchie.

    En 1988, une occasion se présenta pour Hancock. Connie Vols­tadt partit chez Merrill Lynch, emmenant avec lui une demi-douzaine de ses collaborateurs. Cela généra un problème. Dans les autres banques, la manière évidente de combler l'impor­tant manque à gagner laissé par le départ de Volstadt aurait été d'embaucher un nouveau gourou et de construire une nouvelle équipe venue des banques concurrentes. Mais JP Morgan embauchait rarement des étrangers à des postes de cadre supérieur. La grande majorité de ses cadres avaient grimpé les échelons assurant ainsi à la banque sa culture d'entreprise. Les cadres supérieurs nommaient à l'origine certains des salariés de la jeune équipe de Volstadt pour prendre la suite.

    Il devint bientôt évident qu'ils ne pouvaient pas le remplacer et Hancock saisit sa chance.

    En 1990, il avait trente deux ans et on le trouvait trop jeune pour diriger un département. Mais il savait comment s'y prendre et son nom commença à circuler. Un an après le départ de Volstadt, Wea­therstone annonça que Hancock allait prendre la direction de l'équipe des swaps. Parfois dans la vie, vous avez une chance soudaine qui se pré­sente à vous alors il faut la saisir ! se souvient Hancock. Le soi-disant inventeur avait l'opportunité de laisser libre cours à ses envies.

    Pendant les quatre années qui suivirent, Hancock surfa sur la va­gue des produits dérivés. Lorsque les swaps avaient décollé, JP Mor­gan n'était pas du tout considéré comme innovateur. En 1994, ses compétences étaient aussi bonnes que celles de ses concurrents. Et même, la banque possédait quelques avantages que les autres n'avaient pas. Respecté en tant que prêteur commercial, Morgan avait accès à une grande variété de sociétés de premier ordre et....


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    2010       283 p.      21 €

       La banane est le premier fruit consommé dans le monde. Il y a dix ans environ, elle cristallisait les enjeux : désastre toxique, économie inéquitable, Alistair Smith démontre qu'il était absolument nécessaire d'agir. Dans cet ouvrage, il retrace l'initiative internationale qui a permis de relier les petits producteurs, les travailleurs des plantations et les consommateurs des pays du Nord, et de faire naître la banane équitable. C'est le début d'une longue saga, dont les grandes compagnies bananières et les organismes internationaux de régulation deviendront progressivement des acteurs essentiels, et qui mènera à la construction d'une filière aussi durable que possible. Alistair Smith nous présente les perspectives qui s'ouvrent aujourd'hui et démontre que ce modèle de filière pourrait permettre d'améliorer bien d'autres filières en termes de justice sociale, de répartition des richesses et de protection de l'environnement.

     
    Alistair Smith est le fondateur de Banana Link, association qui a promu le commerce équitable et durable dans la filière banane.

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